Intervention de Laurence Caté

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 8 juin 2023 à 9h40
La surveillance et les impacts des micropolluants de l'eau — Audition publique christine arrighi députée et angèle préville sénatrice rapporteures

Laurence Caté, adjointe à la sous-directrice de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation à la Direction générale de la santé :

Merci de votre invitation à venir évoquer les missions et le rôle du ministère chargé de la santé et des agences régionales de santé (ARS) en matière de contrôle sanitaire de l'eau potable.

Marie-Laure Métayer m'offre l'occasion d'une transition, puisque le plan d'action pour une gestion résiliente et concertée dans le domaine de l'eau, annoncé par le président de la République le 30 mars dernier, comprend 53 mesures concrètes répondant aux grands enjeux de sobriété de l'usage, de disponibilité et de qualité de la ressource, notamment en eau potable, et de réponse face aux crises de sécheresse. L'un des objectifs est de prévenir la pollution des milieux aquatiques et de renforcer la protection des aires d'alimentation des captages.

Les micropolluants représentent plus de 100 000 molécules, parmi lesquelles des plastifiants, des détergents, des métaux, des hydrocarbures, des pesticides, qui peuvent engendrer à très faible concentration des effets négatifs sur les organismes vivants, en raison de leur toxicité, de leur persistance et du phénomène de bioaccumulation.

En France, les actions mises en oeuvre pour mieux connaître et agir sur ces micropolluants sont décrites dans le plan national d'action sur les micropolluants, piloté par le ministère de la transition écologique, qui couvre la période 2016-2021. Un troisième plan est en préparation, pour établir une meilleure connaissance des micropolluants et réduire cette pollution à la source.

Au sein du ministère chargé de la santé, la Direction générale de la santé pilote la politique et la réglementation en matière de sécurité sanitaire de l'eau potable. Elle remplit à ce titre trois missions : l'encadrement juridique du contrôle sanitaire par les agences régionales de santé et la fixation de la doctrine par la voie de différentes instructions nationales ; l'anticipation de la recherche et la détection de pollutions émergentes, en mandatant l'Anses ; la participation à différents plans et stratégies (dont les deux plans micropolluants et le récent plan sur les PFAS émanant du ministère de la transition écologique) pour intégrer la surveillance et la recherche des micropolluants dans les eaux, notamment celles servant à la production d'eau potable.

Les agences régionales de santé sont chargées de mettre en oeuvre cette politique, notamment d'exercer le contrôle sanitaire. Pour rappel, le suivi de la qualité de l'eau repose sur deux volets complémentaires : d'une part, une surveillance par les entités responsables de la production et de la distribution d'eau, c'est-à-dire les collectivités locales ou les syndicats d'alimentation en eau potable et leurs délégataires, d'autre part, un contrôle sanitaire exercé à travers les ARS. Le contenu de la surveillance et du contrôle sanitaire (analyses, fréquence, points de surveillance) est défini par le cadre national, qui découle lui-même de la réglementation européenne, en l'occurrence la directive eau potable 2020/2184, récemment transposée par la France. On peut se féliciter qu'elle soit l'un des sept États membres à avoir effectué cette transposition dans les délais impartis.

À propos des principales évolutions relatives aux substances recherchées dans le cadre du contrôle sanitaire, je souhaiterais, à l'image de Christophe Rosin, insister tout d'abord sur le fait que l'eau est un aliment très contrôlé. Le contrôle sanitaire donne lieu annuellement à environ 320 000 prélèvements et nous enregistrons dans la base de données nationale SISE-Eaux plus de 18,5 millions d'analyses, ce qui est considérable.

En fonction des paramètres, des analyses sont réalisées dans les eaux brutes, souterraines ou superficielles, utilisées pour la production, ainsi que dans l'eau distribuée, au point de mise en distribution en sortie de station de production et au robinet du consommateur. Les prélèvements et analyses sont réalisés par des laboratoires agréés pour le contrôle sanitaire des eaux, notamment par l'Anses pour la partie microbiologique et chimique, et retenus dans le cadre de marchés publics établis par les ARS.

L'évolution du nombre de molécules recherchées concerne essentiellement ces dernières années les pesticides et métabolites de pesticides. Ainsi, le programme du contrôle sanitaire de chaque région contient en moyenne 250 pesticides et métabolites recherchés. À cet égard, le ministère de la santé a diffusé le 18 décembre 2020 une proposition de méthodologie pour harmoniser les modalités de sélection de ces molécules au regard notamment des pratiques culturales agricoles et des ventes de pesticides.

Un autre élément d'évolution du contrôle sanitaire est la transposition de la directive 2020/2184, qui permettra d'ajouter d'ici janvier 2026 de nouveaux paramètres tels que les composés perfluorés, l'acide haloacétique, l'uranium et les chlorates. La directive comprend par ailleurs une liste de vigilance pour des substances à caractère de perturbateurs endocriniens, également ajoutées au contrôle sanitaire : le 17-bêta- oestradiol et le nonylphénol.

Au-delà du contrôle sanitaire, nous mandatons le laboratoire d'hydrologie de l'Anses basé à Nancy pour, comme l'a expliqué M. Rosin, réaliser des campagnes nationales exploratoires pour rechercher des paramètres émergents et non réglementés, à la fois dans les eaux brutes et les eaux distribuées. La dernière en date, qui s'est déroulée sur la période 2020-2022, a porté sur les pesticides et les métabolites de pesticides, notamment le chlorothalonil, les résidus d'explosifs et le 1,4-dioxane. Au regard de cette campagne, il est prévu que le contrôle sanitaire évolue, notamment pour intégrer le chlorothalonil. Ceci doit s'effectuer en lien avec une montée en compétences des laboratoires agréés, qui doivent s'approprier les techniques adaptées afin d'être en mesure de rendre des analyses sous accréditation, ce qui n'est pas encore le cas.

Je souhaiterais maintenant évoquer les principaux résultats du contrôle sanitaire au niveau national. À la DGS, nous exploitons à travers la base de données SISE-Eaux les données nationales concernant la qualité microbiologique de l'eau, en rapport avec la présence de nitrates et de pesticides. Ces bilans nationaux, assortis d'une synthèse, sont publiés annuellement sur notre site internet et font l'objet d'un rapportage auprès de l'Union européenne, au titre de la directive eau potable. En 2021, il apparaissait que 98,3 % de la population étaient alimentés par de l'eau respectant en permanence les limites de qualité microbiologique et 82,6 % par de l'eau respectant en permanence les limites de qualité réglementaire pour les pesticides. De plus, pour la quasi totalité de la population alimentée par une eau non conforme, les dépassements se sont avérés limités en concentration et dans le temps, ne nécessitant pas de restrictions de l'usage de l'eau du robinet. Enfin, 99,3 % de la population étaient alimentés par une eau dont la qualité respectait en permanence la limite de qualité pour les nitrates fixée par la réglementation.

Une analyse plus précise est également réalisée au niveau local par les ARS afin de connaître les tendances et les évolutions dans les territoires, et publiée sur leurs sites internet.

Toutes les données recueillies par les autorités sanitaires sont disponibles depuis de nombreuses années sur notre site internet et depuis 2019 en open data. Elles sont également publiées sur les sites des ARS et affichées en mairie, conformément à la législation. Une synthèse annuelle accompagne par ailleurs la facture d'eau des abonnés. Elle sera également bientôt transmise, grâce aux évolutions permises par la directive, aux habitants en copropriété et aux locataires.

Quelles sont les actions conduites en cas de non-conformité et pour améliorer la qualité de l'eau potable ? Les résultats du suivi de la qualité de l'eau conduisent si besoin à des mesures de gestion. Je rappelle qu'une non-conformité désigne toute situation de dépassement de la limite de qualité fixée par la réglementation en tout point de surveillance et de contrôle. Ces limites sont fondées sur des recommandations et des évaluations de l'Organisation mondiale de la santé : il s'agit donc de valeurs guides, établies sur la base de connaissances scientifiques et médicales, indiquant que la présence dans l'eau de tel ou tel composant est susceptible d'induire à plus ou moins long terme un risque pour la santé de la population. Cela procède des paramètres microbiologiques d'une trentaine de substances indésirables ou toxiques : nitrates, métaux, solvants chlorés, hydrocarbures, pesticides. Ces limites garantissent un haut niveau de protection sanitaire de la population.

Tout dépassement de limite de qualité observé soit au travers de la surveillance de l'exploitant, soit par l'intermédiaire du contrôle sanitaire doit appeler une action de la part de la personne responsable de la production et de la distribution d'eau, à savoir une investigation visant à trouver la raison de la contamination et de la non-conformité, l'information des autorités sanitaires et de la population et la mise en oeuvre d'actions correctives.

Lorsqu'une eau dépasse une limite de qualité, le droit européen, transcrit dans le droit national, autorise néanmoins sa distribution aux consommateurs dans un cadre dérogatoire fixé par arrêté préfectoral et pour une durée limitée à trois ans renouvelable, sous réserve, d'une part, qu'il n'y ait pas de dépassement de la valeur sanitaire individuelle fixée pour le paramètre lorsqu'elle existe, d'autre part, que la personne responsable de la production et distribution d'eau mette en oeuvre des actions préventives et curatives. Cela vise à améliorer la qualité de la ressource, éviter la pollution à la source (raison pour laquelle sont mis en place des périmètres de protection des captages d'eau potable) et permettre la mise en oeuvre de traitements ou d'interconnexions avec d'autres réseaux de dilution, afin de revenir à terme à une eau conforme. Cette dérogation, limitée dans le temps, comprend forcément un volet d'information de la population. En cas de non-conformité et de dépassement de la valeur sanitaire ou d'absence de valeur sanitaire (problématique rencontrée en 2022 pour un certain nombre de métabolites de pesticides), il est recommandé une restriction de la consommation de l'eau de boisson et de cuisson des aliments.

L'accompagnement des personnes responsables de la production et de la distribution d'eau s'effectue au niveau des agences régionales de santé. Il faut savoir que la distribution d'une eau de qualité nécessite, comme cela a été indiqué par Marie-Laure Métayer, la définition et la mise en oeuvre de mesures préventives, mais aussi curatives. La protection des ressources en eau passe en premier lieu par des mesures de prévention comme l'interdiction d'utiliser des polluants, notamment des pesticides, à proximité des captages d'eau : cela fait l'objet des prescriptions fixées dans les arrêtés préfectoraux et vise à éviter que la qualité de ces eaux ne se dégrade. En effet, la reconquête de la qualité de l'eau brute est déjà un enjeu, qui doit mobiliser l'ensemble des acteurs du territoire et des acteurs interministériels.

Nos missions s'exercent ainsi dans différents domaines pour améliorer les connaissances, la surveillance et les mesures de gestion sanitaire des risques associés aux micropolluants présents dans l'eau. Tout comme la préservation de la quantité d'eau et de sa disponibilité, la préservation de la qualité sanitaire de l'eau potable constitue une priorité nécessitant une action interministérielle transcrite dans le plan eau actuel, dans le plan PFAS mais aussi dans le plan d'action de gestion interministérielle des pesticides dans l'eau, pour renforcer en amont la prévention et la lutte contre ces pollutions et mettre en oeuvre en aval des mesures curatives de traitement, d'interconnexion et de dilution.

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