Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’image du flux sanguin dans le corps humain, les finances publiques sont une matière vivante, un fluide qui circule dans l’État et irrigue la société. Elles sont autant les moyens de l’action publique que le vecteur des engagements et priorités politiques que celle-ci porte.
C’est encore plus vrai quand on se penche sur les finances sociales ! Il faut en effet se rappeler que les dépenses et les recettes de la sécurité sociale brassent des masses financières supérieures à celles du budget de l’État.
Le budget de la sécurité sociale est ainsi un objet incarné et concret, qui est l’un des cœurs battants de notre démocratie, par l’importance de son volume financier comme par ce que ces flux d’agent public représentent : l’effort solidairement consenti par la Nation en faveur de la santé, des familles, de l’autonomie ou encore des retraites de nos concitoyens.
Aussi, depuis leur création, en 1996, les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) se sont imposées comme le principal outil de contrôle parlementaire et de pilotage des finances sociales.
Leur discussion est devenue un moment majeur de la vie démocratique, durant lequel les parlementaires approuvent les grandes orientations des politiques portées par l’ensemble des branches, ainsi que les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses, qui déterminent les conditions de leur équilibre financier.
La naissance des lois de financement de la sécurité sociale fut un virage important et, en quelque sorte, la première étape constitutive d’un plus vaste mouvement d’affirmation du rôle de contrôle du Parlement, qui s’est progressivement renforcé au cours des trois dernières décennies.
Le texte qui est soumis ce soir à votre examen en constitue la plus récente expression.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour reprendre les mots d’Alain Lambert, qui a été l’un des prédécesseurs de mon collègue Gabriel Attal au ministère du budget et qui a également longtemps siégé dans cet hémicycle, le contrôle parlementaire sur les finances publiques est une « ardente obligation sans laquelle les fonctions du Parlement ne sauraient être réellement exercées ».
Le terme « contrôle » recoupe, en réalité, deux fonctions distinctes et tout à fait complémentaires. D’une part, il renvoie à un exercice de suivi des crédits budgétaires, afin de contrôler la régularité et l’effectivité de la dépense publique. D’autre part, il a ouvert la voie à un exercice d’évaluation de l’usage et de l’effet de la dépense publique, afin de déterminer si celle-ci a atteint ses objectifs, en posant, le cas échéant, la question de son amélioration d’un exercice à l’autre.
Cette notion d’évaluation des politiques publiques est ainsi devenue indissociable de votre mission constitutionnelle de contrôle de l’action gouvernementale, mesdames, messieurs les sénateurs. Elle est d’ailleurs gravée depuis 2008 dans la Loi fondamentale.
Dans la lignée de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) de 2001, nous avons collectivement fondé l’espoir de faire émerger une culture véritable et partagée de l’évaluation dans notre pays.
Aujourd’hui, je me réjouis de voir que l’évaluation des politiques publiques suscite un intérêt toujours croissant et, surtout, qu’elle tient une place de plus en plus importante dans notre système institutionnel.
Le fait de « rendre des comptes » est également essentiel au regard de la transparence que nous devons à nos concitoyens.
Rappelons-le, chaque euro dépensé au titre de nos politiques sociales, c’est l’argent des Français !
Enfin, la modernisation de notre cadre général des finances publiques, notamment l’importance croissante de l’intégration européenne, particulièrement depuis la mise en place en 2011 du semestre européen, soutient aussi cette exigence de consolidation d’une vision financière prospective, analytique et articulée.
Dans ces domaines, 2023 est ainsi également une année à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de nos finances sociales.
Il est important pour moi d’être présent ce soir, aux côtés de Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics pour l’examen, dans cet hémicycle, du tout premier projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss), qui porte sur l’exécution du budget pour 2022.
Ce nouveau Placss est une véritable avancée, très concrète pour nos finances sociales, mais aussi – surtout peut-être – pour les représentants de la Nation que vous êtes, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je tiens à rappeler et à souligner que sa création procède d’une initiative parlementaire. Je voudrais ici avoir un mot pour saluer le travail mené durant la précédente législature par Thomas Mesnier, ancien rapporteur général de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat, et, plus largement, par l’ensemble des parlementaires qui se sont investis et qui continuent à s’investir sur ce sujet important.
Ce projet de loi a été créé par vous et pour vous, mesdames, messieurs les sénateurs.
C’est pourquoi je regrette le symbole envoyé par son rejet à l’Assemblée nationale, même si les implications pratiques d’un tel vote sont, dans les faits, très limitées.
Désormais, comme pour le budget de l’État, l’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année écoulée fait l’objet d’un texte séparé, alors que ceux-ci étaient jusqu’à présent arrêtés au sein de la première partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Ainsi, parallèlement aux travaux du printemps de l’évaluation, ce projet de loi permet de renforcer l’information et la participation des représentants de la Nation aux travaux sur la situation des comptes sociaux et, surtout, d’en intégrer, en amont, les résultats aux débats, entourant les échéances budgétaires de l’automne, comme c’était déjà le cas pour les lois de finances avec la loi de règlement.
Ce nouveau schéma correspond bien mieux à la réalité et à la temporalité des finances sociales, avec les autres avancées permises par l’adoption de la loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, telles que l’intégration de la dette des hôpitaux et des établissements médico-sociaux au projet de loi de financement de la sécurité sociale ou encore l’enrichissement et la rationalisation de ses annexes.
J’en viens à la présentation de l’exécution des comptes sociaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de m’arrêter en particulier sur l’exécution de la branche maladie.
On peut dire que 2022 est, après l’explosion des dépenses en 2020 et 2021, en quelque sorte, le dernier véritable budget covid. En effet, si certains surcoûts exceptionnels liés à la pandémie ont encore perduré dans l’exercice 2023, c’est de façon résiduelle.
Il faut le rappeler : un budget ou un tableau de résultats est toujours indissociable de son contexte. Un chiffre, en soi, ne veut rien dire.
Aussi le solde négatif, à -21 milliards d’euros de la branche maladie, ne provient-il pas d’une mauvaise gestion. Il s’explique essentiellement par la prise en compte des effets de la crise sanitaire et de l’inflation, qui sont des chocs exogènes que nous avons dû absorber pour protéger notre système de santé.
Ces 21 milliards d’euros supportés par la branche maladie, en plus de ses recettes, sont là pour assurer la prise en charge des dépenses de santé et garantir l’accès aux soins de tous les assurés.
Il faut aussi lire ce chiffre dans un contexte temporel.
Après que la pandémie a fait plonger ce solde à -30, 5 milliards d’euros en 2020, le résultat de la branche maladie de 2022 s’inscrit dans une trajectoire positive de retour progressif à la normale. Il succède à la première amélioration de 2021, où ce solde était remonté à -26, 1 milliards d’euros, soit une résorption du solde négatif supérieure à 5 milliards d’euros en un an.
On voit bien, en regardant les comptes de 2022 dans leur ensemble et dans le temps, qu’ils répondent à ce double impératif de rechercher constamment l’équilibre entre la maîtrise de l’évolution des dépenses, tout en continuant d’améliorer l’état de santé de la population.
Par ailleurs, il faut noter que la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) voit son excédent s’améliorer, à 1, 7 milliard d’euros.
Plus largement, au-delà des dépenses exceptionnelles de 2022, il faut souligner que la trajectoire de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) 2022 s’inscrit dans une hausse constante, depuis 2017, des moyens alloués à la santé, comme le reflet de l’ambition prioritaire que le Président de la République accorde à ce sujet.
Les fortes dépenses de ces dernières années ne relèvent pas que de la gestion de crise ! C’est aussi de l’investissement dans notre système de santé : de l’investissement dans les infrastructures en rénovant et reconstruisant nos établissements de santé, de l’investissement dans nos ressources humaines, par une hausse historique du point d’indice – la plus forte depuis trente-sept ans, qui a bien évidemment bénéficié à la Fonction publique hospitalière (FPH) –, par les revalorisations du Ségur et de la mission flash sur les urgences et soins non programmés de l’été dernier.
Encore une fois, cela se fait dans une trajectoire positive, mais responsable, puisqu’en 2022, la situation financière des régimes de base de la sécurité sociale s’est améliorée, avec un déficit des régimes de base et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) de 19, 6 milliards d’euros, soit une réduction de 4, 6 milliards d’euros par rapport à 2021.
C’est, bien sûr, le fait du repli des dépenses liées à la crise sanitaire, mais aussi – il faut le souligner – du dynamisme des recettes liées au rebond de l’activité économique et de l’emploi.
Les recettes de ces régimes ont progressé de 5, 4 % en 2022, alors que l’Insee enregistrait 337 000 créations nettes d’emplois en 2022 et près de 1, 7 million de créations nettes d’emplois depuis 2017.
Pour les années à venir, le Gouvernement réaffirme sa détermination à réduire le déficit de la sécurité sociale et à garantir le financement de notre modèle de protection sociale, qui est la condition de sa pérennité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous devez envisager ce nouveau rendez-vous estival pour les deux chambres du Parlement comme un outil supplémentaire qui améliore l’information des représentants de la Nation sur nos finances sociales, renforce l’appropriation parlementaire des lois de financement de la sécurité sociale et rationalise les débats.
Que l’on partage ou non les choix politiques du Gouvernement, ce rendez-vous est toujours utile pour tirer les leçons de l’année écoulée et mieux préparer collectivement le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Le Sénat a largement voté, au mois de février 2022, le projet de loi organique instaurant cette nouvelle loi d’approbation des comptes sociaux.
C’est pourquoi, dans le cadre de la dynamique de renforcement de l’évaluation de nos équilibres financiers par le Parlement, je vous invite à voter ce texte, pour vous saisir pleinement de ce nouvel instrument, que vous avez souhaité et qui vous est offert.