Intervention de Laurent Torcheux

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 4 mai 2023 à 9h40
Audition publique sur les perspectives technologiques en matière de batteries : progrès incrémentaux ou innovations de rupture ? gérard leseul député et gérard longuet sénateur rapporteurs

Laurent Torcheux, conseiller senior, direction Recherche et développement d'EDF :

Je vous remercie de me donner la parole pour vous présenter l'état de l'art et les défis concernant les batteries stationnaires.

Ces objets ont vocation à « tamponner », c'est-à-dire pallier, des intermittences susceptibles de survenir sur les réseaux ou différents types d'applications.

Le stockage permet une adaptation des modes de production et de consommation. Je n'évoquerai pas ici certains modes de stockage, comme le stockage hydraulique. Les batteries sont des systèmes assez autonomes, qui peuvent être implantés facilement et répondre à une grande diversité de situations, notamment à l'équilibrage de réseaux, l'optimisation de la vente d'électricité, l'alimentation des micro-réseaux qui se développent essentiellement dans les zones non interconnectées et où les groupes électrogènes sont de plus en plus souvent remplacés par des batteries, l'autoconsommation en permettant à des particuliers ou des entreprises de stocker et consommer l'électricité produite par des panneaux solaires, ou encore l'alimentation des équipements secondaires, afin d'assurer la continuité de production en cas de coupure réseau.

Sur tous ces aspects, EDF a annoncé en 2018 un « plan stockage », ayant pour but d'installer une dizaine de gigawatts de batteries et de STEP dans le monde d'ici 2035. Plusieurs marchés sont visés, qu'il s'agisse de marchés de stockage au service des systèmes électriques, d'offres de stockage proches des clients, incluant par exemple l'autoconsommation résidentielle, ou encore d'accès à l'électricité dans des pays en voie de développement, où le nombre de clients potentiels est très important, même si la part d'énergie par batterie est faible.

L'objectif de 10 GW n'est pas énorme à l'échelle mondiale du stockage par batteries, puisqu'il représente environ 1 million de véhicules électriques. Le stockage stationnaire ne correspond donc qu'à 5 à 10 % du marché des batteries pour l'automobile.

EDF est, au sein de ce microsystème, à la fois assemblier et opérateur de projets. Il est un utilisateur final des solutions proposées et ne fabrique pas de batteries.

Je rappelle qu'un système de stockage par batterie ne se limite pas à des cellules électrochimiques, mais comporte aussi des assemblages de modules décrits par M. Borthomieu, qui nécessitent des systèmes d'équilibrage, des Battery Management Systems (BMS) pour en assurer la supervision et la gestion thermique.

Ces assemblages sont utilisés dans différents types d'applications, qu'il s'agisse de packs pour véhicules électriques ou d'armoires ou de containers destinés au stockage stationnaire à différentes échelles.

La diapositive projetée montre différentes situations concrètes. Vous pouvez voir par exemple, sur les deux photographies de gauche, des batteries installées sur un réseau électrique en Angleterre, à West Burton, ainsi que l'intérieur d'un container, avec des armoires remplies de racks de batteries. L'Angleterre étant une île, le marché relatif au soutien de réglage de fréquence y est considérable. En haut à droite, il s'agit du même type de projet, installé cette fois-ci sur l'île de La Réunion, afin de stabiliser les écarts de fréquence susceptibles de survenir sur le réseau électrique. L'exemple présenté en-dessous montre de plus petites batteries, installées sur l'île de Sein, dans le cadre de micro-réseaux. Les îles et territoires isolés, dont les réseaux électriques n'ont pas la même flexibilité que ceux des territoires continentaux, représentent des marchés relativement importants pour ces technologies.

Notre activité internationale est considérable. Nous avons par exemple équipé le zoo de San Diego avec une batterie stationnaire.

Il ne faut pas oublier le rôle majeur joué par les batteries dans nos centrales nucléaires. La diapositive suivante montre l'une des salles de batteries de l'EPR en construction à Flamanville. Il s'agit de batteries au plomb, technologie assez ancienne mais qui demeure importante dans toutes nos applications. Sachez que les nouveaux EPR en projet sont eux aussi conçus avec cette technologie, dont il n'est pas prévu qu'elle soit remplacée à court terme par des batteries lithium-ion.

Nous utilisons aujourd'hui dans nos projets de batteries stationnaires sur les réseaux des batteries lithium-ion, essentiellement de technologie lithium-fer-phosphate (LFP), mais aussi, pour un tiers environ, de type NMC. Toutes sont fabriquées en Asie.

Nous avons par ailleurs recours, comme je viens de vous l'expliquer, à des batteries plomb-acide et à des batteries nickel-cadmium, fournies par la Saft, pour l'alimentation des systèmes de secours dans les centrales nucléaires.

Les grands défis qui se présentent à nous en matière de batteries stationnaires sont notamment de pouvoir mettre en oeuvre, en tant qu'opérateur de service, des solutions reposant sur des technologies durables et prévisibles. La durée de vie est un élément très important, puisqu'il faut réaliser 5 à 10 fois plus de cycles que pour les batteries automobiles. Il nous faut donc des systèmes très optimisés, avec des densités d'énergie pas nécessairement très élevées - ce qui constitue une différence majeure avec les applications automobiles et satellitaires -, mais avec des électrodes renforcées et une durée de vie et une fiabilité optimales. Cela laisse la porte ouverte à des technologies autres que le lithium-ion, comme les batteries redox flow.

Nous avons en outre besoin d'innovations en matière de capteurs - nous avons d'ailleurs mis en oeuvre une très belle collaboration avec Jean-Marie Tarascon sur ce sujet - et les BMS, autour du recueil et du traitement des données et du développement de programmes numériques permettant de prévoir les facteurs déterminant la durée de vie, la fiabilité et la sécurité des batteries. Il s'agit pour nous d'un objectif important.

La notion de coût durable est également centrale, dans la mesure où l'exploitation des projets s'inscrit dans des durées longues, de l'ordre de 15 à 20 ans. Bénéficier des coûts les plus bas possible suppose d'améliorer les performances, avec des matériaux moins coûteux et moins abondants dans les batteries. Les batteries LFP et sodium-ion nous semblent de ce point de vue très intéressantes.

La maîtrise de la sécurité des systèmes de batteries constitue un autre défi majeur. Les batteries sodium-ion et les électrolytes des batteries tout solide nous paraissent susceptibles d'apporter à terme des gains de sécurité considérables. En matière de batteries stationnaires, le principal bénéfice de la batterie tout solide réside dans la sécurité. Vous pouvez voir sur la droite de la diapositive des images d'incidents récents, liés principalement à l'inflammabilité des matières organiques contenues dans les solvants. Remplacer celles-ci par des matières ininflammables nous paraît très important pour l'avenir.

Nous attachons en outre une attention toute particulière à la maîtrise du bilan carbone de toutes ces opérations. Le bilan carbone d'une batterie est essentiellement lié aux matériaux qui la composent, incluant leur extraction, leur transport, leur raffinage et la préparation des précurseurs électrochimiques. L'analyse du cycle de vie d'une batterie montre que l'essentiel du bilan carbone ne se joue pas au moment de l'assemblage dans les gigafactories, mais dans la filière amont, qui constitue véritablement le point faible de la chaîne. Nous ne disposons malheureusement pas réellement de leviers nous permettant d'avoir une quelconque action sur l'amont afin d'en limiter le bilan carbone, dans la mesure où ces matériaux ne sont ni extraits ni raffinés sur le territoire européen.

Être proche des sites de fabrication et maîtriser le recyclage en Europe sont également selon moi des points clés. Cela permettra en effet d'avoir des matériaux à disposition à l'échelle de l'Union européenne.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion