Vous répondrez que c’est pour respecter l’accord national interprofessionnel que vous avez souhaité revenir sur ce point.
Il est vrai, cela a été dit, que ce projet de loi a fait l’objet d’une importante négociation entre les partenaires sociaux. Même si l’on peut regretter qu’ils aient été, comme nous, contraints de négocier dans la précipitation et sur le fondement d’une feuille de route fixée par le Gouvernement, il n’en demeure pas moins que cette négociation a abouti à un accord, signé à l’unanimité, dont je conviens parfaitement qu’il nous appartient, en qualité de législateur, de tenir compte, tout comme il nous appartient de l’enrichir.
Le Gouvernement comme le Sénat ne se sont d’ailleurs pas privés de transcrire en actes ces propos, comme vient de le rappeler M. le rapporteur. La convention dont je viens de parler en est un exemple, tout comme, monsieur le secrétaire d’État, les articles 19 et 19 bis A en sont d’autres !
L’article 19, auquel nous sommes totalement opposés, est apparu dans le texte sans consultation préalable des partenaires sociaux. De même, l’article 19 bis A a été présenté par le Gouvernement en séance publique au Sénat et n’a pas été examiné par l’Assemblée nationale !
Nous considérons pour notre part que le transfert d’une partie des personnels de l’AFPA – les personnels d’orientation et les psychologues du travail – vers Pôle emploi est une étape supplémentaire dans la déconstruction du service public de l’emploi. Ce démantèlement vise à satisfaire les exigences européennes de concurrence que vous vous êtes vous-mêmes fixées, notamment en imposant le traité de Lisbonne au peuple français.
Je ne reviendrai pas sur nos débats, mais l’avis du Conseil de la concurrence sur ce point est clair. Ce qui est reproché, ce n’est pas tant l’attribution de subventions à l’AFPA que l’absence de cadre législatif la permettant, comme par exemple, la délégation de service public.
Ces dispositions ne sont en réalité qu’un prétexte pour ouvrir à la concurrence le champ de la formation professionnelle. Ce que vous voulez, c’est permettre à des opérateurs privés d’accéder aux 27 milliards d’euros de la formation, car pour vous, et pour l’Europe libérale que vous appelez de vos vœux, tout est concurrence.
Pour ces mêmes raisons dogmatiques, vous avez autorisé les opérateurs privés de placement à concurrencer Pôle emploi. Pourtant, dans le rapport qu’il a remis le 6 octobre dernier, Claude Seibel fait nettement ressortir une « différence d’efficacité entre les opérateurs privés et le service public », au bénéfice de ce dernier. Ainsi le placement des salariés privés d’emploi par le secteur privé est-il plus cher et moins efficace que lorsqu’il est confié au service public.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a de quoi s’inquiéter au sujet de la formation professionnelle !
Le transfert du patrimoine immobilier prévu à l’article 19 bis A est lui aussi inquiétant. Vous nous avez dit que l’octroi de subventions à l’AFPA était illicite d’un point de vue européen, d’où le démantèlement de cette association. Dès lors, on comprend mal comment une subvention en nature, dont le montant est estimé à 300 millions d’euros, pourrait être licite ! Naturellement, elle ne l’est pas, et nous comprenons tous ici que, si elle est tolérée, c’est parce qu’elle constitue en réalité un cadeau empoisonné à l’AFPA, susceptible de précipiter son démantèlement complet. §
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, certains des articles du projet de loi ne figuraient pas dans l’ANI et inversement. En décidant de ne pas faire figurer dans le projet de loi le droit à la formation initiale différée, vous avez tout simplement trahi l’esprit de cet accord. Si certaines mesures avaient pour effet de favoriser des formations directement utiles pour le retour à l’emploi – je pense par exemple à la préparation opérationnelle à l’emploi, la POE –, c’est que, par ailleurs, les salariés sortis du système scolaire sans diplôme se voyaient offrir une véritable seconde chance. L’absence de cette mesure est d’autant plus regrettable que ce projet de loi n’apporte en matière scolaire aucune réponse réelle pour les jeunes en situation de décrochage.
Apprentissage dès quinze ans, généralisation des « écoles de la seconde chance », transfert immédiat des coordonnées des élèves en décrochage scolaire à une liste d’organismes, dont on craint qu’il puisse s’agir d’entreprises d’intérim ou d’opérateurs privés de placement, suppression de l’action de la MGI, la Mission générale d’insertion : toutes ces mesures constituent pour nous autant de renoncements au rôle majeur que doit jouer l’éducation nationale, qui est de permettre à chaque jeune de sortir du système scolaire avec au moins un diplôme du cycle supérieur.
Concernant les CO-PSY, les conseillers d’orientation psychologues, vous donnez à penser qu’ils seraient incompétents ou insuffisamment formés aux métiers actuels ! Or ces femmes et ces hommes, professionnels formés au sein de l’éducation nationale, dont vous supprimez chaque année un nombre plus important de postes, sont confrontés non pas à une ignorance des métiers, mais à l’incertitude dans laquelle se trouvent les élèves, et leur famille, lorsqu’il s’agit de faire un choix d’orientation, dont ils savent qu’il débouchera sur des années de galère, de chômage, de précarité et sur une sous-reconnaissance de leur diplôme ! Monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez mettre en place tous les portails électroniques que vous voulez, tant que la situation de l’emploi ne sera pas stabilisée, tant que l’avenir que nous offrons aux jeunes ne sera pas meilleur que celui que nous leur proposons aujourd’hui, ils seront désorientés !
Votre conception de l’éducation nationale est à l’image du socle commun de connaissances et de compétences, c'est-à-dire réduite à un strict minimum. Pour vous, l’école doit permettre d’acquérir des compétences et des connaissances utiles dans le monde du travail. Pour nous, elle doit permettre le développement de citoyens épanouis. École et formation n’ont pour vous qu’une utilité : permettre l’employabilité des salariés.
André Malraux affirmait : « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas ». Pour ma part, je dirai : « le XXIe siècle sera le siècle des connaissances partagées ou ne sera pas ».
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre les conclusions du rapport de la commission mixte paritaire sur ce projet de loi.