Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, en cette période de début de congés estivaux, j’ai une pensée particulière pour les millions de familles qui partent en vacances avec leurs enfants, mais aussi pour celles qui ne partiront peut-être pas.
Les raisons en sont diverses, mais le ministre chargé de la petite enfance et des familles que je suis ne s’y résigne jamais. Cette année encore, avec les collectivités locales, avec les acteurs associatifs mobilisés, nous ferons en sorte d’aider autant d’enfants que possible à profiter de ces moments de respiration et d’épanouissement personnel, à découvrir de nouveaux horizons.
Je referme dès à présent, ce qui, en réalité, est plus qu’une parenthèse, car en évoquant les difficultés d’accès de certaines familles à des loisirs ou à des services précis et les inégalités entre les foyers, j’évoque aussi les enjeux d’équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale des parents, d’accès des enfants à des temps de socialisation, de soutien et d’accompagnement à la parentalité.
Autant de défis qui résonnent avec l’article 10 du présent projet de loi, qui vise à mettre en œuvre le service public de la petite enfance, dont les contours, qui figuraient dans le programme du Président de la République, ont été précisés le 1er juin dernier par la Première ministre.
À ce titre, j’ai aussi une pensée particulière pour ces familles qui, à l’issue des commissions d’attribution qui se sont tenues au cours des dernières semaines, abordent les vacances sans certitude d’avoir une solution d’accueil pour leur enfant à la rentrée.
Cette réforme est pour elles, pour tous ces parents qui ont connu l’inquiétude de la rentrée, ont craint les conséquences que cela peut avoir, y compris en matière d’accès au marché du travail.
C’est pourquoi cette réforme porte une double ambition : assurer le déploiement en nombre suffisant de places d’accueil pour apporter une solution adaptée à chaque famille, d’une part, et garantir une haute qualité d’accueil à tous les enfants, d’autre part.
Pour lui donner forme, le Gouvernement a pris le temps, tout au long de ces dix derniers mois, d’effectuer une large concertation. Celle-ci a été en grande partie menée par Élisabeth Laithier, maire adjointe à Nancy chargée de la petite enfance pendant vingt-quatre ans, experte référente au sein de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, et présidente du comité de filière de la petite enfance, à qui j’avais confié le pilotage local du Conseil national de la refondation dédié à la petite enfance.
Pour bâtir cette réforme, nous sommes partis de quatre fondamentaux : d’abord, les besoins des enfants et de leurs parents ; puis, les attentes des professionnels et les messages qu’ils nous ont fait passer ; ensuite, les demandes des acteurs du bloc communal, les communes rurales, urbaines et les intercommunalités étant en première ligne sur le sujet ; et enfin, en conséquence, l’organisation, de l’avis général perfectible, des compétences des différents acteurs publics.
Les besoins des parents sont clairs ; ils les formulent dès que nous les interrogeons. À ce titre, les résultats de l’enquête « Parents » réalisée par Ipsos en avril dernier pour le ministère des solidarités sont éclairants. Ils montrent à quel point la recherche d’un mode d’accueil reste trop souvent un parcours du combattant, 61 % des parents déclarant que cela a constitué une source de stress importante, voire très importante pour 28 % d’entre eux.
Répondre aux besoins de ces parents « en galère » – cette expression est le strict reflet de leur vécu – est une priorité sociale.
La réponse à cette priorité ne peut exister sans l’action déterminée de professionnels dévoués qu’il nous faut davantage soutenir. Là encore, les attentes sont claires et les défis, nombreux : environ 10 000 professionnels font aujourd’hui défaut au sein des crèches, et 120 000 assistants maternels pourraient cesser leur activité d’ici à 2030, s’ajoutant aux 40 000 professionnels qui en ont déjà fait autant entre 2017 et 2021.
Nous avons évidemment besoin de professionnels formés en nombre suffisant, et donc, épanouis. Il nous faut restaurer l’attractivité des métiers de la petite enfance pour réenclencher une dynamique vertueuse favorisant les recrutements. Cela passe par des revalorisations salariales et par une amélioration du sens au travail, de la qualité de vie et des perspectives d’évolution.
Pour la première fois, l’État sera présent pour accompagner ces revalorisations salariales dans le secteur de la petite enfance. La convention d’objectifs et de gestion entre l’État et la Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf), que j’ai signée ce matin même et qui avait été adoptée très largement le 4 juillet dernier par le conseil d’administration de la Cnaf, prévoit la mobilisation de plus de 200 millions d’euros conditionnée à l’amélioration du socle de droits sociaux des professionnels de la petite enfance.
Au-delà de ce soutien aux professionnels, l’ampleur du défi auquel nous faisons face appelle une action résolue, reposant sur des objectifs communs et une mise en cohérence de l’ensemble des initiatives.
C’est sur ce fondement que j’ai très tôt engagé des travaux associant étroitement les collectivités locales et leurs représentants. S’agissant d’une politique partenariale faisant intervenir tous les échelons de compétences – l’État, les communes et leurs groupements, les régions, les départements –, il était bien sûr indispensable de créer un véritable espace de dialogue et de coconstruction.
C’est le pari que nous faisons avec cette réforme.
Son volet quantitatif figure dans ce projet de loi sur le plein emploi – et il y a toute sa place –, tout simplement parce que l’on estime que plus de 150 000 personnes, principalement des femmes, sont empêchées de prendre ou de reprendre un emploi, faute de mode d’accueil pour leur jeune enfant.
Le dispositif qui vous est proposé vient avant tout conforter la compétence des communes, désignées autorités organisatrices en matière d’accueil du jeune enfant. Cheffes de file naturelles, les communes et intercommunalités pourront ainsi mieux piloter l’offre du territoire, par exemple en refusant les installations de structures qui ne leur semblent pas correspondre aux attentes et aux besoins locaux, ou en aidant les parents et les assistants maternels qui en ressentent le besoin à s’acquitter de leurs formalités administratives.
Pour exercer leurs nouvelles responsabilités, par exemple en matière de formalisation d’un schéma d’accueil du jeune enfant pour les communes de plus de 3 500 habitants, ou d’installation d’un relais petite enfance pour celles de plus de 10 000 habitants, les maires pourront compter sur un soutien renforcé et adapté à leurs besoins.
La nouvelle convention d’objectifs et de gestion prévoit ainsi près de 6 milliards d’euros supplémentaires d’ici la fin du quinquennat pour atteindre les objectifs du service public de la petite enfance.
Ces financements, qui seront déployés très rapidement, permettront de garantir une réponse aux besoins d’accueil des familles partout sur le territoire. Ils viendront soutenir l’action des communes et des intercommunalités, avec non seulement des moyens directs en investissement pour faire sortir de terre de nouvelles places d’accueil, mais aussi, et surtout, des aides en fonctionnement considérablement renforcées en réponse à des demandes formulées de longue date.
De même, parce que cela avait été relayé par de nombreux maires, de nouveaux moyens en ingénierie seront mis en place, sous la forme de plus de 100 équivalents temps plein (ETP) qui accompagneront les communes qui le souhaitent.
Cet appui massif de l’État aura d’autant plus de poids qu’il viendra crédibiliser la stratégie nationale de la politique d’accueil du jeune enfant – dont je vous proposerai le rétablissement –, et qu’il doit permettre de définir les besoins en personnel pour les années à venir et nous offrir une vision globale des enjeux.
Personne ne connaît mieux ces enjeux de planification de l’offre que les communes. C’est bien pourquoi l’article 10 vise avant tout à conforter le rôle central qu’elles jouent, mais aussi à clarifier leurs relations avec les autres collectivités et la branche famille de la sécurité sociale.
C’est également la raison pour laquelle, et en réponse aux préoccupations que vous avez été un certain nombre à exprimer, je proposerai deux mesures pour aller plus loin pendant nos discussions : l’une vise à donner une plus grande place à la concertation avec les collectivités locales dans le cadre de la formalisation de la stratégie nationale que je viens d’évoquer ; l’autre tend à mettre à profit les prochaines semaines en soumettant les différents volets de cette réforme, notamment en matière de qualité d’accueil, à un dialogue renforcé avec les collectivités.
Car, si elle comporte un important volet quantitatif, dont je viens de résumer les grandes lignes, cette réforme s’appuie aussi sur le renforcement impératif de la qualité d’accueil du jeune enfant, enjeu sur lequel la parole des collectivités, et notamment des départements, est essentielle.
C’est tout l’objet des annonces que j’ai faites il y a deux semaines. Il nous faudra ainsi collectivement restaurer l’attractivité du secteur – j’en ai parlé –, améliorer la qualité institutionnelle de l’accueil et prévenir le risque de maltraitance en réformant les règles d’organisation et de financement des modes d’accueil, et instaurer un réflexe de vigilance en renforçant le système d’alerte, de contrôle et de suivi des suspicions de maltraitance, mission dont le Gouvernement a confié la préfiguration à Florence Dabin, présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est bien en avançant de front sur ces trois axes – qualité, quantité, moyens – que nous pourrons, non seulement concrétiser la promesse du service public de la petite enfance, mais surtout répondre aux immenses défis auxquels nous sommes confrontés : défi du soutien aux parents et aux professionnels, défi du développement de l’enfant, avec une réforme qui est le pilier de la politique des « mille premiers jours » et, enfin, défi de la natalité, car, en mettant fin au parcours du combattant des familles, le service public de la petite enfance est aussi un investissement d’avenir, un levier pour renforcer la confiance et le soutien aux parents d’aujourd’hui et de demain.
C’est ce à quoi nous appelle l’Union nationale des associations familiales, dont la présidente Marie-Andrée Blanc n’était autre que l’auteure de l’avis rendu en mars 2022 par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur le service public de la petite enfance, sur lequel l’ensemble de la concertation a été fondée.
C’est donc une réforme majeure, aux multiples facettes, sociale, sociétale, économique, politique, qui vous est proposée aujourd’hui.
Ses contours dépassent ceux de l’article 10 du projet de loi, avec un plan pour la qualité de l’accueil et des revalorisations salariales. Mais c’est avec les évolutions de gouvernance prévues par ce même article 10, qui conforte le bloc communal et clarifie ses modalités d’intervention, que l’ensemble de ces efforts produiront pleinement leurs effets, prouveront leur efficacité, et répondront aux attentes des familles.