Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier l’autrice de cette proposition de loi, la députée Sandrine Josso, ainsi que notre rapporteur, Martin Lévrier, pour tout le travail qu’ils ont effectué.
L’examen de ce texte a permis de discuter d’un sujet encore largement tabou dans notre société, celui des fausses couches. Comme toutes les affaires dites « de femmes », ou plutôt comme toutes celles qui portent sur le corps des femmes, ou plutôt, selon moi, sur le corps des femmes non sexualisables, celles qu’on ne veut pas voir, il s’agit d’un sujet que l’on traite peu.
Tout comme les règles, qui, même si elles concernent 15, 5 millions de femmes, demeurent aujourd’hui un sujet tabou, les fausses couches, qui concernent environ un quart des grossesses, soit 200 000 grossesses chaque année, sont un phénomène à la fois tout à fait normal et extrêmement mal géré.
Ce tabou, comme tous les tabous, est source de dysfonctionnements, car on gère très mal ce dont on parle trop peu.
C’est donc le rôle du législateur que de s’emparer de cette question, en ayant en ligne de mire cette réalité.
Il y a au fond, comme pour les règles, comme pour les avortements, comme pour tout ce qui touche à la santé reproductive, autant de cas que de personnes. Une fausse couche peut survenir dans le cadre d’une grossesse désirée, mais aussi d’une grossesse non désirée. Une fausse couche peut passer inaperçue. Une fausse couche peut être facilement vécue. Une fausse couche peut être physiquement éprouvante, psychologiquement difficile, ou les deux à la fois. Une fausse couche peut être terrible ; cela peut aussi n’être pas grand-chose.
Notre cadre juridique doit donc garantir que les personnes seront prises en charge et respectées dans tous les cas, qu’elles souffrent ou qu’elles ne souffrent pas, qu’elles soient soulagées ou qu’elles soient effondrées ; il faut qu’elles soient prises en charge de la manière dont elles le souhaitent.
Notre cadre juridique doit aussi reconnaître que ce n’est pas seulement une affaire de femme enceinte ; en tous cas, ça ne l’est pas toujours. Dans le cas d’un projet parental à deux, les deux personnes peuvent être touchées et elles peuvent l’être différemment. C’est aussi par la prise en compte juridique de cette réalité que l’on fera progresser l’égalité des droits.
Alors, ce texte nous permet-il de répondre aux enjeux ?
Le changement de termes dans l’intitulé est, à mon avis, positif ; il ne faudrait pas le sous-estimer. « Interruption spontanée de grossesse » est plus juste que « fausse couche », expression qui laisse entendre que quelqu’un aurait commis une faute.
La suppression du délai de carence pour les arrêts maladie consécutifs à une interruption spontanée de grossesse constitue une avancée concrète et importante, tout comme l’amélioration de la formation des professionnels de santé, qui est un impératif absolu au vu des récits qui nous sont rapportés encore aujourd’hui.
La protection contre le licenciement pendant les dix semaines suivant une interruption spontanée de grossesse est également une bonne chose.
Toutefois, je déplore que ce texte reste largement en deçà des enjeux.
Nous n’avons pas introduit de congé spécial pour le couple confronté à une interruption spontanée de grossesse. Un tel congé, fondé sur le choix, sur la liberté de le prendre ou de ne pas le prendre, aurait permis aux personnes concernées de se reposer et de prendre un peu de temps pour elles, si elles le souhaitent.
D’autres pays, mais aussi des entreprises françaises, ont mis en place avec succès un tel congé spécial. Aussi, en France, certains pourront en bénéficier et d’autres non, ce qui constitue une rupture manifeste de l’égalité des droits.
De plus, je regrette que le Sénat ait supprimé l’article 1er bis de ce texte, qui visait à créer un parcours de soins spécifiques.
De manière générale, les effets de la proposition de loi resteront limités, dans le contexte d’un système de soins délaissé, où la grossesse est prise en charge de manière partiellement insatisfaisante. Par exemple, comme l’a proposé ma collègue Raymonde Poncet-Monge, il faudrait que l’ensemble des frais liés à la grossesse, dès les premières semaines, soient pris en charge par la sécurité sociale.
En effet, exclure les cinq premiers mois de la grossesse de la prise en charge à 100 % des examens médicaux fait peser une charge supplémentaire sur les femmes. Ainsi, un arrêt maladie ou une hospitalisation pendant les cinq premiers mois peuvent entraîner des coûts et une perte de salaire.
De même, le dispositif MonParcoursPsy, qui, pour rappel, était au cœur de ce texte et dont la seule et unique mesure était initialement de permettre aux maïeuticiennes et maïeuticiens d’adresser les patientes et patients à des psychologues, se révèle défaillant. Les psychologues le jugeant inadapté aux besoins, seulement 7 % d’entre eux y participent.
Vous l’aurez compris, si nous considérons que ce texte comporte des avancées, il est bien loin de faire ce que son titre suggère : accompagner réellement les couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse.
Nous le voterons, bien entendu. Mais nous appelons le Gouvernement, comme sur tant d’autres sujets, à cesser de s’appuyer sur des propositions de loi qui apportent, ici et là, des améliorations par petites touches à notre système.
La santé sexuelle et reproductive est un grand sujet ; elle mérite une grande loi, pour une prise en charge globale.