Intervention de Hélène Budzinski

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 8 juin 2023 à 9h40
La surveillance et les impacts des micropolluants de l'eau — Audition publique christine arrighi députée et angèle préville sénatrice rapporteures

Hélène Budzinski, directrice de recherche au CNRS, directrice de l'UMR « Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux » :

Je vais faire un exposé général sur la contamination des milieux aquatiques, les éléments d'information dont on dispose actuellement sur le sujet et les enjeux de connaissances qui s'y rapportent pour améliorer à terme notre gestion du problème.

La pollution chimique est désormais un phénomène avéré, constaté. Elle fait malheureusement partie de notre société. La cinquième limite planétaire liée à la présence d'entités chimiques a été présentée comme dépassée par l'équipe de Persson en 2022. La production de produits chimiques a en effet été multipliée par cinquante depuis 1950 et les projections - optimistes - indiquent qu'elle doit encore tripler d'ici 2050. La pollution plastique, particulièrement visuelle, a quant à elle augmenté de 80 % entre 2000 et 2015 et les projections ne sont guère optimistes, malgré les premières mesures prises.

Ces composés, une fois produits, sont utilisés. Or leur usage, agricole, industriel, domestique et dans le domaine de la santé, est la cause essentielle de leur diffusion dans l'environnement, puisqu'une fois utilisés ils sont rejetés dans le milieu ambiant (atmosphère, sol, eau). Ce phénomène, très diffus et global, questionne des usages multiples, donc des sources multiples, qui concernent des milliers de molécules. La problématique posée est donc multi-classes et multi-composés. De par l'interconnexion entre les différents compartiments, on retrouve in fine ces composés dans les eaux, qui sont les réceptacles finaux de tout ce que nous consommons.

Il existe à ce sujet des réglementations à la fois nationales et européennes, mais qui sont loin d'être suffisantes car elles concernent généralement des listes très limitées de composés.

L'eau est à la fois une ressource pour l'être humain et un milieu de vie. Or nous savons désormais que les écosystèmes aquatiques sont des environnements majeurs dans l'atténuation des impacts du changement climatique, alors même que l'eau est elle-même touchée par ce phénomène.

Cette ressource, et notamment l'eau douce, est très limitée sur Terre. Par ailleurs, la population augmente, tout comme son indice de développement, ce qui concourt à diminuer de façon arithmétique la quantité d'eau utile par habitant. Si l'on prend également en considération les scénarios de changement climatique, il apparaît que la situation va s'aggraver, avec la survenue prévisible de situations de pénurie. Sur la carte actuellement projetée à l'écran, qui montre l'évolution du débit moyen des cours d'eau à l'horizon 2050/2070, on observe par exemple que le sud-ouest de la France sera très impacté, avec de fortes pénuries en eau de surface.

Cette perspective, qui invite à accorder une attention et un soin particuliers à cette ressource, est également synonyme de concentration croissante des polluants. En effet, si l'on extrapole la situation de pollution que l'on connaît à l'heure actuelle, on observe que le phénomène sera aggravé, avec une concentration des polluants.

Ainsi, il est clair que l'eau et la pollution chimique sont devenues des enjeux globaux, au même titre que le changement climatique. Depuis une trentaine d'années, des avancées ont été enregistrées dans ce domaine, essentiellement grâce aux progrès effectués en chimie analytique et en spectrométrie de masse. Ceci a permis de mettre en évidence la présence de centaines, voire de milliers de molécules dans l'environnement. Les contaminants réglementés sont suivis de manière assez fine, mais ne représentent qu'une part infime des micropolluants connus, qui ne constituent eux-mêmes qu'une petite partie des contaminants présents, sachant qu'il existe une grande quantité de polluants inconnus.

Les contaminations environnementales se situent à des niveaux faibles, de l'ordre de quelques nanogrammes, voire picogrammes par litre. Il faut toutefois savoir que c'est à ces concentrations que les molécules sont toxiques.

On questionne dans ce contexte des matrices complexes et variées : eaux souterraines, eaux de surface, eaux usées, etc. L'enjeu en terme d'analyse tient donc au fait de devoir étudier des niveaux très faibles de polluants dans des matrices complexes.

Il est important de pouvoir à terme prendre en considération des milliers de molécules, tout en gardant à l'esprit la nécessité de travailler sur les notions de variabilité, de représentativité (spatiale et temporelle) et de tendances à long terme, essentielles pour l'eau. Il convient également de comprendre les phénomènes de transformation des composés organiques.

Pour une chimiste comme moi, l'enjeu est d'améliorer la sensibilité, la caractérisation chimique des mélanges, de traiter le sujet des produits de transformation et de travailler la notion de représentativité, afin d'identifier les micropolluants pertinents et leurs sources.

Au fil du temps, nous améliorons nos connaissances. Le schéma présenté à l'écran, extrait du rapport L'état des eaux des bassins Rhône-Méditerranée et de Corse de 2020, montre ainsi que l'on détecte de plus en plus de molécules. Cela n'est pas le signe qu'elles sont de plus en plus nombreuses, mais que les scientifiques sont toujours plus performants. Cela permet d'effectuer des suivis de centaines de molécules de pesticides, comme le montre la carte de présence de molécules phytosanitaires dans les rivières du bassin Adour - Garonne qui vous est présentée. Ces suivis confirment malheureusement que la pollution est bien présente. Ils sont effectués au niveau locorégional mais aussi à l'échelle mondiale, et montrent la dimension totalement globalisée de cette pollution. Cela concerne notamment les composés pharmaceutiques, dont on a cru qu'ils constituaient une problématique très régionale jusqu'à ce qu'une étude assez récente de l'équipe de Wilkinson, à laquelle a me semble-t-il participé Jeanne Garric, montre qu'ils sont bien présents sur tous les continents, y compris en Antarctique, et très liés à la présence humaine.

S'ajoutent à cela les impacts du changement climatique sur la qualité de l'eau. Nous savons que cela va modifier la biodisponibilité, la remobilisation et le transfert des polluants. Globalement, tout va concourir à une augmentation de la concentration des polluants. Cela va donc induire un stress supplémentaire pour les organismes du milieu, associé à des changements de température, de salinité, etc. Vont également apparaître des produits de transformation, avec la survenue de phénomènes d'oxydation plus prononcés.

En conclusion, le constat actuel est celui d'une amélioration des connaissances, qui a permis de mettre en évidence l'existence d'un très grand nombre de composés chimiques et de traiter les faibles concentrations. Nous savons en outre que nos usages et nos populations vont, tout comme le changement climatique, conduire à une augmentation de ces apports et de la concentration de ces composés. L'usage de l'eau, en constante augmentation, va par ailleurs amplifier le problème, tandis que la hausse de la dégradation par oxydation induira une diminution des produits initialement suivis, mais conduira à l'apparition de produits de transformation. Un bon exemple de ce phénomène est celui des métabolites du métolachlore ou du chlorothalonil, actuellement très problématiques.

Quels sont les besoins et les enjeux ? Il conviendra d'améliorer nos capacités en matière de caractérisation, de mieux aborder les effets mélanges, de prioriser les listes de composés pertinents à suivre, d'objectiver les tendances à long terme tout en suivant les événements ponctuels extrêmes, dont on sait qu'ils sont vecteurs de pollutions conséquentes. Il est également très important de travailler à la caractérisation des produits de transformation et des composés inconnus.

Nous savons en outre qu'il faut diminuer globalement les apports en substances chimiques en quantité, donc en concentration, et en nombre. 350 000 substances chimiques ont été recensées comme présentes dans l'environnement par Wang et ses collaborateurs en 2020. Cela donne la mesure de l'enjeu.

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