Les maladies neurodégénératives, en premier lieu celles d'Alzheimer et de Parkinson, sont au coeur des préoccupations de nos concitoyens. La première touche 5 % des plus de 65 ans, la seconde, 1 %. Nombreuses sont les familles à être confrontées à la maladie d'un proche, qui peut entraîner une grande dépendance.
Les maladies neurodégénératives sont mal soignées, excepté les maladies de Parkinson et la sclérose en plaques. Celles-ci sont bien contrôlées par les traitements symptomatiques, mais leur évolution reste inexorable. D'autres ne disposent d'aucun traitement efficace, comme les maladies d'Alzheimer, de Charcot (aussi appelée sclérose latérale amyotrophique) ou de Huntington.
Patients et familles attendent avec impatience l'arrivée de nouveaux traitements, espoir régulièrement ravivé par de nouveaux résultats positifs de la recherche académique ou des firmes pharmaceutiques. L'attention est surtout portée à des traitements qui interrompraient la mort neuronale, permettant de stopper l'évolution des maladies. Si aucun traitement de ce type n'est disponible actuellement, de grandes avancées ont été réalisées, ces dernières décennies, dans la compréhension de ces maladies.
L'exploration de nouvelles pistes et le maintien de l'effort de recherche sur le long terme ont permis récemment de démontrer l'efficacité de deux traitements, plaçant cette note au coeur de l'actualité. Il s'agit de deux anticorps développés par le consortium Eisai-Biogen (lécanemab) et Eli Lilly (donanemab).
L'Office n'avait jamais fait le point sur la prise en charge des maladies neurodégénératives, même s'il avait été fait mention de la stimulation cérébrale profonde dans la note scientifique de Patrick HETZEL sur les défis scientifiques et éthiques des neurotechnologies.. Je présenterai donc différentes stratégies thérapeutiques et les évolutions technologiques associées. Je parlerai ensuite de quelques pistes prometteuses testées en recherche fondamentale ou clinique, avant d'aborder les freins rapportés par les nombreux médecins et chercheurs au cours des auditions.
Les neurotransmetteurs sont des substances qui permettent la communication neuronale. La mort des neurones induit des déséquilibres dans leurs concentrations, qui sont à l'origine, par exemple, des symptômes moteurs de la maladie de Parkinson. L'approche de pharmacologie classique est utilisée pour tenter de restaurer les équilibres perdus, en administrant aux patients des analogues ou des précurseurs de neurotransmetteurs.
Dans la maladie d'Alzheimer, des modulateurs chimiques de la communication neuronale étaient préconisés jusqu'à ce que la Haute autorité de santé estime leur balance bénéfices/risques insuffisamment favorable, conduisant à leur déremboursement en 2018. Cette décision est vivement regrettée par les médecins et les patients, qui estiment que les patients « répondeurs » sont aujourd'hui mieux identifiés et que l'absence de traitement possible conduit à retarder le diagnostic.
Dans la maladie de Parkinson, lorsque ces modulateurs chimiques sont moins efficaces et génèrent trop d'effets indésirables, la stratégie thérapeutique de référence est la pose d'un dispositif de stimulation cérébrale profonde. Issue de la recherche française, la technique consiste à stimuler la zone en aval de celle où les neurones meurent, pour restaurer un équilibre excitation/inhibition. Elle est très efficace et permet de diminuer les traitements médicamenteux.
La technique a été grandement améliorée : la pose est effectuée dans de meilleures conditions, et les dispositifs évoluent vers des systèmes rechargeables et plus précis, grâce à des électrodes directionnelles ou des systèmes adaptatifs, ceux-ci étant prometteurs mais encore à l'essai.
Les spécialistes regrettent néanmoins que seul un cinquième des patients éligibles ait accès à cette technique. La raison invoquée est le trop faible nombre de centres la pratiquant régulièrement et dotés d'une expertise suffisante. Cette activité ne serait pas prioritaire pour les hôpitaux soumis à de fortes contraintes économiques.
Pour la plupart des maladies neurodégénératives, les thérapies non médicamenteuses améliorent le quotidien des patients. Simulation cognitive et activité physique font partie des soins recommandés ; l'accès aux kinésithérapeutes et orthophonistes est d'ailleurs prévu dans les dispositifs d'affection longue durée. Cependant, cet accès est rendu difficile par le manque de professionnels.
Pour faciliter le quotidien ou traiter d'autres conséquences de ces maladies, comme le stress et l'anxiété, la technologie peut intervenir en complément : montres ou piluliers connectés, logiciels ou jeux vidéo de stimulation cognitive, robots, etc. De plus, pour certaines maladies liées à des facteurs de risque contrôlables, la stimulation cognitive, l'activité physique, la nutrition ou encore la méditation ont aussi un intérêt préventif.
Des thérapies innovantes ont vu le jour depuis l'essor des biotechnologies. Lorsque la maladie est d'origine génétique - c'est le cas de la maladie de Huntington et d'environ 10 % des cas de la maladie de Charcot - la thérapie peut consister à bloquer l'expression du gène muté. On peut employer à cette fin des oligonucléotides anti-sens, qui sont de petites séquences ARN qui empêchent la traduction des gènes mutés en protéines toxiques. Cette approche vient d'être autorisée outre-Atlantique pour certaines formes de sclérose latérale amyotrophique.
La stratégie thérapeutique issue des biotechnologies faisant le plus parler d'elle est l'immunothérapie passive. Il s'agit d'administrer aux patients des anticorps dirigés contre les plaques amyloïdes, ces agrégats protéiques qui caractérisent la maladie d'Alzheimer. Les anticorps sollicitent le système immunitaire du patient pour éliminer les plaques. Alors que l'on testait sans résultat des anticorps depuis plusieurs décennies, deux d'entre eux ont enfin démontré leur efficacité tant biologique, sur les plaques amyloïdes, que clinique, sur le déclin cognitif. L'amélioration des connaissances a permis de mieux définir la cible de ces anticorps. L'administration précoce des traitements a également contribué à leur efficacité.
Ils suscitent à la fois beaucoup d'engouement et un peu de réserve, car l'effet sur le déclin cognitif reste modeste et des effets indésirables potentiellement graves, qui nécessitent un suivi des patients par IRM au début du traitement, peuvent survenir.
L'un de ces anticorps a été autorisé aux Etats-Unis et est en attente d'autorisation en Europe ; ils prendront certainement une grande place dans la prise de charge de la maladie à court et moyen terme.
Des efforts de recherche sont déployés dans d'autres directions, dont le diagnostic. Pour la maladie d'Alzheimer, le diagnostic reste souvent trop tardif alors que la possibilité d'organiser la vie du patient et de lui proposer des thérapies non médicamenteuses justifie de diagnostiquer tôt. Ceci sera encore plus vrai avec l'arrivée des immunothérapies précédemment mentionnées.
La recherche de biomarqueurs sanguins, aujourd'hui détectés dans le liquide céphalo-rachidien, pourrait contribuer à favoriser le diagnostic en facilitant l'acte de prélèvement.
Des innovations technologiques permettent de proposer de nouvelles approches, par exemple l'ouverture de la barrière hématoencéphalique à l'aide d'ultrasons. Le cerveau est normalement isolé du reste du corps par cette barrière entre le système sanguin et le tissu cérébral. Les traitements pénètrent donc mal les tissus cérébraux. L'application d'ultrasons améliore substantiellement la pénétration du traitement dans la zone ciblée et permettrait de reconsidérer des traitements n'ayant pas fonctionné faute de pénétration dans les tissus.
Une autre innovation repose sur la lumière infrarouge, qui dynamise les neurones et limite leur dégénérescence. Des chercheurs français travaillent à créer une telle stimulation au coeur du cerveau, en s'inspirant de la stimulation cérébrale profonde, pour interrompre l'évolution de la maladie de Parkinson.
Les biotechnologies offrent la possibilité de traiter ces maladies par la thérapie génique, qui consiste à inculquer des gènes à des cellules. Dans la maladie de Parkinson, et avec l'objectif de compenser la perte des neurones produisant la dopamine, les gènes de synthèse de ce neurotransmetteur sont administrés aux neurones situés en aval de la zone affectée. Ce traitement, toujours à l'essai, n'est cependant que symptomatique ; il n'empêche pas l'évolution de la maladie.
L'essor récent des cellules souches pluripotentes induites, issues de la peau, ouvre également de nouveaux horizons. Ces cellules sont reprogrammées par des facteurs chimiques pour revenir à l'état de cellule souche, permettant de s'affranchir des cellules souches d'origine foetale, dont l'emploi est strictement réglementé pour des raisons éthiques. Les cellules induites sont facilement utilisables en thérapie cellulaire, qui consiste à greffer des neurones aux patients pour compenser les effets de la mort neuronale. Des résultats encourageants ont été obtenus pour la sclérose en plaques, les cellules greffées remplaçant les cellules lésées et stimulant la restauration spontanée de la gaine de myéline.
Cette maladie, un peu à la marge des maladies neurodégénératives, voit sa composante inflammatoire bien contrôlée par les traitements immunomodulateurs et immunosuppresseurs, mais l'atteinte progressive des neurones et le handicap en découlant sont inéluctables.
Les cellules souches induites ont également permis le développement d'un nouveau modèle de recherche : le cérébroïde ou mini-cerveau. Celui-ci est composé de cellules humaines, ce qui en fait un modèle de choix pour tester les thérapies géniques et cellulaires. Il demeure néanmoins beaucoup trop éloigné de la complexité du cerveau animal. Celle du cerveau humain, encore supérieure, conduit d'ailleurs les chercheurs en neurosciences à dépendre de modèles animaux tels que les primates, plus que dans d'autres domaines.
Les efforts de recherche ont récemment porté leurs fruits avec les deux traitements à base d'anticorps précédemment évoqués. Cependant, médecins et associations de patients s'interrogent sur la disponibilité effective de ces thérapies, car leurs conditions de mise en oeuvre sont peu compatibles avec les difficultés de notre système de santé. Pour réaliser auprès d'une population cible de un à deux millions de patients une injection intraveineuse bimensuelle et un suivi régulier par IRM, il faut en effet que les soignants et les appareils d'imagerie soient en nombre suffisant. La réflexion engagée par la communauté médicale doit impérativement être élargie et associer les pouvoirs publics.
Si la recherche avance et que les pistes à l'étude entrent progressivement dans des phases cliniques, nombreux sont les acteurs à regretter les difficultés administratives qui plombent l'innovation. L'implication des multiples tutelles ou encore la frilosité des Comités de protection des personnes sont dénoncées. Dans le cas des maladies rares, il est presque impossible pour nos médecins et chercheurs de collaborer à des cohortes internationales car les données des patients français sont couvertes par les dispositions de la loi Informatique et libertés, plus restrictive que le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Des initiatives pour faciliter la recherche clinique ont été saluées et un espoir est placé dans l'Agence innovation santé, créée récemment pour identifier les facteurs qui permettront d'améliorer l'accès à l'innovation.
Par ailleurs, comme dans tous les autres secteurs de la biologie-santé, la faible attractivité des métiers et la courte durée des financements de la recherche sont regrettées.
Ainsi, la période actuelle marque l'aboutissement de plusieurs pistes de recherche avec l'attribution d'autorisations de mise sur le marché à des thérapies innovantes comme les immunothérapies passives et les oligonucléotides anti-sens. L'effort de recherche doit impérativement être maintenu car le fardeau des maladies neurodégénératives s'amplifiera avec le vieillissement de la population.
Médecins, chercheurs et associations déplorent d'ailleurs un manque d'intérêt pour ce secteur, dont ils estiment qu'il n'est pas considéré à la hauteur des conséquences de ces maladies pour la société. Il importe d'allouer à la recherche des financements conséquents pour lui permettre de revenir à la pointe et de faciliter l'innovation en l'allégeant des contraintes administratives. Pour ce faire, la feuille de route Maladies neurodégénératives doit être reprise avec plus de dynamisme et d'intérêt par les autorités.
Je vous propose plusieurs recommandations :
- lutter contre le sous-diagnostic et l'errance médicale associés notamment aux maladies de Parkinson et d'Alzheimer, dans la mesure où des prises en charge thérapeutiques existent déjà et où de futurs traitements devraient permettre une meilleure prise en charge ;
- sécuriser l'accès à l'implantation de dispositifs médicaux pour les patients parkinsoniens en réunissant les équipes expérimentées et à la pointe de la technologie dans des centres dédiés ;
- encadrer le développement des tests sanguins visant à rechercher des biomarqueurs liés aux maladies neurodégénératives, en restreignant, dans un premier temps, leur prescription aux centres mémoire ;
- faire du rendez-vous de prévention à 65 ans, adopté dans le budget de la Sécurité sociale pour 2023, un moment clef de la prévention des maladies neurodégénératives ;
- préparer l'arrivée probable des nouvelles immunothérapies amyloïdes pour que chaque patient éligible puisse y accéder.
Lorsque j'ai passé l'internat, je me destinais à la neurologie. J'ai passé six mois dans un service dédié réalisant des diagnostics pointus. Néanmoins, aucun traitement n'existait à l'époque. Je me suis donc rapidement tournée vers une autre spécialité permettant de soulager les patients.