Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les expérimentations prévues ont à peine démarré que le Gouvernement présente ce projet de loi, qui, comme la réforme des retraites, escamote la question du travail.
En fait, France Travail n’est rien d’autre que France emploi. Il n’a qu’un objectif : atteindre 5 % de chômage. Ce taux permettra de baisser les allocations chômage, comme prévu. Avec la réforme des retraites, la boucle de l’attaque contre le monde du travail se refermera.
On retrouve les chantiers engagés par Laurent Wauquiez sous M. Sarkozy : premièrement, la réforme de l’assurance chômage ; deuxièmement, un plan pour l’emploi des seniors ; troisièmement, un nouveau service public de l’emploi.
À l’époque, M. Wauquiez avait lancé Pôle emploi, issu de la fusion de l’ANPE et de l’Assédic. Il avait alors fait cette promesse : « [Nous constituerons] d’ici trois ans le service public de l’emploi le plus performant d’Europe. »
On retrouve aujourd’hui la même doctrine des économistes libéraux de l’emploi ; et quel est son bilan ?
Le résultat de cette fusion, ce sont dix-sept suicides d’origine professionnelle. Ce sont des effectifs qui stagnaient à 56 000 agents en 2022, alors que l’Allemagne, pourtant modèle de cette réforme, dispose du double pour son service public de l’emploi.
Le résultat, ce sont des portefeuilles surdimensionnés, de sorte que, selon le rapport de la mission flash que l’Assemblée nationale a consacrée à Pôle emploi en 2019, « les agents ont appris à vivre avec la pénurie d’effectifs ».
Seuls augmentent les personnels chargés des contrôles : ils sont passés de 200 lors de la fusion à 1 000 en 2020, ce qui en dit long sur les nouvelles priorités du service public de l’emploi… Ce projet de loi confirme encore la tendance, puisqu’il dote l’opérateur France Travail de pouvoirs de sanction accrus.
Les premiers articles du présent texte s’inscrivent dans ce processus sur la base d’un diagnostic erroné.
Si, comme le déplore le Gouvernement, 60 % des allocataires du RSA ne sont pas inscrits à Pôle emploi, c’est d’abord parce que 40 % de ceux qui sont dans le halo du chômage ont des problèmes de santé. C’est aussi parce qu’un allocataire du RSA sur quatre subit des difficultés en matière de logement.
Pour ces allocataires, la première étape du parcours demeure en conséquence l’inclusion sociale. Or, à mesure que le RSA s’éloigne du seuil de pauvreté, celle-ci devient de plus en plus difficile. Désormais, un tiers des actions d’accompagnement visent l’accès aux soins, un cinquième le soutien familial et la garde d’enfant, et 13 % l’accès au logement.
Ces problèmes sociaux réclament des politiques sociales ambitieuses pour lever les freins à l’emploi, non une politique de sanctions et de contrôles qui, comme l’ont démontré les chercheurs L’Horty, Le Gall et Chareyron, ne fera qu’aggraver le non-recours.
Madame la rapporteure, nos analyses sont documentées. Elles se fondent sur des études et sur des statistiques que vous vous obstinez à ignorer. Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas de simples avis personnels.
Ce que France Travail prépare avec ces dispositions, c’est, à l’inverse, une précarisation accrue. Les personnes les plus en difficulté seront contraintes d’occuper les emplois les plus difficiles et les moins attractifs.
En parallèle, les missions locales risquent fort d’être mises sous tutelle. Elles défendent un modèle d’accompagnement complet du public jeune, y compris au titre de la garantie jeune. Or le Gouvernement les a mises en concurrence avec Pôle emploi, via le contrat d’engagement jeune, qu’il prétend ouvrir à tous en en faisant un contrat d’engagement unique.
Non seulement la gouvernance de France Travail écarte les syndicats des comités territoriaux et locaux, mais elle impose une coprésidence aux départements et aux régions. Elle aboutit ce faisant à l’écrasement des discours alternatifs.
Les collectivités territoriales seront progressivement dépossédées de leurs compétences en matière d’accompagnement social et de formation. Derrière les critères d’orientation, les référentiels et les systèmes communs conçus par l’opérateur France Travail se profile l’uniformisation de l’accompagnement. Le seul objectif sera le retour à l’emploi, coûte que coûte, quelle que soit la qualité du poste proposé.
Une telle logique fait fi de tout ce que les allocataires du RSA accomplissent pour leur famille, pour leur quartier, ou tout simplement pour survivre. Écoutons ces personnes – leur ressenti fera d’ailleurs l’objet d’un rapport spécifique. C’est « un boulot de dingue » de vivre avec le RSA. Vous aurez bien sûr entendu l’allusion au « pognon de digue », véritable stigmate présidentiel.