Intervention de Gérard Leseul

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 4 mai 2023 à 9h40
Audition publique sur les perspectives technologiques en matière de batteries : progrès incrémentaux ou innovations de rupture ? gérard leseul député et gérard longuet sénateur rapporteurs

Gérard Leseul, vice-président de l'Office, rapporteur :

député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Merci pour cette présentation et ces premiers échanges. Nous sommes extrêmement sensibles, vous l'aurez compris, à la question de la localisation des moyens de production sur nos territoires. Nous y reviendrons notamment dans le contexte d'une discussion prochaine sur l'industrie verte.

M. Borthomieu, vous travaillez encore avec la technologie lithium-ion et nous souhaitons vous entendre sur le développement de batteries pour satellites météorologiques.

Dr Yannick Borthomieu, responsable du département Batteries de Saft. - Aerospace Defense and Performance Division. - Je vais en effet aborder la question des batteries à travers le programme spatial intitulé MTG (Meteosat Third Generation), correspondant aux satellites de troisième génération.

Je vais vous présenter un certain nombre de clés expliquant pourquoi Saft est le leader mondial des batteries pour satellites, fabriquées en France depuis un demi-siècle. Nous exportons nos produits dans le monde entier et fournissons la plupart des maîtres d'oeuvre européens, parmi lesquels les français Airbus Defense and Space et Thales, et l'allemand OHB. Nous exportons également aux États-Unis, en Russie (avant la guerre en Ukraine), mais aussi en Asie, vers l'Inde, la Chine, la Corée et le Japon, qui sont pourtant des références en matière de batteries.

Saft investit énormément pour rester compétitif sur ce marché spécifique, caractérisé par la concurrence du New Space.

Je vais en préambule vous présenter un bref historique de l'entreprise. Créée voici plus de cent ans par Victor Herold sous le nom de Société des Accumulateurs Fixes et de Traction, elle fournissait alors essentiellement des batteries nickel-cadmium. Acquise en 1928 par la Compagnie générale d'électricité (CGE), elle fut alors intégrée, avec Leclanché, Fulmen et Mazda, dans un pôle « batteries ».

En 1985, l'entreprise a connu un changement important, en cédant le secteur des piles alcalines et salines grand public au groupe Tapie, pour se recentrer sur les marchés de niche que sont l'aviation et le transport ferroviaire.

À partir de 1990, le site de Poitiers s'est progressivement reconverti et tourné vers la production de batteries spécialement adaptées à la défense et au secteur spatial.

En 2003, Alcatel (ex-CGE) a cédé Saft à un fonds de pension anglais, qui a introduit la société en bourse sur le marché Euronext en 2005.

2016 enfin a été marquée par l'acquisition de Saft par TotalEnergies, principalement pour la filière stockage d'énergie, afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Saft emploie aujourd'hui quelque 4 000 personnes, dont 1 630 en France. Trois de ses 16 sites de production sont situés sur le territoire national et elle compte environ 3 000 clients. 97 millions d'euros ont été investis en R&D en 2022, sur un chiffre d'affaires de 1 milliard d'euros. Même si la société est internationale, il est très important pour nous que notre centre de recherche corporate soit installé à Bordeaux.

L'entreprise est présente sur un grand nombre d'applications, sur terre, sur mer, dans les airs et dans l'espace. Vous-mêmes utilisez quotidiennement des batteries Saft. Lorsque vous prenez l'avion, il y a par exemple 80 % de chances de compter à bord une batterie produite par nos soins, puisque nous équipons la totalité des avions Airbus et Boeing (à l'exception du Boeing 787). Pour mémoire, l'Airbus A320 qui a amerri sur le fleuve Hudson a pu se poser grâce à l'exceptionnel savoir-faire du pilote, mais aussi aux batteries installées à bord, qui lui ont permis de disposer des capacités de guidage et d'information nécessaires à la réussite de cette manoeuvre. Nos batteries équipent aussi des TGV, des tramways, des métros, des compteurs à gaz et à eau, des systèmes d'alarme, mais aussi le système KERS de récupération d'énergie utilisé dans les Formule 1 au moment du freinage et de l'accélération.

Saft contribue par ailleurs à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en équipant des bateaux hybrides (remorqueurs, ferries, etc.) qui fonctionnent avec des systèmes de gaz liquéfié et de batteries.

Nous intervenons également dans les systèmes de stockage d'énergie (ESS - Energy Storage System), combinés avec des éoliennes ou des panneaux solaires. Nous avons ainsi installé le plus grand site de stockage français par batteries à Dunkerque l'année dernière, avec une capacité totale de 1,2 GWh.

Saft équipe enfin la gamme de satellites Copernicus, qui devraient être lancés prochainement avec pour mission de collecter des données scientifiques permettant de surveiller le réchauffement climatique dans différentes zones.

Comment expliquer le positionnement privilégié de Saft dans le secteur spatial ?

Il faut pour ceci comprendre les spécificités de l'application satellites et connaître l'héritage dont l'entreprise tire sa force. Saft est en effet présent dans ces programmes quasiment depuis le début de l'ère spatiale. Le premier satellite équipé d'une batterie Saft était Diapason 1, lancé le 17 février 1966 : il s'agissait du premier satellite du CNES avec une batterie à bord. Nous avons par la suite accompagné la totalité des programmes de satellites européens et de nombreux programmes internationaux, scientifiques, institutionnels et commerciaux. Je citerai notamment, à titre d'exemple, le satellite SoHo, lancé en 1995 et dont le service actif devrait s'achever en 2025, qui a permis aux astrophysiciens de mieux connaître le Soleil et dont le système de batteries fonctionne toujours, ou encore le robot Philae, élaboré par le CNES, qui a permis, malgré un atterrissage manqué, de transférer la totalité des données recueillies sur la comète Tchourioumov-Gerasimenko. Saft a également équipé, dans le cadre de missions spatiales institutionnelles, les douze premiers satellites GPS et l'ensemble des satellites météorologiques européens. Nous sommes enfin en contact avec tous les opérateurs de satellites géostationnaires dans le monde.

Saft a ainsi équipé, depuis l'origine, quelque 1 200 satellites, dont 367 avec des batteries lithium-ion, ce qui constitue la plus grande flotte existante. Je pense par exemple à W3A, satellite fabriqué par Airbus Defence and Space, lancé en 2004, qui arrive aujourd'hui à 19 ans d'exploitation et devrait poursuivre sa mission au-delà de 20 ans.

Nous avons bénéficié de contrats soutenus principalement par le CNES et l'Agence spatiale européenne, qui accompagnent Saft sur des cycles de développement et de qualification extrêmement longs et contraignants, nécessitant de lourds investissements internes.

Quels sont les points clés et exigences nécessaires aux batteries lithium-ion pour satellites ?

Le premier concerne le suivi des énergies massiques évoquées précédemment par M. Tarascon. En effet, tout gramme supplémentaire mis dans la batterie va devoir être porté par le lanceur, avec un coût situé entre 50 et 80 euros par gramme. Lorsque plusieurs centaines de kilogrammes de batteries sont embarqués, je vous laisse imaginer l'économie que permet de réaliser le fait de réduire cette masse de 10 ou 20 %.

Ces batteries sont également spécifiques dans le sens où elles ne peuvent faire l'objet d'aucune maintenance en orbite. Ceci requiert donc une fiabilité démontrée. À ce jour, nous pouvons garantir pratiquement 3 milliards d'heures de fonctionnement du lithium-ion en orbite. Cette performance explique en partie notre présence constante sur ce marché.

Les contraintes auxquelles sont soumis ces équipements sont elles aussi très particulières, avec des niveaux de vibrations importants, des rayonnements cosmiques, des radiations, le vide spatial et des températures extrêmes.

La durée de vie des applications est enfin un élément majeur. Le satellite SoHo va ainsi atteindre 30 ans, mais les spécifications auxquelles nous sommes soumis demandent généralement d'assurer une durée totale de vie allant jusqu'à 25 ans.

Il nous faut donc proposer à la fois fiabilité, durée de vie et cyclage important, avec 60 000 voire 100 000 cycles demandés dans certains cas. Peu d'applications au sol requièrent cela.

L'un des points clés réside dans le fait que Saft garde la maîtrise complète de la totalité de la chaîne de production, depuis les électrodes jusqu'au suivi en orbite. Je précise toutefois que nous ne disposons pas en France des matériaux actifs positifs et négatifs nécessaires et dépendons pour cela des pays asiatiques. Nous maîtrisons en revanche toute la chaîne complémentaire : les électrodes, les éléments, les batteries ; les tests et qualifications des batteries sont réalisés en France, à Poitiers. 95 % de la valeur est ainsi réalisée directement par Saft ou par des fournisseurs français.

L'outil industriel est adapté aux volumes de fabrication du secteur spatial. Il ne s'agit pas de gigafactories, dans la mesure où seuls 200 satellites de configuration standard sont lancés chaque année.

Un autre point essentiel pour nous concerne la sélection des matériaux en provenance des pays asiatiques, dont nous devons nous assurer qu'ils aient une durée de vie suffisante et une très longue disponibilité, supérieure à 10 ans. Or le problème posé par les gigafactories est que les changements opérés au fil du temps sur ces technologies, au niveau des matériaux, font que ces derniers ne sont plus disponibles pour nos usages.

Les énergies massiques ne sont qu'un élément parmi l'ensemble des points dont il nous faut tenir compte. Nous sommes actuellement, avec le lithium-ion, à 220 Wh/kg effectifs sur des batteries qui répondent à toutes les exigences précédemment énoncées. J'évoquerai ultérieurement nos perspectives à l'horizon 2030 et rejoindrai les propos tenus par M. Tarascon sur les batteries tout solide.

Saft a livré, depuis l'origine, la totalité des systèmes de batteries pour le programme Météosat d'EUMETSAT, organisation européenne pour l'exploitation de satellites météorologiques. Il s'agit des 8 satellites Météosat1, programme démarré en 1977 avec une fiabilité et une durée de vie supérieure à 20 ans en exploitation, et des 4 satellites Météosat de deuxième génération, à partir de 2002, qui sont toujours en opération pour la plupart. Saft fournira de même les systèmes des 6 Météosat de troisième génération, dont le premier a été lancé en décembre 2022, sachant que le contrat initial a été signé en 2014.

Ainsi, depuis plus de 45 ans, chaque prévision météorologique européenne repose sur un système alimenté par une batterie Saft.

Les 6 satellites MTG, d'une durée de vie nominale de 8,5 ans, seront lancés et mis hors service de manière séquentielle afin d'assurer une couverture constante jusqu'au début des années 2040. Notez que le sixième satellite, lancé en 2040, sera équipé de batteries livrées en 2021. Ainsi, la durée de vie de celles-ci sera en réalité supérieure à 30 ans. L'accent est ici mis sur la performance en matière de durabilité plus qu'en matière de cyclage. Il s'agit de produire des éléments présentant des performances de stockage importantes, qui ne sont pas nécessaires pour des applications au sol avec une utilisation directe.

Ces satellites de troisième génération ont été conçus et fabriqués par un consortium réunissant OHB et Thales Alenia Space, dans le cadre d'un contrat de développement attribué par l'Agence spatiale européenne. Les batteries choisies pour assurer ces très longues missions sont des 11S24P (c'est-à-dire composées de 11 éléments en série et 24 strings en parallèle), dotées d'un système d'équilibrage électrique, d'une gestion thermique et de protections leur permettant de résister aux contraintes mécaniques.

Sur la base de quelle technologie seront conçues les futures batteries qui équiperont les satellites dans quelques années ? Cette question rejoint les réflexions conduites sur les applications terrestres. Le lithium-ion classique arrivant à ses limites technologiques, nous avons commencé à réfléchir aux perspectives envisageables pour les applications satellitaires.

Les formats comme les pouch cells, largement utilisés dans les applications terrestres et régulièrement présentés comme le futur du lithium-ion, avec leurs structures solides de type cylindrique ou prismatique, ne sont pas adaptés à l'application satellitaire : leurs tenues au vide et aux vibrations ne sont pas assurées et l'on observe des durées de vie limitées liées à la gestion du gonflement des électrodes.

Comme l'indiquait précédemment M. Tarascon, la technologie de rupture vis-à-vis du lithium-ion est le tout solide. Ceci permettrait une montée en gamme, en augmentant de manière significative les énergies massiques à un niveau compris entre 350 et 450 Wh/kg. Une évaluation liminaire de cette technologie est déjà en cours pour les applications satellites, avec des niveaux de maturité (TRL ou « Technology Readiness Levels ») bas, d'environ 2 ou 3 sur une échelle allant jusqu'à 9. Nous sommes toutefois en train de progresser, dans le cadre de contrats de développement soutenus par l'Agence spatiale européenne et le CNES et nous espérons parvenir à qualifier des solutions tout solide, qui viendraient remplacer ou « quasi remplacer » l'actuel lithium-ion à partir de 2030.

Le satellite peut apparaître dans ce contexte comme un « early adopter » de cette technologie, car, au-delà des contraintes très importantes qu'il impose, ce secteur se caractérise par des conditions d'utilisation très stables, avec des cycles récurrents (les orbites), des courants, des profils d'utilisation et des températures stabilisés. Tout ceci peut aider à mettre en oeuvre une solution tout solide, avec notamment des régimes de charge limités.

Nous espérons que de telles solutions seront disponibles à l'horizon 2030. Notre centre de recherche de Bordeaux travaille de façon très intense avec le CEA pour mettre au point ces technologies. Les défis sont importants, notamment pour ce qui concerne les interfaces, les couches tout solide ou encore le choix des matériaux. Nous allons continuer à y travailler, afin que Saft demeure l'un des leaders mondiaux des batteries pour satellites.

député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Merci beaucoup, M. Borthomieu, pour cette présentation qui ne manquera pas de susciter de la part de nos collègues et des internautes des questions sur lesquelles nous reviendrons à l'issue de l'intervention de M. Laurent Torcheux.

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