Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je profite de ce deuxième temps d’intervention pour mettre l’accent sur l’urgence sanitaire liée à la gestion des déchets.
L’insécurité sanitaire, ce n’est pas qu’un sentiment. Quelques données objectives permettent de mieux appréhender et évaluer ce risque, qui n’est pas propre aux outre-mer, mais qui y est exacerbé du fait du climat, de la densité de population et de la pauvreté. Je tiens à insister sur les risques sanitaires associés à ces pollutions diffuses, souvent à proximité immédiate des populations.
La commission d’enquête sur les pollutions industrielles et minières des sols, dont j’avais été rapporteure en 2020, avait mis en lumière les risques majeurs de pollutions souvent invisibles et dont la mémoire se perd rapidement. La crise des déchets fait peser, à court et à long terme, des risques importants sur des populations déjà en situation de précarité.
Nos auditions et nos déplacements ont mis en évidence, sur des territoires de la République, une dure réalité qui ne peut être occultée ou édulcorée.
Le cas paroxystique de Mayotte doit devenir une cause nationale : les décharges sauvages, au milieu desquelles des enfants jouent, à ciel ouvert au cœur de bidonvilles ; des batteries de voiture y servent de pierre de gué pour franchir des ruisseaux ; des femmes lavent leur linge dans des bassins alimentés par cette eau ; des tas de déchets y brûlent continuellement…
En Guyane, la situation est assez similaire, à la seule différence que l’espace disponible permet de diluer cette sensation de débordement.
Quelles sont les conséquences de cette pollution ?
Lors de son audition, la direction générale de la santé a souligné que l’abandon des déchets sur l’espace public ou privé, notamment les batteries, les produits électroménagers ou les véhicules hors d’usage, favorise la prolifération d’espèces nuisibles et de rongeurs, qui sont vecteurs de maladies transmissibles aux populations, comme la dengue, le paludisme ou la leptospirose. À La Réunion, des regroupements de cas de plombémie et de saturnisme infantile ont été observés autour de zones de précarité dans lesquelles des batteries avaient été abandonnées ; des pollutions diffuses restent à craindre pour l’avenir.
La tendance à une hausse quasi exponentielle est très inquiétante, pour ne pas dire alarmante. Les déchets abandonnés sont autant de gîtes larvaires propices à la prolifération des moustiques, ce qui favorise des épidémies régulières de dengue, mais aussi de Zika ou de chikungunya, qui touchent régulièrement une grande partie de la population dans les Antilles, en Guyane, dans l’océan Indien et dans le Pacifique. Elles entraînent des arrêts de travail, de nombreuses hospitalisations et des décès.
Les rongeurs, les rats en particulier, favorisent la transmission de la leptospirose, une maladie bactérienne grave pouvant conduire à l’insuffisance rénale, voire à la mort dans 5 % à 20 % des cas. En Guyane, une centaine de cas sont comptabilisés chaque année. Ce taux est soixante-dix fois supérieur à celui de la France hexagonale. D’autres maladies encore peuvent être favorisées par une mauvaise gestion des déchets, comme la typhoïde ou l’hépatite A.
Je reprends l’exemple de Mayotte, qui cumule tristement les maladies vectorielles, les maladies zoonotiques et les maladies hydriques comme la typhoïde. Il y a eu 23 cas de paludisme sur les huit premiers mois de 2022, 3 suspicions de dengue et 152 cas de leptospirose sur les huit premiers mois de 2022. À ce jour, 100 cas de typhoïde ont déjà été documentés en 2022.
Il est naturellement impossible d’isoler précisément les facteurs concourant à la transmission de ces maladies ou d’imputer celles-ci aux seuls déchets. Mais il est certain que les déchets créent à tout le moins des conditions plus favorables de contamination.
Et que dire de la qualité de l’air ? Pour sûr, elle est également affectée, notamment par l’incinération des déchets verts, fréquente sous les climats tropicaux. Plus graves, les incendies des décharges dégagent des fumées toxiques. De tels incendies sont réguliers, par exemple dans la décharge de Céron, en Martinique, en 2021. Et je ne parle pas des déchets radioactifs en Polynésie française – notre collègue Lana Tetuanui le fera mieux que moi.
Bien que la question des algues sargasses soit en dehors du champ de ce rapport, il faut aussi citer les émanations de gaz toxique à proximité des zones habitées en raison de leur décomposition. Les conséquences à long terme sont encore mal connues.
Enfin, les déchets industriels et miniers existent aussi outre-mer. En Guyane française, les activités d’orpaillage illégales sont à l’origine d’une double pollution mercurielle liée aux expositions professionnelles et à la contamination des poissons carnivores et piscivores. La Nouvelle-Calédonie est l’autre territoire marqué par une activité minière conséquente. Plusieurs initiatives ont été lancées pour évaluer l’impact sanitaire de ces déchets sur les populations locales.
La priorité est de poser les bases réelles d’une politique des déchets, madame la ministre. Des infrastructures essentielles manquent, comme des déchetteries, des centres de tri, voire tout simplement de camions de collecte, des centres de stockage ou des comités de valorisation énergétique. Il faut aller à l’essentiel dans les territoires les plus atteints, comme Mayotte et la Guyane. Sans ces bases, le virage vers l’économie circulaire ne pourra être pris.
Madame la ministre, vous connaissez ma mobilisation sur ce sujet. Notre territoire audois a été impacté par ces pollutions minières historiques. Nos enfants ont été exposés. Nous ne pouvons abandonner nos territoires ultramarins. Des mesures doivent être prises en urgence, et celles-ci doivent être à la hauteur des enjeux !