Intervention de Marta de Cidrac

Réunion du 31 mai 2023 à 15h00
Débat sur la gestion des déchets dans les outre-mer — Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Photo de Marta de CidracMarta de Cidrac :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans une France riche de la diversité de ses territoires, nos outre-mer ont toujours eu une place à part. Leurs spécificités, souvent entendues, mais parfois incomprises, donnent à ces espaces une singularité à nulle autre pareille.

Cette situation particulière a de fortes conséquences sur les politiques à conduire dans de nombreux domaines. Éloignement géographique, différences climatiques, spécificités insulaires : nos outre-mer demandent aux décideurs publics et au législateur que nous sommes un effort permanent de contextualisation, de différenciation et d’attention aux problématiques qui leur sont propres.

Ce débat est une excellente occasion d’en prendre conscience, au moment où s’ouvre à Paris la deuxième phase de négociations internationales contre la pollution plastique, mais surtout au travers du prisme environnemental du traitement des déchets.

À ce titre, je remercie la délégation aux outre-mer du Sénat de l’avoir inscrit à notre ordre du jour. Je salue également nos collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet pour leur rapport d’information sur la gestion des déchets dans les outre-mer.

Faisons un bref rappel géographique. À des milliers de kilomètres de la métropole, au milieu d’immenses océans, il s’agit de territoires souvent de faible superficie, mais qui confèrent à notre pays, par leur implantation dans tous les océans, le deuxième domaine maritime mondial. Avec un pareil atout, une responsabilité mondiale en matière de préservation de l’environnement et de la biodiversité nous incombe.

Par ailleurs, ne l’oublions pas, il s’agit aussi de l’Union européenne. À travers leur statut de régions ultrapériphériques, les outre-mer français permettent à l’Union européenne d’être présente en dehors du continent européen et dans tous les océans.

Il s’agit, là encore, d’un atout pour l’Union européenne, mais qui demande en retour une prise en compte de la spécificité ultramarine française.

Ce cadre français et européen est essentiel pour comprendre la politique de traitement des déchets ultramarins, un domaine où les atouts de l’outre-mer s’accompagnent de responsabilités et de contraintes spécifiques.

Dans le cadre de l’évaluation de la loi Agec, j’ai rencontré les différentes parties prenantes du traitement des déchets ultramarins, qu’il s’agisse d’élus locaux ou de professionnels du secteur. Tous m’ont fait part de problématiques ultramarines bien spécifiques, parfois très différentes de celles de l’Hexagone.

Deuxième espace maritime mondial, la France concentre à elle seule dans ses eaux 10 % des récifs coralliens, 20 % des atolls de la planète et près de 10 % de la diversité mondiale des espèces marines.

Notre responsabilité à l’échelle mondiale est donc de laisser à nos enfants des espaces maritimes non pollués et vierges de déchets susceptibles de mettre en péril des écosystèmes déjà fragilisés. En effet, à l’exception de la Guyane, nos outre-mer sont des écosystèmes insulaires. Ils sont donc plus sensibles à la pollution et se régénèrent beaucoup moins rapidement que les autres.

Les risques encourus ne sont pas seulement sanitaires, ils sont aussi sociaux et économiques. Lorsque des terres arables deviennent impropres à la culture ou que la qualité de l’eau se dégrade, ce sont des ressources qui disparaissent ou qui demandent à être importées.

Nous pouvons citer un exemple concret de pollution dont s’alarment les acteurs locaux, déjà rappelé à maintes reprises à l’occasion de différents échanges. Il s’agit de l’accumulation de déchets issus de l’industrie automobile. Vous serez frappés de voir, chers collègues, les nombreuses carcasses de voitures qui parsèment nos îles, faute d’installations à même de traiter ces déchets.

Dans l’Hexagone et plus encore dans nos outre-mer, un mauvais traitement des déchets emporte de grandes conséquences. Il faudra être capable de l’anticiper face aux défis de demain. Qu’en sera-t-il de l’augmentation du nombre de véhicules électriques en outre-mer et du traitement de leurs batteries, alors même que le traitement de véhicules thermiques fait défaut ? Quid des modes de consommation de nos concitoyens, qui évoluent vers le « toujours plus », via la fast fashion, par exemple, ou les objets technologiques à fort potentiel polluant ? Tout cela se fait au risque de voir nos territoires ultramarins saturés de déchets polluants, faute d’exutoire et de traitement performants.

Au niveau local, des pistes d’amélioration claires ont été identifiées par mes collègues de la délégation aux outre-mer. Je soulignerai que les solutions nationales ne sont pas les seules à être attendues. De nombreux acteurs locaux se sentent entravés par la réglementation européenne qui s’impose à eux en tant que régions ultrapériphériques.

En effet, le règlement européen relatif aux transferts de déchets, dit RTD, pose de réelles difficultés dans nos départements et territoires d’outre-mer, qui ne peuvent exporter leurs déchets dangereux vers les ports de pays tiers géographiquement proches. Selon le RTD, ces exportations devraient se faire exclusivement vers l’Union européenne ; mais cette solution ne paraît ni raisonnable ni viable d’un point de vue environnemental et économique.

Certains ports de pays tiers disposeraient pourtant d’infrastructures à même de traiter ces déchets ou, à défaut, de leur permettre simplement de transiter, ce que le RTD ne facilite pas non plus.

En principe, ce règlement met en œuvre, dans le droit de l’Union européenne, les dispositions de la convention de Bâle et de la décision de l’OCDE en matière de transferts de déchets dangereux. Dans les faits, il est bien plus strict que le droit international.

Je sais, madame la ministre, que ce règlement est en cours d’examen et de révision à Bruxelles. Nos territoires ultramarins comptent sur votre voix afin que leurs spécificités soient prises en compte dans le futur texte. Il y a de cela quelques mois, j’interrogeais le ministre des outre-mer, qui reconnaissait l’importance des enjeux en la matière.

La France est le seul pays de l’Union européenne à compter autant de RUP aussi éloignées du continent européen. C’est un atout national et communautaire à valoriser, non à pénaliser.

Le droit européen devra assurément évoluer vers une plus grande souplesse si nous ne voulons pas préparer aujourd’hui les bombes à retardement écologiques de demain.

Au niveau national, les travaux de notre délégation sénatoriale ont identifié des axes de progression clairs : simplifier la gouvernance, améliorer le financement de la gestion des déchets, inciter les filières REP à une obligation de résultat, aller chercher de nouveaux gisements de déchets et développer l’économie circulaire.

Ces dispositions sont déjà à l’œuvre dans l’Hexagone et figurent dans la loi Agec. Déployons-les plus amplement dans les outre-mer, afin que nous arrivions à des résultats efficients. Leur application doit aller de pair avec une négociation sur la question des RUP qui respecte nos concitoyens ultramarins, ainsi qu’avec la définition d’une véritable stratégie maritime qui protège les écosystèmes de nos territoires ultramarins.

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