Intervention de Sébastien Patoux

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 4 mai 2023 à 9h40
Audition publique sur les perspectives technologiques en matière de batteries : progrès incrémentaux ou innovations de rupture ? gérard leseul député et gérard longuet sénateur rapporteurs

Sébastien Patoux, directeur du programme batteries au Laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (Liten), CEA :

Depuis plus de 75 ans, le CEA éclaire la décision publique et donne aux entreprises et collectivités les moyens scientifiques et technologiques de mieux maîtriser quatre enjeux sociétaux majeurs : la défense et la sécurité, la transition numérique, les technologies pour la médecine du futur et la transition énergétique, avec une vision intégrée de l'énergie et une convergence entre le nucléaire et les nouvelles technologies de l'énergie (NTE), dont les batteries, pour une neutralité carbone à horizon 2050.

Le CEA est présent dans la quasi-totalité de la chaîne de valeur des batteries, au niveau du raffinage, mais surtout de la synthèse des matériaux, de la fabrication des électrodes, des accumulateurs, des cellules et des packs batteries, des systèmes, de la conception et de l'assemblage des batteries et des usages (véhicules électriques ou autres).

Nous intervenons également dans le démontage et le recyclage. Notre objectif dans ce domaine est de parvenir à la boucle la plus courte possible, sachant que certains composants peuvent être réutilisés et certains matériaux réintégrés dans le marché de la batterie. Nous effectuons aussi beaucoup de caractérisation et de modélisation, avec des approches multi-physiques et multi-échelles.

L'analyse du cycle de vie est systématiquement prise en compte. Nous avons par exemple travaillé sur une technologie à base de matériaux organiques issus de la biomasse, considérant que ceci allait permettre d'obtenir des impacts plus faibles. Or, en l'état, il apparaît que le résultat n'est pas au niveau des batteries classiques. Les procédés de fabrication des biomatériaux et les performances des systèmes qui les utilisent doivent être optimisés. L'ACV apparaît ainsi comme un critère, mais ne doit pas conduire à mettre un point d'arrêt aux recherches au motif que la technologie considérée ne serait pas suffisamment mature de ce point de vue.

Le CEA travaille depuis 30 ans sur les batteries au lithium et ses dérivés, avec 300 personnes et 500 brevets déposés sur le sujet. Il est présent aux différentes étapes de la chaîne de valeur, ce qui lui permet d'appréhender l'impact d'un matériau au niveau d'un système complet. Notre positionnement est celui d'un continuum entre amont et aval, propice à l'innovation. Nous développons ainsi de la recherche fondamentale pour faire mûrir les technologies amont et réaliser les preuves de concept qui nous permettent d'aller jusqu'au transfert vers les industriels.

Nous disposons d'une capacité d'adaptation grâce à un large spectre de moyens, d'outils et de méthodes.

Nous veillons en outre à prendre en compte au bon niveau la démarche d'éco-innovation, incluant analyses du cycle de vie, écoconception et éco-innovation.

Nous jouissons enfin d'une reconnaissance de la part des acteurs industriels, académiques et institutionnels de l'écosystème, au niveau français, européen et au-delà.

Sur le plan technique, la majorité des efforts porte sur les générations 3 et 4 de batteries, basées sur le lithium, technologie qui, comme l'a indiqué Jean-Marie Tarascon, va perdurer pendant de très nombreuses années. Nous effectuons par ailleurs de la veille active sur les générations suivantes, qu'il s'agisse de la génération 5 lithium-soufre ou de technologies à base de lithium, sodium et potassium notamment. Nous développons aussi, parallèlement, des briques technologiques communes à plusieurs chimies, autour notamment de l'intelligence artificielle et des capteurs.

Depuis 200 ans, les technologies mises en oeuvre dans les batteries et commercialisées à grande échelle ont considérablement évolué, avec la pile Volta au 18e siècle, puis les batteries au plomb, au nickel-cadmium et enfin, depuis les années 1990, au lithium-ion, qui ont connu plusieurs générations. Aujourd'hui, c'est essentiellement la génération 3 qui est fabriquée dans les gigafactories en Europe et dans le monde. Les deux premières générations concernaient plutôt l'électronique portable, avec des volumes relatifs à de petites batteries. En ordre de grandeur, les batteries au lithium représentaient 2 GWh en 2000, 200 GWh en 2020, soit une multiplication par 100 en 20 ans, et représenteront au moins 2 TWh en 2030. Cette forte croissance est due au développement du véhicule électrique et, dans une moindre mesure, du stockage stationnaire. En valeur, les batteries lithium-ion ont, depuis deux ou trois ans, dépassé les batteries au plomb. Il est à noter que ce phénomène ne va faire que s'amplifier dans les années à venir.

Il existe plusieurs choix de technologies au lithium, en fonction de l'électrode positive ou négative, de l'électrolyte - liquide ou solide -, du format, de la taille de la batterie, de la conception globale du système. Le délai de mise sur le marché de ces technologies est d'environ 10 ans. Ce fut le cas pour le phosphate de fer ou les électrodes de silicium. Parfois, ce délai est beaucoup plus long : je pense notamment aux technologies sodium-ion ou lithium-soufre.

L'une des caractéristiques du lithium-ion est la durée de vie des produits. La première batterie lithium-cobalt-oxyde (LiCoO2) commercialisée par Sony en 1990 est encore sur le marché aujourd'hui et, si elle n'en représente que quelques pourcents, elle connaît une croissance constante depuis 30 ans. M. Borthomieu a aussi montré que certaines technologies extrêmement bien maîtrisées pouvaient avoir des durées de vie très longues.

De nombreux critères, en matière de densité d'énergie, de densité de puissance, de durée de vie, de sécurité, etc., doivent en outre être respectés pour qu'une mise sur le marché soit envisageable.

Les technologies actuelles connaissent des progrès continus. Pour l'accumulateur lithium-ion par exemple, ceci s'est traduit tout d'abord par un fort gain en densité d'énergie (de 90 Wh/kg dans les années 1990 à plus de 250 Wh/kg au milieu des années 2000), puis une baisse significative des coûts (de 1 000 €/kWh au milieu des années 2000 à moins de 100 €/kWh vers 2015) et enfin un fort allongement de la durée de vie (de 500 cycles au milieu des années 2010 à 5 000 aujourd'hui en moyenne). Nous tentons également de faire progresser la charge rapide, la sécurité et l'empreinte environnementale, qui sont à nos yeux des éléments primordiaux.

Quelles sont les tendances du marché ? La frise affichée à l'écran montre l'évolution des accumulateurs au lithium depuis 2017, en matière de densité d'énergie. Nous sommes ainsi passés de la génération 3a aux générations 3b, 4a, 4b, voire 5, en intégrant progressivement des innovations au niveau des électrolytes, des procédés, des électrodes positive et négative, etc. L'électrolyte est passé d'un liquide à un hybride, il sera peut-être un solide demain. Au-delà, la technologie lithium-soufre présente l'intérêt de ne pas nécessiter de matériau de transition tel que le cobalt, le nickel ou le manganèse et d'utiliser du soufre, beaucoup moins coûteux.

L'empreinte environnementale est aujourd'hui un sujet de préoccupation majeur. Les procédés de fabrication des électrodes impliquent le recours à des solvants, potentiellement toxiques et dont le retraitement a un coût énergétique considérable. De ce fait, les générations actuelles de gigafactories sont particulièrement attentives à la manière de limiter la teneur en solvants, parallèlement aux développements de la chimie. On envisage à l'avenir des fabrications sans solvant. Il est donc important de considérer non seulement les matières premières, mais aussi les procédés et l'ensemble du système, qu'il faut faire progresser dans le sens d'une réduction de l'empreinte environnementale.

Au niveau de l'électrode positive, la déclinaison actuelle est surtout centrée sur la NMC, avec une amélioration continue de ces matériaux, dont 700 000 tonnes environ sont utilisées chaque année, contre 50 000 tonnes seulement de LiCoO2.

Notez que le LFP, commercialisé en Chine à très grand volume depuis 2005, soit 10 ans après sa découverte aux États-Unis, est revenu peu à peu en Europe : bien que moins performant que le NMC, il présente en effet l'avantage d'une empreinte environnementale plus faible. Le LFP entraîne derrière lui une série de technologies, dont le sodium-ion qui permet de s'affranchir du lithium-ion, le lithium-soufre et, à long terme, des batteries « tout organique » (à base de carbone, hydrogène, oxygène, azote, issus si possible de la biomasse).

La technologie lithium-soufre, découverte dans les années 1960, suscite un intérêt croissant depuis une quinzaine d'années. On observe notamment une augmentation du nombre de publications scientifiques et de brevets déposés depuis 2010. Le lithium-soufre présente l'avantage de combiner performance et abondance de la matière première. Certains verrous subsistent néanmoins, notamment en termes de durée de vie, de performances en puissance et de maîtrise du lithium métal, qui expliquent que cette technologie ne soit pas encore commercialisée.

Aujourd'hui, le CEA envisage plutôt cette technologie sous le prisme du lithium-soufre en version solide et il est appuyé dans cette démarche par France Relance et l'un des programmes ciblés du PEPR « Batteries ».

Le CEA a lancé en 2012, à l'initiative de Jean-Marie Tarascon, une task force CEA - CNRS sur la technologie sodium-ion. Celle-ci n'était pas nouvelle en tant que telle : dans les années 1980 à Bordeaux, le Pr Claude Delmas travaillait déjà sur le sodium-ion. Entre 2012 et 2015, la task force s'est efforcée de fabriquer des matériaux en quantité suffisante puis, en 2017, une preuve de concept a été réalisée au niveau d'une cellule, qui mesure 6,5 cm de hauteur et 18 mm de diamètre. Le CEA et le CNRS ont par la suite continué à travailler sur différents projets, différents formats de cellules. La création de Tiamat est intervenue en 2017-2018. Des projets ont également été développés au niveau européen, réunissant le CEA, le CNRS et d'autres partenaires dont Tiamat.

Parmi les applications en stationnaire, on peut citer les projets Naïades en 2020 et, plus récemment, Naïma en 2022. Une nouvelle preuve de concept est actuellement en cours au CEA, avec un objet incorporant des cellules Tiamat et un module fabriqué au CEA. Il faut savoir par ailleurs que la Chine s'est emparée du sujet de façon massive ces derniers temps, avec CATL, qui est numéro un mondial, BYD et HiNa Battery. Le CEA et le CNRS continuent à travailler sur le développement d'une nouvelle génération de sodium-ion, comme ce fut le cas pour le lithium-ion. L'étape suivante est l'industrialisation à grande échelle et nous espérons que Tiamat pourra lever en France les fonds nécessaires pour mener ce projet à bien. Je précise que cette technologie ne va pas remplacer le lithium-ion. Elle ne représentera que quelques pourcents du marché global, mais elle arrive et est moins utopique que d'autres technologies, qui sont plus en amont dans leur cycle de développement.

Quelles batteries demain ? Selon le CEA, la tendance sera à une diversification modérée des solutions technologiques au niveau industriel, avec surtout, pendant de nombreuses décennies, du lithium-ion de générations 3 et 4a. Une opportunité pourrait néanmoins s'ouvrir à terme pour le sodium-ion et, plus tard peut-être, le potassium-ion. On envisage enfin une possible confirmation du lithium-métal de générations 4b et 5. Il convient toutefois de noter qu'en 2030 ou 2035, ces technologies ne devraient pas représenter plus de quelques pourcents du marché.

Parallèlement au développement technologique, la forte croissance de la demande nécessitera de mieux maîtriser l'approvisionnement en matières premières, qu'elles soient issues des mines ou du recyclage, avec des boucles les plus courtes possible, d'optimiser les procédés de fabrication pour les rendre moins énergivores et utiliser moins de solvants, et de proposer des batteries plus résilientes en termes de durée de vie, de réparation, de flexibilité, etc.

En conclusion, le CEA est un acteur incontournable en matière de batteries, puisqu'il est positionné sur l'ensemble de la chaîne de valeur. Si le marché est mondial, la France et l'Europe semblent désormais disposer d'un avenir industriel, avec des sociétés comme Saft, Bolloré, Solvay, etc. Enfin, comme l'indiquait précédemment M. Tarascon, les technologies de demain seront essentiellement à base de lithium, car plus performantes, moins chères et moins polluantes que les autres.

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