Intervention de Christophe Rosin

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 8 juin 2023 à 9h40
La surveillance et les impacts des micropolluants de l'eau — Audition publique christine arrighi députée et angèle préville sénatrice rapporteures

Christophe Rosin, chef de l'unité chimie des eaux au laboratoire d'hydrologie de l'Anses à Nancy :

Merci pour cette invitation qui va me donner l'occasion d'évoquer la thématique des micropolluants émergents dans les eaux de consommation.

J'appartiens au laboratoire d'hydrologie de l'Anses, qui réalise périodiquement des campagnes prospectives sur des micropolluants qui ne sont pas encore réglementés. Ces travaux sont réalisés en collaboration avec le ministère de la santé, la direction générale de la santé (DGS), et avec l'appui local des agences régionales de santé, avec l'objectif d'améliorer la connaissance de la contamination des eaux de consommation et de disposer de données d'exposition utiles à l'évaluation des risques sanitaires.

Un « micropolluant émergent » est une molécule organique ou synthétique qui n'est pas couramment surveillée et est susceptible de présenter des effets adverses sur la santé ou l'environnement. Il peut s'agir d'une molécule nouvellement synthétisée, utilisée en grande quantité, mais aussi d'une molécule suscitant depuis peu l'intérêt et l'interrogation de la communauté scientifique et des autorités, avec souvent un décalage dans le temps par rapport à l'utilisation de la molécule, du fait de publications scientifiques effectuées postérieurement, comme le montre l'exemple du PFOS.

Depuis les années 1930, la production mondiale de produits chimiques a été multipliée par 400. On dénombre plus de 100 000 substances commercialisées en Europe, dont 30 000 en quantité supérieure à une tonne par an. S'intéresser aux substances émergentes suppose de définir des critères : faut-il s'intéresser aux molécules cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques, aux perturbateurs endocriniens, aux polluants organiques persistants, à des produits phytosanitaires, à des plastifiants ? Il est nécessaire, dans ce contexte, de prioriser les travaux. La démarche retenue consiste à ouvrir très largement les types d'informations à collecter afin d'établir des listes prioritaires. Cela passe par de la veille scientifique et une attention portée à des alertes locales ou émanant de pays voisins (ce fut le cas pour les PFAS dans les années 2007-2008), à l'expression de besoins d'évaluation de risques sanitaires ou encore à l'existence d'études conduites par des groupes de travail ou des collectifs d'experts.

Depuis une quinzaine d'années, plusieurs campagnes exploratoires de polluants émergents ont été menées. Cela a concerné des médicaments, des PFAS, des perchlorates, du chrome hexavalent ou tout récemment des métabolites de pesticides et des résidus d'explosifs. Il peut s'agir aussi de micropolluants en lien avec les filières de traitement d'eau potable ou la distribution de l'eau et les matériaux utilisés dans ce cadre, comme le chlorure de vinyle monomère.

L'un des principaux enjeux est d'être le plus réactif possible. Il faut en effet, entre le moment où l'on identifie une molécule d'intérêt et celui où l'on va disposer des résultats exploités, passer par plusieurs étapes : le développement et la validation de méthodes, la mise en oeuvre de la campagne exploratoire et l'exploitation des résultats, avec des calendriers difficilement compressibles à moins de deux ans.

Une autre difficulté à laquelle nous sommes confrontés lors de ces campagnes exploratoires de micropolluants émergents réside dans la stratégie d'échantillonnage. On dénombre en France environ 33 000 captages et 16 000 stations de traitement d'eau potable. Il n'est évidemment pas possible d'aller rechercher tous ces micropolluants dans l'ensemble des captages et stations. Nous avons par conséquent défini une stratégie qui nous permet, à moindre effort, de disposer d'un premier état des lieux. Cela consiste, dans chaque département, à échantillonner la ressource avec le plus gros débit de production, une ressource sélectionnée aléatoirement et une ressource connue pour sa particulière vulnérabilité aux micropolluants recherchés. Ainsi, le recueil d'environ 300 échantillons nous permet de disposer d'une photographie réaliste, avec une couverture représentative de 20 % du débit national de production. Nous ne nous focalisons pas uniquement sur les points noirs et avons un échantillon raisonnable ; mais cette méthodologie n'exclut pas de passer à côté de sites fortement impactés. La photographie obtenue correspondant à un instant t, n'est par ailleurs pas forcément adaptée pour déceler des pollutions transitoires.

Nous disposons d'instruments de plus en plus performants, qui nous permettent de quantifier des concentrations de plus en plus faibles. Nous sommes ainsi passés de la détection, dans les années 1960-1970, de concentrations de l'ordre d'un milligramme par litre, soit environ un kilogramme de sucre dans une piscine olympique, à un microgramme par litre, qui représente un sucre dans cette même piscine, pour atteindre aujourd'hui l'échelle du nanogramme par litre, soit quelques grains de sucre dans ce même volume d'eau.

Ces techniques performantes ont pour conséquence des risques accrus de contaminations croisées entre le moment où l'on effectue le prélèvement et celui où l'on procède à l'analyse en laboratoire. Cela renforce aussi le besoin d'interpréter ces résultats en lien avec l'évaluation des risques sanitaires, ce qui fera l'objet de la seconde table ronde. Puisque nous sommes susceptibles de quantifier quasiment n'importe quelle molécule dans n'importe quelle matrice, nous devons en effet obligatoirement mettre ces chiffres en perspective avec une évaluation des risques sanitaires.

Je souhaiterais vous présenter un exemple qui illustre parfaitement les liens et interactions existant entre recherche, évaluation et gestion. Lors de la dernière campagne exploratoire relative aux métabolites de pesticides, l'un d'entre eux a particulièrement retenu notre attention : il s'agit du chlorothalonil R471811, métabolite d'un fongicide interdit à la fabrication en 2019 et à l'utilisation en 2020, qui avait été identifié par une équipe suisse avec une méthode non ciblée montrant la présence de cette molécule dans un grand nombre de captages, raison pour laquelle nous l'avons retenue dans notre campagne nationale initiée en 2020. Nous avons pu mettre en évidence des teneurs dépassant la valeur de 0,1 microgramme par litre et le ministère de la santé a saisi l'Anses pour qu'elle réalise une évaluation des risques sanitaires afin de voir si cette molécule présentait un risque. S'en est également suivi un avis du Haut Conseil de la santé publique en 2022 et une instruction du ministère de la santé qui a permis d'établir des modalités de gestion pour faire face à la présence de cette molécule. Parallèlement, le ministère de la transition écologique a retenu cette molécule d'intérêt dans son arrêté « surveillance » en 2022. Ces différentes étapes se sont déroulées avant la publication du rapport et l'interprétation finale des résultats, ce qui montre la dynamique susceptible de se mettre en place lorsque l'on se trouve face à des contaminations inattendues. Nous sommes actuellement en train d'accompagner les laboratoires qui vont progressivement mettre en place la surveillance nationale de cette substance.

Je conclurai en rappelant que l'eau de consommation est probablement le bien commun le plus surveillé. La nouvelle réglementation européenne, avec la directive « eau potable », va encore renforcer cette surveillance, avec la mise en place de listes de vigilance et des campagnes prospectives permettant de mieux connaître la qualité des ressources en s'intéressant à des paramètres qui ne sont pas réglementés. Nous avons, dans ce contexte, plus que jamais besoin d'échanger avec les équipes d'universitaires, de scientifiques et les différents acteurs, de mettre en commun données et connaissances et de nous intéresser à des méthodes d'approche globales et semi-globales, puisqu'il n'est pas possible de rechercher l'ensemble des composés et que nous avons besoin d'indicateurs globaux.

Je termine cet exposé en mentionnant, à titre d'exemple, les molécules d'intérêt retenues pour la prochaine campagne de polluants émergents, qui va débuter début 2024 autour de composés PFAS, de quelques pesticides et d'approches non ciblées qui vont nous permettre de nous intéresser a posteriori à des molécules que nous n'avons pas encore identifiées aujourd'hui.

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