Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre du projet de loi pour le plein emploi.
Si, au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous partageons l’ambition d’atteindre cet objectif, nous n’avons de toute évidence pas la même vision de ce que recouvre cette notion, puisque dans ce texte, le plein emploi doit être obtenu à tout prix, envers et contre tout. Cette vision est bien trop brutale et stigmatisante !
En 1988, lorsque la gauche a fait adopter à l’unanimité la création du RMI, aujourd’hui RSA, l’important était de garantir à tous un moyen de vivre, ou plutôt de survivre, en même temps qu’un droit à l’insertion sociale et professionnelle.
Dans ce texte, le Gouvernement change la philosophie du RSA. Il instaure un déséquilibre entre droits et devoirs et nourrit l’insécurité de personnes déjà très fragilisées.
Auparavant l’on considérait que la société avait le devoir d’insérer et d’accompagner les allocataires ; aujourd’hui, c’est l’inverse : ce sont les allocataires qui ont des devoirs, des obligations.
Or plus de 30 % des Français ayant droit au RSA ne le demandent pas ! Il aurait fallu des propositions pour lutter contre ce non-recours, mais il n’y en a aucune, ou plutôt si : la conditionnalité et de nouvelles sanctions, qui risquent d’aggraver davantage la précarité des plus fragiles !
Oui, ce texte est injuste envers les demandeurs d’emploi et représente une véritable violence sociale.
Ce texte est tout aussi flou que recentralisateur. Il est flou en ce que ses auteurs ont soigneusement évité de parler des moyens et ont renvoyé à des décrets – dont on ne sait rien – la mise en œuvre de nombre de dispositions. Où sont les milliards d’euros qui permettraient de mettre en place l’accompagnement intensif et personnalisé promis, et d’accéder à un emploi durable ?
De même, le texte tend à recentraliser certaines compétences. Ainsi, la compétence exclusive des régions en matière de formation professionnelle des demandeurs d’emploi, issue de quarante ans de décentralisation, devient une compétence partagée entre l’État et la région. Le rôle de la région sera demain réduit à celui d’opérateur de l’État !
Comment les représentants des collectivités territoriales que nous sommes peuvent-ils accepter cela, alors même que notre assemblée vient de rendre quinze nouvelles propositions pour redonner aux élus locaux leur pouvoir d’agir, issues du groupe de travail sur la décentralisation lancé par le président du Sénat en octobre dernier ?
Les collectivités et leurs élus attendent de nous une décentralisation claire et des transferts de compétences effectifs. La régionalisation des compétences de l’emploi et de la formation professionnelle est un modèle efficient et conforme à celui de la plupart des autres pays européens ; pourquoi la remettre en question ?
Nous nous inquiétons particulièrement pour notre jeunesse qui est jusqu’ici suivie par les missions locales, car elles aussi sont mises à mal. Elles jouent un rôle décisif dans l’accès à l’emploi des jeunes, mais pas seulement ! L’ensemble des jeunes qui fréquentent les missions locales ne correspondent pas à la définition du demandeur d’emploi. Il ne faudrait pas que la logique par trop administrative du projet de loi s’avère contre-productive dans la relation d’accompagnement et en matière d’accès au droit.
Nous veillerons donc à préserver, par voie d’amendement, ce véritable service public territorialisé de l’insertion des jeunes, dont l’atout est d’avoir une approche globale de l’accompagnement.
Vous l’avez compris, nous sommes opposés à ce texte, qui vise à remettre chacun au travail à marche forcée. Il s’agit en effet d’augmenter encore un peu plus la pression et les menaces sur les personnes sans emploi !
Nous n’acceptons pas les petites phrases qui consistent à faire penser qu’il suffit de traverser la rue ou même de faire le tour du Vieux-Port pour trouver un emploi. Il faut que ces provocations cessent !
Pour nous, il est important que l’individu s’inscrive dans une logique d’insertion professionnelle durable au point de vue de la motivation, du projet et du salaire, afin qu’il n’abdique pas toute aspiration professionnelle ou personnelle.
Le travail est un facteur d’intégration et d’émancipation, s’il est librement choisi et s’il s’exerce dans des conditions décentes. Aussi, un véritable service public de l’emploi ne saurait forcer les personnes à occuper des emplois précaires et sous-payés. Au contraire, il doit organiser un droit à l’emploi de qualité pour tous. Telle est la vision que nous défendrons lors des débats ces prochains jours.
Je conclurai en rappelant que le Gouvernement nous avait également promis un projet de loi relatif à la petite enfance, afin de mieux répondre aux besoins des familles et de donner à chaque enfant les mêmes chances. Le compte n’y est pas au travers de l’article 10 du projet de loi – c’est une sorte de cavalier législatif –, qui est loin de créer un véritable service public global de la petite enfance. Du reste, sa mise en œuvre suscite des interrogations au regard des pénuries de personnel et des charges qui incombent déjà aux collectivités.