Intervention de Jean-Luc Fugit

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 4 mai 2023 à 9h40
Audition publique sur les perspectives technologiques en matière de batteries : progrès incrémentaux ou innovations de rupture ? gérard leseul député et gérard longuet sénateur rapporteurs

Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office :

Dans votre diapositive initiale, figurait le logo indiquant que votre projet était soutenu notamment par France Relance. Or vous nous dites disposer uniquement de financements sur fonds propres. Bénéficiez-vous de financements publics ?

Dr Nesrine Darragi. - Les financements France Relance correspondent très précisément à 23 000 euros. J'éprouve quelque difficulté à mentionner ces chiffres, car dans le monde de la batterie ces sommes ne sont que des pourboires. J'ai eu l'occasion d'en discuter avec le patron d'une gigafactory qui a été choqué par le chiffre annoncé. À l'échelle d'une start-up, lever 100 millions d'euros est le minimum. L'investissement nécessaire pour une usine est de 1 milliard d'euros par gigawattheure. Si l'on souhaite relocaliser, il faut trouver de tels financements. Nous essayons de réduire ces coûts, mais les paramètres économiques pour fabriquer en Europe sont ceux-ci.

Nous travaillions à l'origine sur le métal-ion, dont le TRL est 5, mais les difficultés rencontrées nous ont orientés vers une autre technologie. Nous nous étions demandé s'il était préférable de travailler sur des technologies disruptives ou de privilégier des innovations sur des technologies existantes. À l'origine, nous souhaitions travailler sur la rupture. Je me suis investie avec mon équipe pendant plus de 5 ans dans le développement de cette technologie. Or nous avons finalement découvert que la réalité était très différente de ce que nous avions imaginé : il faut aller sur le marché, prouver que l'entreprise fonctionne, travailler sur l'image, gagner en notoriété et en confiance (ce qui est très difficile dans le monde industriel), avant de revenir ensuite vers le métal-ion.

Nous avons donc réorienté nos travaux vers la technologie lithium-fer-phosphate (LFP), sans cobalt, ni nickel, ni manganèse, en conservant le même état d'esprit que précédemment, c'est-à-dire avec l'ambition que les gisements, la matière de supply chain, soient disponibles dans un rayon de 100 km autour de chaque usine et que l'impact environnemental soit réduit. En 2022, nous avons stabilisé un procédé électrochimique. Nous sommes en France les seuls à détenir des droits de propriété intellectuelle sur une technologie LFP, tout au moins pour cette première génération. Nous avons commencé la production, avec une capacité de 60 MWh en sous-traitance. Je peux vous annoncer par ailleurs que nous avons signé une joint-venture avec un équipementier automobile en Italie et allons passer à la production en Europe.

Nous essayons ainsi, avec les moyens du bord, de prouver que la technologie LFP fonctionne, en espérant obtenir par la suite le soutien des grands financeurs, qui attendent pour s'engager de voir des résultats tangibles et rassurants.

Notre centre de R&D a obtenu sur le LFP des résultats intéressants pour une première génération et nous travaillons actuellement au développement de la deuxième génération de batteries LFP, qui seront en phase solide. Notre objectif est de réduire l'impact environnemental et augmenter la sécurité, pour le LFP comme pour n'importe quelle autre technologie de stockage.

Toutes les applications n'ont pas besoin d'une densité énergétique supérieure à 1 kWh/kg. Une densité de 100 Wh/kg est suffisante pour certaines. 99 % des cellules présentes dans les appareils que vous utilisez ne sont pas rechargeables et ont été conçues dans les années 1960-1970. Les batteries plomb-acide continuent de même à être utilisées, alors que la technologie date de plus d'un siècle. Cela signifie qu'il ne faut pas se focaliser sur la densité massique d'énergie et la considérer comme le graal. Peut-être faut-il trouver d'autres moyens, étant donné les conditions actuelles de disponibilité de la matière première, qui vont être de plus en plus difficiles et faire l'objet d'une véritable guerre économique.

Hive Electric souhaite fournir des solutions aux petites sociétés qui veulent fabriquer des batteries et aux industriels qui veulent participer à la transition écologique, en proposant des licences et des franchises. Nous proposons ainsi des technologies comme le LFP, dont personne ne voulait entendre parler il y a deux ans. Le fait que Tesla utilise cette technologie dans ses voitures a depuis lors ouvert des pistes. Depuis quelques mois, plusieurs fabricants ont annoncé l'adoption du LFP dans leurs véhicules. La densité énergétique du LFP est certes moins intéressante que celle du NMC, mais la sécurité offerte permet d'aller vers des batteries et cellules de bonne taille. Il est ainsi question aujourd'hui de 4 kWh par cellule. Le fait d'utiliser de tels formats a évidemment un impact sur la densité énergétique totale de la batterie.

Vous pouvez voir à l'écran un tableau comparatif entre les technologies NMC, LFP et métal-ion. Il existe de nombreuses études de ce type disponibles sur internet, qui montrent que chaque technologie a ses usages.

Pourquoi le métal-ion ? Le choix de Hive est de travailler sur la technologie aluminium-ion, qui présente plusieurs avantages, notamment en termes de disponibilité de la ressource, de densité d'énergie, de recyclage et de coûts.

Je n'entrerai pas dans le détail des batteries tout solide, évoquées précédemment par M. Tarascon. Cette technologie présente de nombreux avantages et tout le monde s'accorde sur la nécessité de renforcer sans tarder les efforts de recherche et développement, car sa mise au point prendra probablement du temps. Nous considérons que notre rôle de centre de R&D est de faire émerger ce savoir-faire. J'insiste sur le fait que notre modèle économique consiste à effectuer des transferts de technologies. Lorsque LG, Panasonic, Samsung ou Tesla mettent au point des technologies de rupture leur permettant d'obtenir des performances très intéressantes, ils les gardent pour eux-mêmes. Nous sommes une équipe de chercheurs et d'ingénieurs de recherche et notre démarche consiste, à l'inverse, à partager les résultats de nos travaux. Notre objectif est ainsi de transférer des technologies à des gigafactories souhaitant mettre en oeuvre une démarche de rupture ou une approche plus vertueuse.

Le modèle de Hive Electric est celui de la licence et de la franchise. Ceci implique d'être en mesure de prouver des résultats, donc de mettre au point des produits et de démontrer leur possibilité d'intégration. Nous avons ainsi développé des systèmes de gestion de batterie (BMS) avec de l'électronique embarquée. Nous travaillons aujourd'hui sur du design sur-mesure, des formats de cellules et technologies spécifiques sur demande, de l'électronique embarquée et des batteries sur mesure.

Les champs d'application sont nombreux. Nous souhaitions initialement travailler plutôt dans le secteur aérospatial et la défense, car la technologie métal-ion, qui est intrinsèquement sûre, est bien adaptée pour cela. Nous nous sommes toutefois heurtés à des difficultés liées à la réglementation. Le choix a donc été fait de développer des solutions dans le domaine du stockage stationnaire, dans lequel les contraintes réglementaires sont moindres.

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