Intervention de Gérard Leseul

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 4 mai 2023 à 9h40
Audition publique sur les perspectives technologiques en matière de batteries : progrès incrémentaux ou innovations de rupture ? gérard leseul député et gérard longuet sénateur rapporteurs

Gérard Leseul, vice-président de l'Office, rapporteur :

député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Monsieur le président, chers collègues, mesdames, messieurs, le domaine des batteries est un secteur de la recherche dans lequel de nombreuses avancées sont en cours. Je me réjouis par conséquent de la présence de nos cinq invités, qui vont nous présenter un panorama des progrès accomplis en la matière, ainsi que des travaux sur le point de dépasser le stade des prototypes.

L'OPECST avait déjà réalisé voici quelques années une note scientifique sur le stockage de l'électricité, qui a servi de base à nos réflexions et sur laquelle s'appuiera la note actualisée que Gérard Longuet et moi-même allons produire.

Le champ des interrogations étant très vaste, nous avons, en accord avec les personnalités invitées, décidé d'articuler nos débats autour de deux tables rondes, introduites par le professeur Jean-Marie Tarascon, titulaire de la chaire « Chimie du solide et énergie » au Collège de France, que je remercie.

Je salue d'ores et déjà les participants de la deuxième table ronde, Nesrine Darragi qui après avoir soutenu une thèse sur les systèmes critiques complexes a fondé la start-up Hive Electric, et Sébastien Patoux, auteur d'une thèse sur les matériaux d'électrode positive à charpente polyanionique pour batteries au lithium et aujourd'hui directeur du départements batteries au CEA, au sein du Laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (Liten), basé à Grenoble et Chambéry.

La première table ronde va nous permettre de faire le point sur l'état de l'art en matière de batteries.

Après une introduction du professeur Tarascon, nous entendrons Yannick Borthomieu, responsable du développement des accumulateurs et batteries lithium-ion au sein de la division Aérospace, défense et performance de Saft. Vous avez, monsieur, rejoint Saft après une thèse en électrochimie dirigée par Claude Delmas, déposé cinq brevets et récemment publié un ouvrage scientifique sur les batteries lithium-ion pour les systèmes spatiaux, avec un ensemble d'experts des systèmes de puissance de la Nasa, de l'Agence spatiale européenne (ESA) et de fabricants de satellites.

Nous accueillerons ensuite Laurent Torcheux, du groupe EDF, spécialiste du stockage de l'électricité, sujet crucial pour l'équilibre du réseau électrique français. M. Torcheux nous parlera notamment des batteries stationnaires d'EDF.

Pr Jean-Marie Tarascon, professeur au Collège de France, membre de l'Académie des sciences. - C'est un grand plaisir pour moi d'être parmi vous aujourd'hui pour aborder un sujet aussi important que celui des batteries dans la transition énergétique.

Les systèmes de batteries à technologie lithium-ion offrent des performances considérables et ont constitué la plus grande avancée du dernier siècle en matière d'électrochimie. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cette technologie a été récompensée en 2019 par l'attribution du prix Nobel de chimie à Stanley Whittingham, John Goodenough et Akira Yoshiro.

De quoi parle-t-on ? Comme tout système électrochimique, les batteries lithium-ion fonctionnent avec deux électrodes présentant la particularité d'être des composés inorganiques, poreux, entre lesquels le lithium se déplace. L'empreinte électrochimique de ces systèmes, représentée sur cette première diapositive, fait apparaître la densité d'énergie, définie comme le produit du potentiel par la capacité. D'un point de vue électrochimique, ce potentiel dépend de la structure électronique du matériau et de la capacité de ce dernier, c'est-à-dire du nombre de trous qu'il comporte. Ces quelques éléments sont en arrière-plan de toutes les recherches relatives aux batteries lithium-ion.

Au coeur de ces batteries se trouvent les matériaux lamellaires que sont les oxydes de cobalt. Durant les 25 dernières années, des travaux considérables ont été réalisés sur les substitutions possibles au cobalt, pour obtenir les fameuses « phases NMC », dont il est souvent question dans le jargon des spécialistes. Des milliers de laboratoires de par le monde travaillent pour optimiser ces systèmes, en changeant la nature des éléments utilisés, à savoir le cobalt, le nickel et le manganèse. Le manganèse apporte une stabilité thermique, le cobalt une tenue en cyclage importante et le nickel des capacités élevées. Pour des raisons éthiques et géopolitiques, on essaie actuellement de se passer autant que possible du cobalt. Ceci a conduit à utiliser dans les véhicules électriques les matériaux dits « 8.1.1 », correspondant à une composition de 80 % de nickel, 10 % de manganèse et 10 % de cobalt.

On cherche aujourd'hui comment améliorer encore la capacité et la densité d'énergie des batteries. C'est là qu'intervient la recherche, qui se penche sur les mécanismes réactionnels et les procédés.

Ceci concerne tout d'abord la source de ces systèmes, basée depuis plus de 25 ans sur du redox cationique. Or voici 5 ou 6 ans, nous avons réussi, au Collège de France, à montrer qu'il était possible de profiter à la fois des réseaux de cations et d'anions présents dans ces structures, ce qui permet de doubler la capacité.

L'augmentation de la densité d'énergie peut aussi résulter d'un travail sur l'électrode négative, pour laquelle on utilisait du graphite depuis plus de deux décennies. On savait qu'il était possible d'utiliser des alliages, notamment de silicium ; mais ceci n'était pas réalisable jusqu'à il y a peu, en raison de changements de volume trop importants. Grâce aux nanomatériaux et à la réalisation de composites, il est désormais possible d'obtenir un gain de capacité et d'énergie de l'ordre de 15 %.

Les courbes suivantes représentent l'évolution de la densité d'énergie au fil des années et des différentes phases NMC. Notez par ailleurs l'arrivée d'un nouvel acteur, le phosphate de fer et de lithium (LFePO4 ou LFP), très prisé pour des raisons écologiques. Les projections à horizon 2030 montrent que les matériaux de cathode utilisés pour les véhicules électriques comporteront autant de NMC que de LFP, les NMC étant utilisés pour les produits haut-de-gamme.

Le prix des composants est également un élément important. La frénésie à laquelle nous assistons aujourd'hui a été initiée par Elon Musk, qui a donné un coup de pied dans la fourmilière et décidé que les batteries devaient être bon marché. Il a ainsi annoncé des prix de 100 $ par kWh en avril 2015, ce qui est aujourd'hui réalisé, puis une réduction de 60 $ par kWh d'ici 2030. Cela a entraîné un véritable boom du véhicule électrique, avec plus de 450 modèles proposés aujourd'hui. On estime qu'en 2040 les ventes de véhicules électriques devraient dépasser 150 millions d'unités, ce qui suppose que la production annuelle de batteries progresse de façon spectaculaire.

Cette évolution a des répercussions pour l'Europe, qui veut assurer sa souveraineté en créant des gigafactories, lesquelles poussent comme des champignons. La France en compte deux pour l'instant, avec Verkor et ACC. L'Europe entend ainsi être un acteur majeur de la transition énergétique et compte faire passer sa part dans la production mondiale de batteries de 1 % aujourd'hui à 19 % dans les années 2030.

Il faut cependant savoir que 98 % des machines d'assemblage utilisées dans ces gigafactories sont importées, tout comme plus de 96 % des matériaux utilisés dans les batteries lithium-ion. Il faut donc être prudent lorsqu'on parle d'indépendance énergétique.

D'autres défis se profilent et des technologies alternatives sont en cours de développement. Comment aller au-delà des performances du lithium-ion ? Ceci peut passer par des travaux visant à augmenter la densité d'énergie ou à rendre le matériau plus écocompatible. Ces procédés font l'objet de très nombreuses recherches partout dans le monde.

Sans doute avez-vous entendu parler de la batterie « tout-solide », qui suscite un gigantesque engouement international. Elle présente la même configuration que la batterie lithium-ion, mais s'en distingue par le fait qu'elle possède un électrolyte non pas liquide mais solide, et qu'elle utilise une électrode en lithium métal et non en carbone. En théorie, la formule est géniale puisque l'absence de liquide organique augmente la sécurité du système et le fait de remplacer le carbone par du lithium métal accroît les densités volumiques ou gravimétriques d'au moins 50 %.

Cette avancée a été rendue possible par des recherches fondamentales conduites notamment sur les matériaux. Des progrès conséquents ont ainsi été réalisés au niveau des composés inorganiques à haute conductivité ionique. En 2011, une grande découverte a été effectuée par un groupe japonais qui a identifié un thiophosphate conduisant l'électricité comme une solution aqueuse.

La difficulté tient à la limitation causée par les interfaces, qui sont un véritable cauchemar pour les électrochimistes. En particulier, des dendrites apparaissent à la surface du lithium. Certains acteurs impatients commencent par conséquent à développer des technologies alternatives, hybrides, comportant un peu de liquide et des polymères.

Tous les constructeurs automobiles essaient aujourd'hui de construire des partenariats avec des PME ou des spin-off montées pour développer cette technologie tout solide. Il est difficile de trouver actuellement dans le monde un laboratoire universitaire, un fabricant de batteries, un constructeur automobile, une institution ou un pays qui ne travaille pas sur cette technologie.

Je pense que certaines batteries tout solide devraient faire leur apparition vers 2030, mais dans un premier temps, il ne s'agira que d'une vitrine technologique. Elles seront en effet beaucoup plus chères que les batteries lithium-ion conventionnelles.

Une autre avancée intéressante, issue de recherches françaises, est la technologie sodium-ion, conçue pour diminuer la pression rencontrée actuellement sur le lithium-ion. Contrairement à ce dernier, le sodium-ion est un élément très abondant, dans l'eau de mer et la croûte terrestre. La batterie sodium-ion est le clone de la batterie lithium-ion : ses électrodes comportent les mêmes matériaux, sous forme d'éponges à sodium. La seule différence tient au fait que l'électrolyte y est plus sophistiqué en raison des propriétés et compatibilités chimiques nécessaires pour obtenir des éléments de bonne qualité.

Après 8 ans de recherches, il apparaît que les accumulateurs reposant sur cette technologie peuvent supporter 5 000 cycles en conservant 80 % de leur capacité initiale, et dépasser 8 000 cycles. A 55 degrés, la batterie présente toujours des performances très importantes. Ses performances en puissance sont également très intéressantes, puisqu'elles sont supérieures à celles des batteries à ion lithium. Il est ainsi possible de restituer plus rapidement l'énergie stockée.

Ce procédé est développé par la start-up française Tiamat, créée en 2018 à Amiens, qui a effectué voici une quinzaine de jours la première annonce mondiale de commercialisation de la technologie sodium-ion. Les premières utilisations seront effectuées en collaboration avec Leroy Merlin et concerneront des outils de puissance. Cette technologie est attrayante pour les marchés de la mobilité, des outils de puissance et du stockage stationnaire d'énergie. Des partenariats ont d'ores et déjà été conclus entre Tiamat et des sociétés comme Solvay ou Arkema.

Le seul écueil tient au fait que la production de ces batteries est sous-traitée en Chine, faute d'avoir pu lever suffisamment de fonds pour construire notre propre gigafactory ou « mini-gigafactory ».

Aujourd'hui, la concurrence s'intensifie et le leadership français s'amenuise. Des compagnies chinoises comme CATL ou HiNa ont ainsi lancé la production de telles batteries en vue d'une mise sur le marché fin 2023 ou début 2024.

Pour conclure ce propos introductif, les éléments que je viens de présenter me permettent de vous assurer que la technologue lithium-ion sera difficile à dépasser pendant encore quelques décennies, si ce n'est plus.

député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Merci, professeur, pour cette introduction. Comme vous le voyez, la production en Chine de batteries résultant d'une innovation française n'a pas manqué de faire réagir autour de moi. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi la France n'a pas été en capacité de localiser cette production sur le territoire national ?

Pr Jean-Marie Tarascon. - Ceci tient tout d'abord à la frilosité de nos industriels. Il faut reconnaître que lorsque nous avons proposé cette technologie voici 7 ou 8 ans, nous ne la maîtrisions pas encore totalement et n'étions pas en mesure de leur apporter une solution clé en main. Nous avons ensuite essayé de lever des fonds pour initier la construction d'une gigafactory, mais nous n'y sommes pas parvenus.

La situation s'est toutefois améliorée, puisque nous sommes en train de lever quelque 100 millions d'euros pour commencer la construction d'une usine à Amiens. Ce montant reste toutefois insuffisant et divers partenaires, parmi lesquels Bpifrance, ont été sollicités aux niveaux national et européen pour abonder le projet. Cela prend du temps.

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