Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici sur le point de franchir ensemble la dernière étape de l’examen de ce texte, après l’accord trouvé mercredi dernier par la commission mixte paritaire.
Je veux remercier toutes celles et tous ceux qui ont rendu ce compromis possible et qui, durant les phases antérieures, ont contribué à enrichir le texte.
Très largement adopté dans cet hémicycle à la fin du mois de mai dernier, le projet de loi a été voté à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 21 juin. Malgré les réserves exprimées sur certains articles par certains groupes, pas un seul député n’a voté contre ce texte, et c’est pour moi, comme pour nos 17 000 douaniers, l’objet d’une très grande satisfaction.
Cela veut-il dire que nous sommes d’accord sur tout, ou que ce vote efface nos différences d’approche ou nos sensibilités ? Bien sûr que non. Cela signifie simplement que nous sommes capables de faire bloc lorsque la protection des Français est en jeu.
En votant ce texte, nous faisons tout simplement front uni derrière nos 17 000 douaniers, auxquels je veux rendre hommage.
Voter ce texte, c’est soutenir celles et ceux qui servent l’État dans des conditions parfois difficiles.
Vous me permettrez d’ailleurs d’exprimer mon soutien aux policiers, aux gendarmes et à l’ensemble des forces de l’ordre qui, depuis plusieurs jours, luttent contre ceux qui cassent, brûlent, saccagent et pillent. Depuis vendredi dernier, les douaniers sont, eux aussi, mobilisés partout en France pour contrôler les matériels dangereux qui pourraient venir alimenter les violences urbaines : mortiers, feux d’artifice, armes par destination, etc.
Nos douaniers sont également mobilisés pour suppléer les forces de l’ordre dans leurs missions de contrôle migratoire, afin de leur permettre de se reporter sur l’urgence que constitue la sécurisation de la voie publique. Nous sommes avec eux, nous saluons leur courage et nous ferons tout ce qui est nécessaire, dans le cadre de la loi, pour rétablir partout l’ordre républicain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en votant ce texte aujourd’hui, vous donnerez à nos douaniers des outils supplémentaires pour lutter contre les trafics et pour mieux protéger nos frontières et les Français.
Ce texte, nos douaniers l’attendent, car ils ont besoin pour agir d’un cadre clair et de moyens nouveaux. Il est le point d’aboutissement de semaines et de mois de travail conduits en collaboration étroite avec les organisations syndicales, qui ont été associées à chaque étape de l’élaboration du texte. Nous avons également œuvré en lien permanent avec le Conseil d’État, afin de nous assurer que l’équilibre trouvé est bien conforme aux exigences du Conseil constitutionnel.
Il me semble que le compromis trouvé, celui qui vous est soumis aujourd’hui, est le meilleur possible entre efficacité opérationnelle et respect des libertés.
Oui, nous devons faire bloc derrière nos douaniers.
Faire bloc signifie tout d’abord leur donner les moyens d’exercer leurs missions. Tel est précisément l’objet du contrat d’objectifs et de moyens (COM) dont nous avons doté la douane. Pour la période 2022-2025, ce contrat prévoit que cette institution bénéficiera de plus de 148 millions d’euros supplémentaires et d’une garantie de stabilité de ses effectifs.
J’ai parfaitement conscience des critiques qui ont été exprimées par les groupes siégeant à la gauche de cet hémicycle sur les effectifs, bien sûr, mais aussi sur la création de la réserve opérationnelle. J’espère que nous avons pu y répondre lors de nos débats.
Je le redis, il était nécessaire de créer cette réserve opérationnelle, dont l’objectif est de constituer une force d’appoint mobilisable lors d’événements exceptionnels. Regardez ce qui s’est passé pour la gendarmerie ou la police nationale : la création de réserves opérationnelles n’a absolument pas empêché la croissance des effectifs, bien au contraire !
Faire bloc derrière nos douaniers, c’est sécuriser leur action sur le plan juridique – je pense, bien sûr, au droit de visite. Les articles 1 à 5 du projet de loi assurent la mise en conformité de ce droit par trois grands moyens.
Tout d’abord, le texte proposé inscrit dans la loi les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation au fil des années. Sont ainsi codifiés le caractère contradictoire des contrôles, l’interdiction de la fouille à corps et le maintien à disposition des personnes sur le temps strictement nécessaire aux opérations de visite.
Ensuite, il maintient dans la zone frontière une prérogative de contrôle étendue, justifiée par la nature même des infractions douanières. Dans le rayon des douanes, fixé à quarante kilomètres de nos frontières, ainsi que dans les ports, aéroports, gares ferroviaires et routières internationales, le droit de visite pourra continuer à s’exercer sans modification.
Enfin, le texte encadre l’exercice du droit de visite à l’intérieur du territoire. L’exercice de cette prérogative devra désormais s’inscrire dans deux cas bien précis : soit sur le fondement de raisons plausibles de soupçonner que la personne contrôlée a commis une infraction douanière ; soit après l’information préalable du procureur de la République pour la recherche d’infractions douanières – il s’agit, j’y insiste, d’une information et non pas d’une autorisation du procureur, afin de ne pas entraver ou ralentir l’action de nos services.
Nous avons eu, dans cet hémicycle, des débats nourris sur l’extension du rayon des douanes, sur le rôle du procureur de la République, ou encore sur la durée maximale pour une suite d’opérations de contrôle.
Il me semble que le compromis issu des travaux de la commission mixte paritaire est satisfaisant à plusieurs égards.
La CMP a ainsi su concilier un renforcement des garanties, par exemple en réintroduisant à l’article 9 l’exigence que l’autorisation du procureur pour la remise à la douane des données saisies aux fins d’en réaliser une copie soit « écrite et motivée », tout en acceptant l’essentiel des dispositions nouvelles adoptées par l’Assemblée nationale.
Je ne proposerai aujourd’hui, au nom du Gouvernement, qu’un nombre limité d’amendements destinés à clarifier la loi avant son adoption définitive. Trois sont issus de la relecture du texte par les commissions des lois des deux assemblées. Trois autres amendements rédactionnels ou de précision ont été conçus en concertation avec les commissions compétentes du Sénat.
Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi ne vise pas seulement à assurer la mise en conformité d’une prérogative essentielle. Il s’agit aussi d’adapter nos moyens d’action et de mettre nos douaniers en situation de lutter le plus efficacement possible contre les menaces d’aujourd’hui et de demain.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire, nous n’avons pas le droit de perdre la bataille contre la drogue. C’est un domaine dans lequel nous obtenons des résultats : près de 105 tonnes de stupéfiants ont été saisies l’année dernière. Je rappelle d’ailleurs que plus de 70 % de ces saisies sont faites par nos douaniers.
Le texte qui vous est soumis aujourd’hui a été enrichi depuis la première lecture, avec l’introduction d’une mesure inédite visant à permettre à la douane de lutter enfin contre les précurseurs chimiques, substances légales utilisées pour la confection de drogues de synthèse.
Il s’agit de permettre à nos douaniers de retenir pour examen l’ensemble des substances susceptibles d’être utilisées pour la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes et d’élargir les incriminations douanières pour couvrir ces importations.
Cette mesure fait suite à un déplacement que j’ai effectué aux États-Unis, où j’ai rencontré mes homologues responsables de la douane américaine, qui m’ont alerté sur les ravages dramatiques dans leur pays des opioïdes de synthèse, notamment du fentanyl, véritable fléau à l’origine de plusieurs dizaines de milliers de décès chaque année – d’ailleurs, le président Biden a abordé ce sujet dans son discours sur l’état de l’Union.
Ces responsables ont tenu à m’alerter, en m’indiquant que les pays européens risquaient de connaître la même situation, sauf à prendre des dispositions permettant de lutter contre ces précurseurs chimiques, lesquels, pris isolément, sont des produits légaux, mais qui, lorsqu’ils sont assemblés, permettent de produire des drogues de synthèse extrêmement dangereuses pour nos concitoyens.
La CMP a amélioré la rédaction de cet article dans des conditions qui conviennent au Gouvernement.
Nous voulons aussi donner à nos douaniers les moyens de lutter contre la cyberdélinquance et la cybercriminalité.
L’article 9 leur permet de prendre connaissance et de saisir, au cours d’une retenue douanière, des objets et des documents, y compris les supports numériques, qui se rapportent à un flagrant délit douanier.
Nous parlons ici de données contenues dans un ordinateur, un disque dur, un smartphone, que nos agents pourront saisir et dont ils pourront faire une copie. La rédaction issue de la CMP reprend des précisions adoptées ici, au Sénat, puis supprimées par l’Assemblée nationale. Je pense notamment à l’exigence d’une autorisation « écrite et motivée » du procureur de la République pour décider de la restitution aux agents des douanes des données saisies aux fins d’en réaliser une copie.
Par ailleurs, nous proposons de permettre à nos agents de procéder au gel des données stockées sur des serveurs informatiques, lorsque ceux-ci se trouvent à l’extérieur du lieu perquisitionné.
Vous le savez, un nombre croissant d’infractions douanières sont commises à partir de contenus en ligne. Il s’agit, par exemple, de vente en ligne de produits de contrefaçon ou de tabac de contrebande.
C’est la raison pour laquelle l’article 12 du texte donne la possibilité à nos agents d’exiger des plateformes qu’elles procèdent au retrait de ces contenus. Si celles-ci ne répondent pas, nos agents pourront demander aux moteurs de recherche de procéder au déréférencement du contenu ou à la suspension du nom de domaine.
Je tiens à souligner que la navette a permis de conserver et de préciser le dispositif de sanction pécuniaire introduit par le Sénat, sur l’initiative de M. le rapporteur Albéric de Montgolfier, afin de garantir l’effectivité des décisions de retrait et de suspension pouvant être prononcées par le tribunal judiciaire à l’issue de la procédure.
Ensuite, ce texte tend à mieux utiliser les nouvelles technologies en matière d’enquête et de renseignement douaniers.
À ce titre, l’article 11 prévoit l’expérimentation d’une durée de conservation étendue à quatre mois des données issues de la lecture automatisée des plaques d’immatriculation (Lapi). Pour lutter contre le trafic de stupéfiants, notamment, nous voulons être capables de détecter les convois routiers organisés par les trafiquants. Cette mesure nous permettra d’être bien plus efficaces à cet égard.
L’article 6 du projet de loi vise à sécuriser le recours par la douane aux techniques de sonorisation et de captation d’image, en reproduisant le dispositif prévu par le code de procédure pénale pour les enquêtes douanières. Cette disposition essentielle et protectrice permettra de mieux séparer les utilisations préventives et les utilisations répressives de ces techniques spéciales d’enquête (TSE).
Les organisations que nous affrontons ne manquent pas de ressources, raison pour laquelle nous devons les frapper au portefeuille. Tel est sans doute le moyen le plus efficace pour les affaiblir. Ainsi, l’article 6 crée un dispositif de retenue temporaire d’argent liquide circulant à l’intérieur du territoire lorsqu’il existe des indices que cet argent est lié aux activités criminelles les plus graves.
Nous voulons aussi réformer le délit de blanchiment douanier. Il s’agit notamment d’inclure les crypto-actifs dans les types de fonds pouvant relever du délit de blanchiment douanier.
Vous le voyez, l’objectif de ce texte est d’offrir à nos agents la panoplie la plus complète possible, afin qu’ils puissent mener à bien leurs missions, en veillant scrupuleusement au respect du droit.
Oui, il faut donner à nos douaniers les moyens d’agir et il faut tout faire, dans le cadre de nos principes, pour ne pas entraver leur action.
Pour ma part, je refuse que le secret professionnel soit opposé à nos agents qui conduisent une enquête. C’est la raison pour laquelle un amendement porté par plusieurs députés LR a été voté à l’Assemblée nationale en vue de rendre inopposable le secret professionnel lorsque nos agents demandent la communication de documents.
Le compromis issu de la CMP doit être précisé, en assurant que l’ensemble des pouvoirs d’enquête soient concernés : c’est l’objectif d’un amendement de précision que le Gouvernement vous présentera.
Il faut aussi que l’identité des douaniers qui procèdent à ces retenues soit protégée. C’est la raison pour laquelle un article 10 bis AA a été introduit dans le projet de loi, en vue de prévoir un dispositif d’anonymisation.
Je note que le mécanisme voté à l’Assemblée nationale a été légèrement remanié dans le cadre de la CMP. En accord avec votre commission des lois, le Gouvernement propose de préciser la rédaction pour assurer que le renvoi au régime d’anonymat prévu par le code de procédure pénale soit bien de portée générale.
Enfin, vous le savez, ce texte nous permettra de mieux lutter contre le trafic de tabac. Il prévoit ainsi un renforcement des sanctions applicables.
Nous voulons, par exemple, créer une peine complémentaire d’interdiction du territoire pour les étrangers qui ont fait l’objet d’une condamnation pour contrebande de tabac.
Par ailleurs, nous durcissons les sanctions pénales applicables à la fabrication et à la détention de tabac de contrebande, qui sont portées d’un à trois ans d’emprisonnement. Si ces délits sont commis en bande organisée, la peine d’emprisonnement passera de cinq à dix ans.
Je veux aussi agir contre la vente illégale de tabac, qui fragilise les 24 000 buralistes de notre pays, auxquels je tiens à rendre hommage, car ils ont été très durement touchés par les pillages, certains ayant même été directement visés.
Nous avons besoin de ce réseau de buralistes : dans certains villages ou quartiers, le bureau de tabac est ainsi le dernier commerce, le dernier lieu de lien social, et parfois même un accès majeur aux services publics – on peut, par exemple, y régler des amendes et des factures du quotidien. En luttant contre le trafic de tabac, on permet donc à nos buralistes de continuer à être présents auprès des Français.
Je veux frapper plus durement les commerces, principalement des épiceries de nuit, qui vendent du tabac sans autorisation. Je relève que l’Assemblée nationale avait introduit des dispositions permettant de doubler la durée de fermeture administrative et de renforcer les sanctions en cas de non-exécution de la fermeture prononcée.
La CMP a souhaité revenir en partie sur ces dispositions, en supprimant la peine d’emprisonnement de deux mois prévue en cas de non-respect de la décision de fermeture administrative. Le Gouvernement prend acte de ce choix.
Enfin, depuis la présentation de ce texte, j’ai présenté une feuille de route gouvernementale de lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques.
Certaines de ses mesures peuvent être traduites dès à présent dans ce texte. C’est le cas, en particulier, de la transformation du service d’enquête judiciaire des finances en office national de lutte contre les fraudes aux finances publiques, référent en matière d’enquête judiciaire sur les fraudes graves et complexes qui visent nos finances publiques. Je me félicite que la CMP ait conservé intégralement ces dispositions essentielles pour la mise en œuvre des orientations portées par le Gouvernement.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les enjeux de ce texte. Bien plus qu’une modernisation juridique, c’est une mobilisation générale que nous engageons contre les trafics, contre les réseaux et pour celles et ceux qui agissent chaque jour pour protéger nos frontières et nos concitoyens.