Intervention de François Veillerette

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 8 juin 2023 à 9h40
La surveillance et les impacts des micropolluants de l'eau — Audition publique christine arrighi députée et angèle préville sénatrice rapporteures

François Veillerette, porte-parole de Générations futures :

Je ne vais pas revenir sur les éléments scientifiques, fort bien présentés dans les deux interventions précédentes, mais vous donner le point de vue de l'association Générations futures sur deux dossiers déjà évoqués longuement ce matin : celui des pesticides, et plus particulièrement des métabolites de pesticides, et celui des PFAS. J'aborderai à la fois la nature de la problématique, le suivi, mais aussi des pistes d'amélioration possibles des mesures prises. En tant qu'association, nous avons en effet une vision assez pratique et concrète : notre mission est d'essayer d'aider à améliorer la situation pour faire baisser la pression sur les milieux et les populations.

La France semble avoir découvert le sujet des métabolites de pesticides très récemment, à la suite de la publication d'un excellent rapport de l'Anses, qui a recherché, entre autres, 157 pesticides, dont des métabolites de pesticides, et les a trouvés en grand nombre. Ces travaux ont été entrepris car une équipe suisse avait effectué de telles recherches et pointé la présence de ces métabolites, notamment de chlorothalonil. Cela nous semble poser un problème : en effet, s'il faut attendre l'interdiction d'une molécule comme le chlorothalonil (interdite en 2019) pour commencer à chercher les métabolites, l'action qu'il est possible de conduire par la suite n'a plus aucune dimension préventive et ne consiste qu'à constater les dégâts. Or, en consultant les documents de la Commission européenne, une collègue toxicologue qui travaille pour Générations futures s'est aperçue que dès 2006 une alerte avait été émise sur la possibilité, pour ne pas dire la quasi probabilité, d'apparition de métabolites liés à l'utilisation du chlorothalonil. Cela signifie que l'on aurait pu anticiper une possible apparition de métabolites de ce pesticide dès 2006, donc mettre en place une surveillance au fil de l'eau. Or cela n'a pas été fait et il a fallu attendre un signal d'alerte venu d'un autre pays pour agir, malheureusement trop tard.

Tous les dossiers relatifs aux pesticides ne sont pas accessibles dans leur intégralité, mais certains éléments le sont et peuvent permettre, en étudiant le profil des molécules et les avis des experts, d'identifier les pesticides à risque d'apparition de métabolites et de mettre en place rapidement des programmes de surveillance. Notez que les industriels qui produisent les pesticides sont tenus de fournir un certain nombre de données sur les métabolites susceptibles d'apparaître, ainsi que des repères étalons permettant de les suivre dans l'environnement.

En l'occurrence, on ne peut que déplorer un manque de suivi post-autorisation au niveau européen et post-homologation à l'échelle nationale des produits contenant cette substance, qui a conduit à une situation de crise catastrophique. Je rappelle en effet que Le Monde a titré sur le fait que 20 % environ des Français, soit 12 millions de personnes, étaient concernées en 2021 par des non-conformités pour présence de métabolites. Il s'agit là selon nous d'un parfait exemple de ce qu'il ne faut plus faire. Mieux vaut essayer d'anticiper que de courir après les problèmes une fois qu'ils sont survenus : cela semble toujours de bonne politique.

Le chlorothalonil n'est pas la seule substance en cause. On a également parlé d'autres produits, comme le S-métolachlore, qui cause d'autres problèmes. L'un de ses métabolites, l'ESA-métolachlore, était considéré au regard des critères précédemment énoncés comme « pertinent » (c'est-à-dire présentant des risques) et géré à ce titre par la concentration maximale admissible de 0,1 microgramme par litre. Or, alors que le S-métolachlore venait d'être classé cancérogène possible au niveau de l'Union européenne, l'ESA-métolachlore, principal métabolite du S-métolachlore, est passé du statut de métabolite pertinent à celui de non pertinent, donc régi par une concentration maximale de 0,9 microgramme par litre. Ainsi, on s'est mis à tolérer la présence de neuf fois plus de ce métabolite de pesticide qu'auparavant, alors même que les autorités sanitaires européennes venaient d'envoyer un signal d'alerte sur le fait que la molécule mère était possiblement cancérogène pour l'homme. Ce métabolite a été classé comme non pertinent alors qu'il existait des études sur sa génotoxicité et un manque de données sur sa cancérogénicité. Nous n'avons pas compris pourquoi l'Anses a envoyé ce signal, qui a certes permis de passer de plus de 1 700 captages au-dessus des normes à seulement quelques dizaines, donc de pouvoir continuer à distribuer l'eau, mais n'a selon nous pas permis une protection efficace de la santé.

Se dessine ainsi un schéma en plusieurs points, dans lequel des autorités européennes alertent parce qu'elles connaissent certains risques de production de métabolites, bien que les études de toxicité soient lacunaires, mais autorisent néanmoins les substances actives, si bien que la contamination se poursuit sans que personne n'effectue la moindre surveillance dans la mesure où il n'existe pas de suivi des métabolites à partir de la mise sur le marché des produits contenant la molécule autorisée. Lorsque l'on se met à rechercher ces métabolites à la suite d'un signal d'alerte, il est trop tard : les normes de qualité sont déjà dépassées. Comme par ailleurs on ne dispose quasiment d'aucune donnée sur la toxicité de ces métabolites, on fixe des valeurs sanitaires à 3 microgrammes par litre comme pour les métabolites du métolachlore, avec des méthodes très approximatives basées sur des données extrêmement lacunaires. Cela ne fonctionne pas.

Nous suggérons par conséquent à l'Anses de ne pas autoriser les produits dont il est prévisible qu'ils produisent des métabolites engendrant des dépassements, en s'appuyant sur des données présentes dans les dossiers, et à la Commission européenne, en amont, de ne pas autoriser les substances actives dont les dossiers seraient incomplets sur les questions relatives aux métabolites. Il est en effet très difficile, si l'on ne dispose pas des données scientifiques sur l'ensemble des toxicités possiblement présentées par ces métabolites, de gérer d'éventuels dépassements. Il convient donc, d'une part, de ne pas mettre sur le marché, au niveau européen, des substances susceptibles de produire des métabolites de manière importante, d'autre part, de ne pas autoriser de dossiers dont les effets des substances actives et des métabolites ne sont pas suffisamment renseignés. Cela nous paraît essentiel, en plus d'une amélioration de l'évaluation des pesticides au sens large.

Il convient en outre, pour gérer complètement le problème, d'aller vers une réduction des émissions à la source. Une diminution forte de la dépendance de notre agriculture aux pesticides est absolument indispensable. Or cette démarche est un échec. Je fais partie de ceux qui suivent le plan Ecophyto depuis son origine : force est de constater qu'il n'a malheureusement pas produit beaucoup de résultats. Il reste donc énormément de progrès à accomplir.

Générations futures suit également le dossier des PFAS depuis plusieurs années. Nous disposons de moins de données sur ce sujet que sur celui des pesticides. L'enquête récente du Monde a toutefois montré qu'il existait en France plus d'une centaine de points chauds. On parle de plus de 1 000 sites contaminés. Finalement, on s'aperçoit que la surveillance de l'environnement est assez faible. Seul le PFOS fait l'objet d'une surveillance obligatoire dans les eaux de surface. Il existe une proposition de révision de la directive-cadre sur l'eau qui envisage de faire passer la liste à 24 PFAS. Pourquoi ne pas accélérer la procédure sans attendre ? Il est vrai que grâce à un arrêté d'avril 2022, trois autres substances sont suivies, mais cela ne fait que porter le total à quatre et il serait possible d'aller plus loin. De nombreux laboratoires savent déjà chercher plus de 24 PFAS.

Comme nous l'avons montré dans un rapport publié en début d'année, la pollution de l'eau par les PFAS est sous-estimée. Il est apparu que les agences de l'eau recherchaient plus que le seul PFOS et allaient ainsi au-delà des obligations. Mais cela est très variable selon les régions et le nombre de PFAS recherchés va de 1 à 16. Cela constitue une forme de rupture de l'égalité républicaine sur le territoire : nos concitoyens ne sont pas aussi bien protégés selon que leur lieu de résidence est sur le bassin d'une agence de l'eau ou d'une autre. Le nombre de PFAS recherchés est différent, tout comme les seuils analytiques, avec une variation de 1 à 500 pour les mêmes produits. Le nombre d'échantillons est également très variable, puisque notre enquête a montré qu'ils pouvaient aller de 6 à plus de 400 par département.

Face à cela, un premier plan ministériel sur les PFAS a été publié, qui a le mérite d'exister, mais présente selon nous beaucoup de limites. Il est en effet toujours mieux de mettre en place des plans interministériels, intégrant l'industrie, la recherche, l'agriculture, car cela traduit l'existence d'un effort gouvernemental. En l'occurrence, le ministère de l'écologie est très seul. Les mesures annoncées nous semblent par ailleurs insuffisantes. Il s'agit par exemple d'« étudier la possibilité d'inclure de nouveaux PFAS dans les surveillances » : ce langage nous paraît traduire un réel manque d'ambition. Concernant les eaux potables, une surveillance est annoncée, mais seulement pour 2026. Or il aurait été possible d'anticiper la montée en compétence des laboratoires et de ne pas attendre 2026. La surveillance des sols nous semble également insuffisante, puisqu'il est question dans le plan d'effectuer la surveillance des sols des sites d'utilisation ou de production de PFAS à l'occasion de la cessation d'activité. Or on sait que si les sols des entreprises sont pollués, les eaux peuvent l'être aussi. Ce plan ne comporte en outre aucun élément sur la surveillance des PFAS dans les poissons, alors même que nous savons qu'il s'agit d'une voie d'exposition importante pour les gens qui les consomment, les pêcheurs et leurs familles.

Nous pensons donc que la réponse publique comporte de nombreuses lacunes. Elle ne propose par exemple aucune norme sur les rejets industriels, alors que cela nous semble essentiel. Il y est question de mener des campagnes d'analyse sur la présence de PFAS dans les rejets, mais nous regrettons que la surveillance pérenne des rejets aqueux ne soit plus mentionnée dans le texte, au profit de surveillances ponctuelles. Effectuer un travail efficace suppose en effet de mettre en place une surveillance pérenne et continue. Dans mon département de l'Oise, les études réalisées par le laboratoire d'hydrologie de l'Anses à côté de la plateforme chimique de Villers-Saint-Paul montraient des variations importantes des taux de PFAS au cours de l'année : une surveillance ponctuelle n'est donc pas suffisante pour avoir une vision globale et précise d'une situation. Notre association a effectué une analyse de la présence de PFAS dans l'eau de l'Oise au niveau de cette plateforme : sur les 46 PFAS recherchés, nous en avons trouvé jusqu'à 14 au même point d'analyse, presque un demi-kilomètre en-dessous de l'exutoire de la zone industrielle. Les produits sont là et nous savons les trouver : il faut que la puissance publique ait le même niveau de performance.

Nous demandons que les 24 PFAS jugés prioritaires par la Commission européenne dans le contexte de révision de la directive-cadre sur l'eau soient recherchés sans attendre sur l'ensemble du territoire, en particulier dans les zones de captage pour l'eau potable, sachant que le plafond proposé dans cette directive est 4,4 nanogrammes par litre, ce qui est très peu. Cela suppose de très bonnes performances de la part des laboratoires, avec des limites de quantification inférieures au nanogramme par litre, ce qui est déjà le cas d'un certain nombre d'entre eux. Disposer de méthodes d'analyse performantes impose également de faire évoluer les couples paramètres-matrice arrêtés dans le texte d'août 2019.

Il conviendra par ailleurs d'exiger un suivi en continu des installations émettrices et de veiller à une diminution des émissions à la source, en fixant des normes pour les entreprises et en s'interrogeant sur le bienfondé de l'utilisation d'un certain nombre de PFAS. Certaines entreprises vendent par exemple des vêtements de plein air parfaitement imperméables produits sans PFAS. Il faut innover dans ce domaine : il est possible de mettre au point des produits répondant aux demandes sociétales sans utiliser de substances ultra-persistantes et toxiques.

Il faudra enfin soutenir la proposition de l'Allemagne, du Danemark, de la Norvège et de la Suède dans le cadre de la réglementation REACH, afin d'aller vers une quasi interdiction de ces produits au niveau européen, avec un nombre très limité de dérogations. Ceci permettra de régler réellement le problème, en évitant de continuer à courir d'une substance à l'autre parmi cette famille qui en comporte 12 000.

Je conclus en vous signalant d'autres points d'intérêt de l'association, parmi lesquels les perturbateurs endocriniens et les résidus médicamenteux. L'idée du GIEC de la pollution chimique, mentionnée par le Professeur Lévi, nous est également très sympathique. J'ai travaillé dans le cadre de la convention sur les polluants persistants et du programme des Nations Unies pour l'environnement à la fin des années 1990 et au début des années 2000 en tant que militant associatif pour faire adopter la convention de Stockholm, mais il faut élargir cette démarche à l'ensemble de la pollution chimique. Il me semblerait logique de considérer ce problème au même niveau que le changement climatique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion