Intervention de Raymonde Poncet Monge

Réunion du 10 juillet 2023 à 16h00
Plein emploi — Question préalable

Photo de Raymonde Poncet MongeRaymonde Poncet Monge :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voilà au troisième acte du plan « Objectif plein emploi », présenté par le Gouvernement en septembre dernier, qui faisait de la réforme de l’assurance chômage et de celle des retraites les deux premiers temps d’une politique de l’emploi conduisant notamment à la précarisation généralisée des travailleurs du pays.

Ce projet de loi, dit « pour le plein emploi », vise à réformer complètement le service public de l’emploi, sans qu’aucune étude dresse l’état des lieux de la précédente fusion de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) et de l’Assédic et sans que le Gouvernement s’interroge ni sur les emplois vacants qu’il cherche frénétiquement à combler ni sur l’état du travail en France.

Quarante ans de lois ayant trait à l’emploi avec un seul point aveugle : le travail ! L’état du travail en France en signe le bilan.

En effet, ce que nous avions soutenu lors de la réforme de l’assurance chômage, ce que nous avions inlassablement répété lors de la réforme des retraites, nous le redisons à l’occasion de l’examen de ce projet de loi : le Gouvernement maltraite le monde du travail au travers de multiples réformes dans le seul but d’augmenter le taux d’emploi sans s’attaquer à la question primordiale du travail !

Facteurs d’exposition aux risques physiques, exposition aux risques chimiques, intensité du travail, autonomie, etc. : selon tous les indicateurs, les performances françaises sont désastreuses, y compris par rapport à nos voisins européens.

D’après l’enquête européenne sur les conditions de travail, 34 % des travailleurs français souffrent de postures douloureuses dans leur travail contre 22 % en Allemagne ; 49 % souffrent d’anxiété au travail contre 30 % en Europe ; 45 % des Français estiment être correctement payés contre 58 % des Européens et plus des deux tiers des Allemands.

Enfin, 39 % estiment que des risques pèsent sur leur santé du fait de leur activité professionnelle, soit six points de plus que la moyenne des travailleurs européens.

Depuis quarante ans, les conditions de travail se dégradent. Selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), en 2016, un tiers des salariés étaient exposés à au moins trois contraintes physiques, soit trois fois plus qu’en 1984, les troubles psychologiques et l’épuisement professionnel étaient à l’origine de 20 % des arrêts.

Qu’importent ces alertes : dans la droite ligne des politiques d’activation en faveur des chômeurs, le Gouvernement se préoccupe uniquement des centaines de milliers de postes vacants, auxquels il consacre toute sa politique d’orientation et de contrainte des populations sans emploi, sans jamais s’interroger sur les causes de leur non-attractivité.

Cette politique vise à réduire les capacités de négociation des demandeurs d’emploi et à promouvoir une société du « précariat ».

Une méta-analyse de quatre-vingt-quatorze études de l’université de Cambridge, publiée l’année dernière, documente le sujet.

Ses conclusions soulignent que, si les sanctions améliorent le taux de retour à l’emploi, cela s’effectue au détriment de la qualité de l’emploi retrouvé, au prix d’externalités négatives comme l’augmentation des non-recours, du halo du chômage, de la dégradation de la santé des travailleurs, de l’augmentation de la maltraitance infantile et de l’explosion de la pauvreté des demandeurs d’emploi.

Avec vingt ans de retard, votre gouvernement copie les lois Hartz adoptées en Allemagne qui avaient réformé le service public de l’emploi et établi une jonction de celui-ci avec les structures d’accompagnement des allocataires de minima sociaux.

Ces lois étaient accompagnées – comme vous l’avez fait – d’une réforme de l’assurance chômage qui diminuait la durée d’indemnisation.

Le bilan de ces politiques agressives d’activation en faveur des chômeurs valide les résultats de l’étude de Cambridge.

Certes, les lois Hartz ont créé 2, 5 millions d’emplois, mais, comme le souligne l’étude de la direction générale du Trésor, ceux-ci correspondent majoritairement à des temps partiels, des contrats courts ou intérimaires, de sorte que le bilan des lois Hartz s’est traduit par l’augmentation du taux de pauvreté global.

Les lois Hartz ont effectivement amélioré l’appariement entre l’emploi et les chômeurs, mais au détriment de ces derniers, contraints et forcés d’accepter des emplois dégradés, en permettant aux entreprises de multiplier les emplois précaires et de faible productivité, enfermant ainsi des générations entières, et surtout les jeunes, dans la précarité.

Ainsi, le Gouvernement impose une réforme de précarisation des travailleurs en toute connaissance de cause, car il sait que les 6 % d’emplois vacants présentent un défaut majeur d’attractivité.

Les employeurs concernés ne sont d’ailleurs pas dupes, puisque, selon Pôle emploi, 75 % d’entre eux reconnaissent que les conditions de travail des postes proposés découragent les candidats.

La Dares, dans une étude sur les conditions de travail et les difficultés de recrutement, indique que « même quand l’employeur ne les évoque pas explicitement, la plupart des conditions de travail demeurent significativement corrélées aux problèmes de recrutement ».

Face à cela, le Gouvernement feint de découvrir que l’accompagnement à l’emploi est insuffisant, sans évoquer le manque de moyens des travailleurs sociaux et les portefeuilles des conseillers accompagnant parfois jusqu’à 1 000 personnes.

Or ce projet de loi ne propose aucune fourchette de nombre de personnes s’agissant des portefeuilles et la simple évocation de ratios est d’ailleurs frappée d’irrecevabilité.

Le Gouvernement peut bien regretter que 60 % des allocataires du RSA ne soient pas inscrits à Pôle emploi, mais si ceux-ci ne le sont pas, c’est parce que la plupart d’entre eux ne sont pas parvenus au stade de demandeurs d’emploi dans leur parcours.

Quant à ceux qui effectuent des allers-retours dans le dispositif, c’est précisément parce qu’ils sont majoritairement prisonniers d’emplois précaires, en CDD, en temps partiel ou en intérim.

Vous pouvez donc réformer une nouvelle fois le service public de l’emploi ou le privatiser davantage, multiplier les réformes antisociales en imaginant que les emplois vacants sont des trous qu’il faut contraindre les travailleurs à boucher. On accélère ainsi le turn over, le mouvement de démissions déjà en cours et la généralisation de la précarité.

En définitive, le bilan des politiques menées par d’autres pays, que le Gouvernement copie, en dit long sur la société qu’il annonce et l’accentuation de la rupture avec notre modèle républicain de protection sociale.

Ces politiques dessinent une société qui, pour reprendre Hannah Arendt, transforme l’homme en animal laborans, prisonnier de métiers pénibles et précaires.

D’après le Gouvernement, le monde du plein emploi est un monde productiviste, alors que le dépassement des limites planétaires nous invite collectivement à revoir les politiques sociales et économiques.

C’est un monde du travail dégradé, alors que de plus en plus de travailleurs se questionnent sur le sens de leur travail et démissionnent.

C’est un monde où aucune activité autre que celle de la production marchande n’est prise en compte, alors que l’urgence est à une société du soin, de l’entraide et de la solidarité.

Contre cette société du plein emploi, celle des bullshit jobs, nous défendons le plein emploi solidaire avec des emplois utiles sur les plans social et environnemental via la garantie d’emploi.

Contre ce modèle productiviste qui entraîne la planète entière dans la catastrophe climatique, nous défendons le ralentissement, la baisse du temps de travail et le partage des richesses.

Contre le workfare, nous défendons l’instauration d’un revenu minimum garanti sans contrepartie, car la pauvreté est la première trappe à l’emploi, ce qui rend inepte l’opposition entre prestation et travail.

C’est le revenu qui insère. L’effort d’insertion ne doit pas peser uniquement sur les personnes précaires, mais d’abord sur les pouvoirs publics, car la pauvreté reste un phénomène structurel qui convoque la responsabilité de toute la société.

En d’autres termes, la réciprocité implique d’abord une responsabilité collective de solidarité envers les plus pauvres et ne doit être confondue ni avec la logique de rétribution ni avec la logique paternaliste et punitive qui oriente vos politiques sociales.

La politique de l’emploi durable et solidaire doit tout d’abord miser sur l’accompagnement, non seulement des entreprises en difficulté de recrutement, mais aussi des personnes, a fortiori lorsque celles-ci sont dans des situations sociales difficiles qui requièrent non pas des sanctions ou de la défiance, mais des politiques d’insertion sociale ou portant sur la santé, le logement, les transports ou la petite enfance.

À l’instar des retraites, pour lesquelles vous avez renvoyé à plus tard le débat sur le travail, dans ce projet de loi, vous renvoyez à plus tard l’analyse de la crise d’attractivité des emplois. Les deux sujets sont pourtant liés.

Pour trois lois, les questions de fond ont été escamotées.

Le groupe écologiste conteste cette inversion des priorités et vous propose, en conséquence, de voter la motion tendant à opposer la question préalable.

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