Intervention de Jeanne Garric

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 8 juin 2023 à 9h40
La surveillance et les impacts des micropolluants de l'eau — Audition publique christine arrighi députée et angèle préville sénatrice rapporteures

Jeanne Garric, directrice de recherche émérite à l'INRAE :

Merci de m'avoir invitée à vous parler des impacts écotoxicologiques sur les écosystèmes des multiples polluants dont il vient d'être question. Je précise que réfléchir aux impacts écotoxicologiques impose de penser en termes de biodiversité et de fonctionnement des écosystèmes, ce qui ne fait qu'ajouter de la complexité au problème.

La liste des substances pertinentes à surveiller est établie grâce à divers outils et paramètres ; il existe une multiplicité de cibles, avec des sensibilités toxicologiques spécifiques et très variées, et des vulnérabilités écotoxicologiques et écologiques très différentes.

Aujourd'hui, la plateforme internationale IPBES indique que la pollution est le quatrième facteur de déclin de la biodiversité.

Les défis auxquels il convient de faire face dans ce contexte sont nombreux.

Il est par exemple question depuis tout à l'heure de « substances ». Or il existe des sources multiples, des mélanges complexes et il conviendrait de raisonner en termes de mélanges pertinents plutôt que de substances pertinentes, au-delà même des familles.

Il existe désormais moins de toxicités létales, bien qu'avec le changement climatique et les efflorescences algales, on risque de revoir des poissons morts dans les masses d'eaux. Le problème majeur aujourd'hui est la toxicité sublétale, que l'on ne voit pas.

On observe par ailleurs des expositions à très long terme, sur de nombreuses générations. Je pense notamment aux PFAS évoqués précédemment ou à la chlordécone, mais il en existe de nombreux autres exemples.

Parler d'impacts sur les écosystèmes suppose en outre de raisonner en termes d'interaction des agents stresseurs sur les vulnérabilités. Peu d'intervenants ont évoqué le changement climatique, mais cela signifie moins d'eau, des températures plus élevées, donc des impacts sur le comportement des substances et la vulnérabilité des espèces.

Il faut surtout tenir compte des relations fonctionnelles, notamment des réseaux trophiques, et des impacts sur les communautés.

Les différentes substances ont par ailleurs des mécanismes d'actions variés sur les systèmes vivants. Certaines, comme les perturbateurs endocriniens, miment les hormones. D'autres, étrangères à la vie, sont capables de se lier à un constituant biochimique du vivant. Je pense par exemple aux organo-métaux. Il existe enfin des substances naturelles (phosphore, nutriments, carbone, métaux essentiels) dont la concentration est modifiée dans l'écosystème et qui jouent également un rôle.

Tout ceci conduit à des effets globaux sur la santé des organismes (que l'on parle du poisson, du gammare ou de l'homme), en lien avec des problématiques de reprotoxicité, de cancérogénicité, de mutagénicité, de génotoxicité, de neurotoxicité et d'immunotoxicité. Quelques exemples de molécules susceptibles de produire ce genre d'effets figurent sur la diapositive projetée à l'écran.

Je souhaite revenir brièvement sur des aspects connus. Ainsi, l'alerte relative aux perturbateurs endocriniens date du siècle dernier, des années 1975, avec l'imposex chez les gastéropodes, la féminisation des poissons, le déclin des alligators et des batraciens, l'impact sur les populations de poissons.

Un élément plus subtil, dont on parle peu, est la pression toxique sur l'évolution, qui fait partie de la problématique relative à l'anthropocène. Jusqu'à présent, l'évolution s'était déroulée sur des siècles et des siècles. Or aujourd'hui, il apparaît que la pression chimique peut jouer sur l'adaptation et la vitesse d'adaptation. Je pense par exemple aux génotoxiques qui modifient le génome ou aux pressions qui vont faire mourir les individus les plus sensibles et sélectionner les plus résistants aux produits toxiques (pesticides, etc.). Ce phénomène est encore peu étudié et la recherche doit faire un effort dans ce domaine. Il faut la soutenir pour qu'elle puisse se pencher sur cette problématique, qui me semble vraiment majeure.

Prenons l'exemple de la résistance aux pesticides. Elle a fait évoluer les ravageurs, les insectes, mais aussi les plantes sur lesquelles les pesticides ont été utilisés, d'où les problèmes que nous rencontrons aujourd'hui. Avec les nouveaux produits qui vont arriver (biocides, produits de biocontrôle, etc.) et passent au travers de l'évaluation des risques dans la mesure où ils sont biosourcés, on se prépare une situation très problématique dans quelque temps.

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