Intervention de Claude Malhuret

Réunion du 29 juin 2023 à 10h30
Majorité numérique et lutte contre la haine en ligne — Vote sur l'ensemble

Photo de Claude MalhuretClaude Malhuret :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les réseaux sociaux sont devenus « l’une des principales menaces contre nos démocraties », disait, il y a peu, Barack Obama dans The Atlantic. Cette phrase peut sembler grandiloquente, mais elle ne l’est pas.

Le rêve de quelques geeks californiens du début des années 2000 d’un internet porteur d’une connaissance universelle, d’une transparence inédite et de nouveaux liens sociaux à l’échelle de la planète s’est transformé en une réalité beaucoup plus prosaïque. Les fake news, les discours de haine, le harcèlement, la désinformation, les manipulations électorales à grande échelle, les fermes à trolls ne sont que quelques exemples des dérapages d’une technologie qui connaît un succès mondial, mais bien souvent pour de mauvaises raisons.

Tout le monde est victime de ces dérapages, mais certains le sont plus que d’autres : il s’agit des adolescents, dont la personnalité est en construction et qui sont mal armés pour résister à ces risques. Je dis « adolescent », mais ce n’est pas, en fait, le terme adéquat, puisque nous savons que l’âge moyen de primo-inscription à un réseau social se situe désormais vers 8 ans et demi, la plupart du temps avec un contrôle parental minimal, voire absent.

Depuis peu, un nouveau venu a rejoint Facebook, Twitter, Instagram et quelques autres. Leurs algorithmes étaient addictifs, le sien entraîne une véritable dépendance et, bien entendu, tous se sont empressés de le suivre dans cette course à l’échalote de l’assuétude, où la qualité des contenus et l’intérêt des enfants ont été jetés depuis bien longtemps par-dessus bord au profit de la seule chose qui compte : les heures passées devant l’écran, qui garantissent des espaces publicitaires maximums, et donc des profits maximums.

Voilà l’état de l’internet des années 2020, tel que nous l’a révélé la commission d’enquête sur l’utilisation du réseau social TikTok, dont nous allons rendre les conclusions dans quelques jours.

Le texte que nous examinons aujourd’hui était nécessaire. Je remercie Laurent Marcangeli de l’avoir déposé. Il ne sera suffisant que s’il est réellement mis en œuvre. Après des années d’insouciance, nous commençons à nous réveiller. Le règlement général sur la protection des données (RGPD), le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA) sont aujourd’hui les témoins de cette prise de conscience.

Ils ne seront efficaces que s’ils sont appliqués. Faire une loi et ne pas la faire appliquer, c’est autoriser ce que l’on veut interdire, disait Richelieu. Le législateur, aujourd’hui, fait son travail ; en tout cas, il l’entreprend. C’est aux pouvoirs exécutifs que revient désormais la responsabilité de l’action.

Je suis un Européen convaincu, mais je vous le dis, monsieur le ministre, comme je vous l’avais dit lors de votre audition par notre commission d’enquête sur TikTok : si l’application de ces textes devait être confiée à des organismes insuffisamment dotés, si les remontées prévues de toutes les infractions au niveau européen devaient prendre des années, comme cela commence d’être le cas avec la DPC (Data Protection Commission) irlandaise, si les voies de recours devaient prendre des années supplémentaires, si chaque pays n’avait plus la possibilité de sanctionner les principales infractions commises sur son territoire, alors les Gafam et les autres auraient une fois de plus gagné la bataille de retardement qu’ils mènent depuis des années avec leurs armées de lobbyistes et de juristes, avec leurs milliards qui leur permettent de traiter par l’indifférence les amendes qui leur sont infligées et qui leur apparaissent dérisoires, même lorsqu’elles sont significatives – elles sont désormais inscrites dans leurs comptes au titre des provisions pour imprévus.

La main des gouvernements démocratiques ne doit plus trembler, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, et vous laisserez votre nom dans la fonction que vous exercez si vous parvenez à faire en sorte qu’il en soit ainsi.

Vous avez eu, tout à l’heure, des paroles fortes, et je vous en félicite. Mais c’est sur les actes que vous serez jugés. Je le dis avec force : si les mesures de vérification de l’âge des utilisateurs des applications ne sont pas strictes, si le contrôle par les États de la mise en place de mécanismes de surveillance réellement efficaces par les plateformes n’est pas réalisé – la menace de l’interdiction doit être clairement exprimée –, et si, par conséquent, les enfants de 8 ans, comme les adolescents, continuent à voir leur attention, la construction de leur psychisme et la réussite de leurs études compromises par des entreprises d’abrutissement et de « crétinisme digital », pour utiliser le terme d’un chercheur, alors nous aurons perdu la bataille de l’éducation, de l’instruction et de l’équilibre psychologique, bataille qui est déjà, depuis des années, bien mal engagée.

C’est le défi auquel s’attelle aujourd’hui le Parlement. C’est votre défi, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État. Et c’est, en définitive, comme le disait Barack Obama, que je citais au début mon intervention, un des défis auxquels sont confrontées nos démocraties, et je pèse mes mots.

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