député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Quel sera le surcoût éventuel du passeport électronique des batteries ? Cela menace-t-il la durabilité ?
Pr Jean-Marie Tarascon. - Les recherches que j'ai évoquées et qui sont loin d'avoir trouvé leur voie dans les batteries actuelles, sont très coûteuses et il faut tenir compte de l'effet de volume pour connaître les coûts associés. Le passeport électronique mentionné dans le cadre législatif européen est beaucoup moins ambitieux que celui que je vous ai décrit, puisqu'il s'agit seulement de vérifier la température et les cycles d'utilisation de la batterie.
Dr Nesrine Darragi, fondatrice de Hive Electric SAS. - Je suis présidente-fondatrice de Hive Electric, société basée en Hauts-de-France, dans la « vallée de la batterie ».
Je vais vous présenter très rapidement notre activité, mais surtout les problématiques liées au développement des batteries par des start-up.
La première diapositive est le résumé de travaux réalisés par l'European Battery Alliance 250 (EBA250), dont fait partie Hive Electric, sur les problématiques auxquelles est confrontée l'ensemble de la chaîne de la batterie, depuis les matières premières jusqu'au recyclage et la deuxième vie, en passant par les matériaux actifs, l'assemblage des batteries et leur intégration.
Les prévisions sur les demandes et attentes à l'horizon 2030 montrent tout d'abord que les matériaux indispensables pour y répondre devront être équivalents à la totalité des matériaux extraits depuis l'Antiquité, ce qui est impossible scientifiquement parlant. Il existe ainsi un écart énorme entre les ambitions affichées en termes d'électrification et la réalité des matériaux disponibles. La réglementation incite aujourd'hui au développement de l'électrification : on parle de construire 37 gigafactories en Europe dédiées aux batteries, à la mobilité et plus précisément aux voitures électriques. Mais on oublie ce faisant que la transition énergétique et le stockage des énergies renouvelables ont d'autres applications et que d'autres secteurs ont besoin de ces matériaux et batteries.
À l'échelle de l'Europe, la matière indispensable pour la fabrication d'une seule gigafactory est inexistante. On estime à 2 % seulement la matière disponible pour les gigafactories européennes. La dépendance à l'égard des pays asiatiques essentiellement, mais aussi africains et d'Amérique latine, est donc critique. Il faut aussi savoir que les Chinois ont la main sur la majeure partie des mines.
On observe depuis quelques mois une augmentation des prix de la matière première. Aujourd'hui, la disponibilité de cette ressource résulte de négociations entre les États et pas uniquement entre industriels et fournisseurs. J'ai assisté à quelques réunions entre un gouvernement et des patrons de gigafactories : il s'agit de négociations politiques très compliquées.
Ce champ n'est pas accessible aux start-up, d'où le choix de Hive de travailler sur des technologies alternatives, utilisant des matières disponibles dans un périmètre de 100 km pour n'importe quel industriel, dans n'importe quel pays. Je précise que l'objectif de Hive n'est pas d'être producteur de batteries : dans le monde de l'énergie et de la mobilité, il est très difficile pour une start-up, a fortiori dirigée par une femme et travaillant sur des technologies de rupture, de lever les fonds nécessaires, en France comme en Europe. La technologie initialement utilisée par Hive Electric est le métal-ion, à base d'aluminium et de graphène.
La fabrication des batteries se caractérise aujourd'hui par un manque de financement et des procédés trop coûteux. 100 GWh nécessitent des investissements de plus de 500 milliards d'euros. Passer à l'échelle et assurer la transition impliquent donc de réduire les coûts.
Autre problème : les machines sont fabriquées essentiellement en Asie. Des fabricants commencent toutefois à émerger en France et en Europe, surtout en Italie.
Il a été question précédemment de l'ACV. Évaluer l'impact global d'une batterie impose de prendre en compte non seulement la provenance des matières premières, mais aussi celle des machines utilisées dans le procédé de fabrication. Les différentes phases de production doivent avoir un coût maîtrisé. Aujourd'hui, Hive Electric collabore avec des équipementiers afin de réduire les coûts et d'améliorer les procédés, l'objectif étant que les machines consomment moins et offrent de meilleures performances.
Le ralentissement observé actuellement est dû à une moindre disponibilité des matières premières. Une gigafactory comme celle de Renault produit entre 100 000 et 200 000 voitures électriques par an. Or il est prévu que la production annuelle passe à terme à 2 millions de véhicules, ce qui suppose de disposer a minima de 10 gigafactories. Le passage à cette échelle va être très difficile si l'on ne parvient pas à améliorer les performances des batteries et à trouver le moyen de les recycler.
Aujourd'hui, le recyclage s'effectue surtout par broyage. Or nous avons réalisé une analyse sur la possibilité de deuxième vie des batteries et constaté que plus de 80 % des cellules et accumulateurs utilisés dans une batterie étaient toujours fonctionnels et utilisables. L'une des solutions serait donc d'éviter de tout broyer et de regarder en détail les éléments susceptibles d'être réutilisés et remis à niveau. Les outils d'intelligence artificielle vont permettre d'améliorer les performances et de résoudre la problématique au niveau nanométrique.
Hive Electric est une start-up créée en 2019, à Lille. Elle développe des technologies de rupture et travaille sur des cellules métal-ion sans cobalt, sans nickel, sans manganèse ni lithium. Nous avons toutefois rencontré des difficultés à trouver des financements, car il s'agit d'une technologie de rupture, qui fait pour l'instant l'objet de peu de publications, si l'on exclut les rapports du Département de la défense américain et de la Nasa parus en 2020. Une start-up australienne, GMG, a bénéficié en 2020, soit un an après la création de Hive, de subventions d'un montant de 250 millions d'euros : cette société travaille quasiment sur la même technologie que nous, qui menons depuis 2019 nos développements sur fonds propres, à hauteur de 500 000 euros.