Intervention de Jean-Noël Barrot

Réunion du 5 juillet 2023 à 15h00
Sécurisation et régulation de l'espace numérique — Article 22

Jean-Noël Barrot :

Le Gouvernement préférait la rédaction initiale.

En effet, cet amendement vise à ajouter au sein de la LCEN des délits relevant d’infractions haineuses à la liste déjà élargie par la commission spéciale.

Dans la première version, l’amendement tendait à supprimer certaines dispositions posant des difficultés d’ordre constitutionnel.

Un opérateur privé ne peut pas être poursuivi pour ne pas avoir dénoncé des faits qu’ils ne pouvaient pas identifier comme des infractions à la simple lecture des contenus. Le caractère manifeste des contenus illicites a du reste déjà été soulevé par le Conseil constitutionnel dans le cadre de la censure de la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia.

J’aurais donc émis un avis favorable sur le présent amendement dans la version initiale.

Comme je l’ai indiqué, la commission spéciale a étendu la liste des infractions haineuse en ligne en y ajoutant la référence à une trentaine de nouvelles infractions. Cette extension a pour effet d’étendre le champ de l’obligation faite aux hébergeurs d’informer promptement les autorités compétentes des activités illicites signalées, obligation dont le non-respect est pénalement sanctionné.

Si l’ajout de plusieurs infractions est bienvenu – je pense notamment aux incitations à la violence contre les élus ou à s’armer contre l’autorité de l’État –, l’introduction d’un certain nombre d’autres me paraît problématique.

Il sera en effet délicat, pour des acteurs privés qui ne sont pas investis d’une mission d’intérêt public et qui ne disposent pas de compétences judiciaires, de se conformer à cette obligation dès lors que l’illicéité des contenus signalés est dépourvue de caractère manifeste. Permettez-moi de donner quelques exemples.

Comment un opérateur privé peut-il déterminer si une dénonciation adressée un officier de justice ou de police est totalement ou partiellement inexacte, comme le prévoit l’article L. 226-10 du code pénal ?

Comment un opérateur privé peut-il savoir si des données personnelles ont été divulguées sans autorisation de l’intéressé, comme le prévoit l’article L. 226-22 ?

Comment un opérateur privé peut-il avoir la certitude qu’une personne n’a pas respecté les obligations ou les interdictions imposées par une ordonnance de protection, comme le prévoit l’article L. 227-4-2 ?

À mon sens, dans ces trois cas, l’opérateur privé ne sera pas en mesure de remplir l’obligation qui lui est faite, celle-ci supposant de détenir une compétence qui relève de l’autorité judiciaire.

Les sénateurs qui ont saisi le Conseil constitutionnel au regard de la loi Avia pointaient d’ailleurs les difficultés de qualification juridique auxquelles ce texte exposait les opérateurs privés.

J’estime donc qu’il est préférable, afin de sécuriser le présent article, de retirer de la liste les infractions dont le contenu n’est pas manifestement identifiable.

Si les infractions visées sont évidemment graves, l’ajout de la référence à l’article L. 226-8-1 relatif à la publication non consentie d’hypertrucages pornographiques présenterait, me semble-t-il, la même difficulté d’application, en raison de l’absence d’illicéité manifeste des contenus pour un opérateur privé.

Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.

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