Intervention de Georges Patient

Réunion du 31 mai 2023 à 15h00
Débat sur la gestion des déchets dans les outre-mer — Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Photo de Georges PatientGeorges Patient :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en matière d’urgence, tout est question de perception et de référentiel. Or il semblerait que la gestion des déchets outre-mer passe sous les radars de l’État. Pourtant, c’est une urgence qui existe depuis de nombreuses années et qui semble être appelée à durer encore longtemps.

L’excellent rapport de nos collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet dresse un tableau édifiant. Peut-être permettra-t-il de réveiller les consciences ? Je tiens à les remercier et à les féliciter pour leur travail précis et exhaustif.

Comme le rappelle ce rapport, la gestion des déchets est tout autant un enjeu de santé publique que de protection de l’environnement ou de développement économique, de la même importance que l’assainissement ou l’adduction en eau potable.

L’urgence n’est donc pas seulement dans le respect d’une réglementation européenne ou dans l’application d’une loi. L’urgence se situe bien dans la protection de la santé des habitants de nos territoires « et de la préservation du cadre de vie, avant même d’évoquer l’économie circulaire », comme le précise le rapport.

Or les défaillances apparaissent à tous les niveaux du parcours d’un déchet, de sa production à son élimination. Nous en sommes encore à éviter qu’une majorité des déchets finissent dans la nature. C’est pourquoi les investissements doivent avant tout aller vers les équipements de base comme les centres d’enfouissement des déchets, les incinérateurs, les déchetteries ou les outils de collecte.

Les taux de collecte sont insuffisants. Dans mon territoire, par exemple, la Guyane, certaines communes, complètement isolées, ne sont accessibles qu’en pirogue ou en avion. La collecte et l’acheminement des déchets vers un centre de tri ou de traitement y restent une gageure.

Si la collecte est problématique, le tri, le traitement et la valorisation le sont tout autant. Avec deux déchetteries et deux installations de stockage de déchets non dangereux, la Guyane affiche un taux de valorisation, extrêmement faible, de 18 %. La grande majorité de ce qui est collecté finit enfouie. Et c’est le cas pour tous les outre-mer, avec un taux moyen de 67 %, contre 15 % au niveau national.

La collecte est la mère des batailles. Plus nous collectons, plus nous protégeons la population, et mieux nous pouvons gérer, trier et valoriser avec des filières aval rentables. Mais qui pour financer cette collecte ?

Le rapport cite le cas extrême de la commune de Camopi, en Guyane, qui ne touche aucune taxe d’enlèvement des ordures ménagères (Teom). C’est le cas, particulier, de certaines communes de Guyane, dont le foncier appartient intégralement à l’État, ce qui le rend non imposable ! Mais en moyenne, outre-mer, la Teom ne couvre que 80 % du coût du service public – et parfois 15 % seulement dans certaines communes.

Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de Guyane et de Mayotte sont les plus en difficulté, avec des taux de couverture de respectivement 25 % et 50 %. C’est intenable !

C’est pourquoi il faut faire appel à la solidarité nationale et mettre en place une taxe, à l’image de ce qui existe pour l’électricité avec la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), également appelée contribution au service public de l’électricité.

Cette taxe aidera à financer le service public des déchets dans les régions d’outre-mer, qui sont les régions les plus défavorisées, mais aussi celles dans lesquelles les coûts de ce service sont les plus élevés.

Comment, en Guyane et à Mayotte, par exemple, où le PIB par habitant représente respectivement 42 % et 26 % de la moyenne nationale, la population peut-elle financer un système qui coûte 1, 7 fois plus que dans l’Hexagone ? Il y a là une terrible injustice.

Par ailleurs, je ne peux que souscrire à la recommandation des rapporteurs concernant une exonération de la TGAP. Cette taxe, transposition séduisante sur le papier du principe pollueur-payeur, souffre dans les outre-mer d’un défaut majeur : il n’y a pas d’alternative au stockage, faute de rentabilité. La trajectoire à la hausse du coût de la tonne fait gonfler le montant de la taxe sans possibilité pour les collectivités de faire supporter son coût par les particuliers ou de réorienter les déchets vers d’autres filières.

Au final, cette taxe se révèle contre-productive, car, en aggravant les coûts de fonctionnement, elle oblitère sérieusement les capacités d’investissement des collectivités, et donc de transition. Ainsi, il est nécessaire de suspendre l’application de la TGAP en outre-mer tant que n’existeront pas des alternatives au seul enfouissement. Il serait même bon d’envisager de flécher le produit de cette taxe vers le soutien au développement des filières alternatives dans les régions où leur rentabilité n’est pas possible.

Par ailleurs, la TGAP génère des comportements d’évitement chez certains professionnels, qui se débarrassent de leurs déchets dans des dépôts sauvages. C’est un mal qui touche tout le territoire national, qui abîme les paysages et multiplie le nombre de sites pollués. Mais c’est une double peine pour les collectivités qui, en plus de payer la TGAP, doivent assumer les coûts d’enlèvement et de nettoyage. Il faut abaisser le seuil de 100 tonnes à partir duquel ce sont les filières REP qui prennent en charge ces coûts, comme le proposent les rapporteures.

Enfin, on peut s’interroger sur la pertinence du dogme de la valorisation par le recyclage comme unique solution. Le coût en sera-t-il supportable pour nos économies étroites ? Est-il envisageable de mutualiser ces coûts en regroupant la gestion d’une filière entre plusieurs territoires ultramarins ? Mais surtout, pourquoi exclure d’emblée la valorisation énergétique des déchets ?

Pour conclure, j’aimerais que le Gouvernement nous précise s’il entend profiter du prochain Ciom pour avancer sur ces sujets.

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