Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes amenés à expliquer notre vote sur un texte qui est présenté comme un compromis.
Un compromis suggère l’idée de concessions mutuelles ; pourtant, notre groupe n’en a pas bénéficié. De la même manière, un compromis suppose l’appel à la sentence d’un arbitre. Nous sommes davantage dans cette situation, notamment à la suite de la réécriture de l’article 60 du code des douanes, laquelle paraît toutefois trop démesurément restrictive et, à bien des égards, trop grandiloquente, et pénalise, par ses failles, les agents des douanes.
Tout d’abord, l’arbitre sera le juge constitutionnel, qui appréciera si les principes du droit au respect de la vie privée et de la recherche des auteurs d’infractions sont, l’un et l’autre, proportionnés.
Ensuite, l’arbitre planera sur chaque procédure et à tout instant. Nous croyons que la jurisprudence sera longue et fastidieuse, mais indispensable. Elle risque d’exposer les procédures engagées à de nombreuses nullités, lesquelles seront renforcées par le refus de doter les services de surveillance et d’enquête d’un code de procédure douanière. Il s’agit pourtant d’une revendication de longue date de ceux qui, sur le terrain, constatent des pratiques différentes entre deux entrepôts ou d’une brigade à l’autre – je pourrais énumérer toutes les spécificités des missions de la douane.
Le groupe CRCE avait clairement choisi le camp de l’intérêt général, contre la libre circulation des marchandises prohibées et des capitaux et dans la lutte contre les trafics en tous genres. Cette réponse nécessitait d’élargir le rayon des douanes et d’élargir la capacité d’action des douanes, en minorant les contraintes judiciaires ou administratives.
Monsieur le ministre, vous vous vantez d’avoir doublé le rayon des douanes, mais vous vous êtes privé « en même temps » de le tripler à soixante kilomètres en cas de besoin. Notre amendement ayant un tel objet a ainsi été rejeté, comme l’a été celui qui visait à l’étendre à certains axes secondaires ou tertiaires particulièrement à risque. Vous n’en avez pas voulu, à l’instar de la majorité sénatoriale.
L’équation est simple : moins de brigades et plus de papiers égalent moins de contrôle !
Plus généralement, je le dis à tous mes collègues, ce projet de loi est animé d’une vision déshumanisée de la société, celle d’un capitalisme fraudeur et sans frontière. Le choix politique de ce texte est de rendre prioritaire une fermeture à l’immigration, via les contrôles aux frontières, au détriment du contrôle des flux de capitaux et des marchandises.
L’autre axe, c’est le trafic de drogue, au point de créer une expérimentation qui s’apparente à une forme de surveillance généralisée n’ayant rien à envier à la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, dite Sécurité globale.
Enfin, le troisième axe consiste à mettre le paquet sur le e-commerce. Soit, mais à condition de ne pas encourager, en coulisse, une ubérisation et une plateformisation de la profession de douanier.
La raison principale qui préside à la création d’une réserve opérationnelle, c’est l’enjeu de l’immigration illégale, reconnaissons-le. Ce n’est pas pour pallier un manque de compétences spécifiques, comme vous l’avez affirmé en séance publique, monsieur le ministre, compétences que nous saurions trouver si nous nous en donnions les moyens.
Je vous donne lecture de l’étude d’impact : « L’agence Frontex a demandé aux États membres de l’Union européenne de mettre en place une force d’intervention rapide constituée d’agents volontaires pour assurer des missions de courte durée pour le contrôle des flux migratoires sur les frontières. » Disons-le clairement : c’est une injonction de l’Union européenne, spécifiquement de l’agence Frontex, qui enjoint à la France de transformer en garde-frontières ses douaniers, de préférence des réservistes débutants et corvéables en urgence.
Une formation de quinze jours de garde-frontière pour les douaniers sera d’ailleurs obligatoire dès le 1er septembre prochain.
Monsieur le ministre, pourquoi le Gouvernement, la commission saisie au fond et la commission saisie pour avis n’ont-ils pas consulté les organisations syndicales pour connaître leur avis sur la création d’une réserve opérationnelle ? §La réponse est la suivante : toutes sont contre !
Ces « réservistes » risquent d’être en réalité des retraités des douanes en situation de dépendance économique du fait de leur faible retraite due à une trop faible rémunération lorsqu’ils étaient en fonction. En effet, comme je l’ai appris à l’occasion de l’examen de ce texte, à l’instar d’autres ici peut-être, dans les douanes – c’est en effet une spécificité –, on peut être agent de catégorie C et encadrer dix agents.
Ce seront sinon des volontaires appelés à compenser le manque de personnel. Sur ce point, monsieur le ministre, vous avez tenté de discréditer les comparaisons avec l’Allemagne, en déclarant en substance que les homologues des douaniers dans d’autres pays avaient parfois des missions bien différentes, puisque, en Allemagne, par exemple, entre 8 000 et 10 000 agents étaient chargés de la lutte contre le travail illégal.
Nous avons vérifié : alors que la France compte 17 000 douaniers, en Allemagne, 25 000 douaniers s’occupent de la sécurité du territoire en matière de contrôle de marchandises et de lutte contre la fraude.