Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je formulerai deux remarques préliminaires avant de donner notre position.
La première est qu'il est absolument inacceptable pour nous, groupe d'opposition, que les échanges tenus lors de la commission mixte paritaire n'aient pas été publiés vingt-quatre heures avant notre discussion d'aujourd'hui. Ces conditions de travail sont néfastes pour la qualité de nos débats. Pis encore, elles mettent les oppositions à l'écart et renforcent le sentiment de conclave que donnent ces modalités d'échanges institutionnels entre les deux chambres.
La seconde concerne l'ajout à l'Assemblée nationale de dix-sept articles au texte déposé et transmis par le Sénat, dont seulement trois ne portent que sur des demandes de rapport. Il s'agit d'une atteinte sérieuse aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
Ces exigences imposent une procédure reposant sur un degré d'information suffisant, dont l'étude d'impact est l'un des piliers les plus solides, pour permettre à la délibération de se dérouler dans de bonnes conditions.
Dans sa décision n° 2014-690, le Conseil constitutionnel a repoussé le grief selon lequel une disposition introduite par voie d'amendement pouvait constituer un contournement de l'exigence d'étude d'impact.
Néanmoins, dans le cas de ce projet de loi, il semble qu'il y ait une véritable collusion entre le Gouvernement et sa majorité, aux seules fins de s'exonérer de la nécessité de fournir une documentation précise et de permettre un plus large débat sur l'ensemble des dispositions.
Ainsi, ce projet de loi a été présenté tardivement, alors même qu'il était nécessaire pour répondre à une décision du Conseil constitutionnel. Celui-ci a fait peser une épée de Damoclès sur l'article 60 du code des douanes, dont l'abrogation aurait été effective le 1er septembre prochain.
Il fallait agir et sauver le « soldat 60 », si j'ose dire, afin que nos douaniers et nos douanières puissent exercer leur métier sans contraintes administratives excessives pour faire face aux flux de marchandises prohibées qui pénètrent sur le territoire par les airs, les mers ou la terre.
Ce texte ne prévoit la création d'aucun poste de douanier supplémentaire. Il vise seulement à mettre en place quelques dispositifs technologiques donnant l'apparence d'une société de surveillance généralisée. La conservation accrue des données du système de lecture des plaques minéralogiques constitue une atteinte particulièrement disproportionnée aux libertés au regard du seul problème des go fast qu'elle entend régler. Toujours dans une forme de sacralisation des outils numériques, la possibilité d'une dématérialisation de la plupart des actes douaniers a été introduite.
Par ailleurs, le numéro deux du service de lutte contre la fraude a confirmé la nécessité du recours à des entreprises privées : « Nous devrons travailler avec des partenaires privés, il ne peut en être autrement, car les ressources internes nous manquent. » On voit tous les risques qu'une telle situation peut induire, notamment en termes de sécurité des procédures !
Tant qu'elle ne sera pas traitée, la question des moyens humains rendra toute nouvelle mission illégitime et impossible à réaliser. Sans politique massive de recrutement pour assurer une présence territoriale dans chaque département au minimum, voire dans chaque arrondissement, la douane subira l'ingéniosité des fraudeurs.
Sans cette politique – dont nous ne voyons aucun signe encourageant dans ce texte qui privilégie le numérique au physique, le contrôle en ligne au contrôle des marchandises, une douane 2.0 à une douane présente dans tous les territoires –, rien ne changera.
Nous avons tellement peu d'agents que la seule solution pour recruter est la création d'une armée de réserve opérationnelle douanière, dont l'extrême droite a jugé utile de préciser qu'elle serait interdite aux binationaux. Nous nous opposons bien sûr à cette réserve, mais cette discrimination est purement et simplement insupportable.
Enfin, le Gouvernement, découvrant pendant le débat à l'Assemblée nationale le contenu de ses propres annonces, a décidé de déposer un amendement pour transformer le service d'enquêtes judiciaires des finances en Office national antifraude.
Son champ d'attribution sera défini par décret, mais l'obsession du ministre pour la fraude sociale nous laisse à penser que celle-ci y sera intégrée, au détriment d'un centrage sur l'évasion fiscale, seul véritable enjeu financier à la hauteur des besoins actuels de financement de la puissance publique.
Cette dilution des missions fiscales s'inscrit dans un phénomène plus large de perte de prérogatives fiscales des douanes, un véritable pillage en règle ayant justifié que nous demandions un rapport et un moratoire sur les transferts de fiscalité. Cet amendement adopté à l'Assemblée nationale a été finalement délaissé par le rapporteur du Sénat, qui n'a pas voulu le défendre.
Nous l'avons dit en première lecture, la douane n'a pas vocation à se focaliser sur les frontières, ni sur les personnes physiques. Bien au contraire, elle protège la population, non contre les migrants, mais contre les trafics et les biens empreints de malfaçons. Elle ne peut être instrumentalisée par l'agence Frontex.
La douane doit contribuer encore davantage qu'aujourd'hui à la préservation des écosystèmes, contre la surpêche, par exemple, ou encore contre les atteintes à la biodiversité, notamment dans les territoires ultramarins. C'est un objectif très enviable – un de plus que n'atteindra pas ce projet de loi.