Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le 4 juillet dernier, le Président de la République recevait les élus locaux des communes les plus touchées par les violences urbaines.
À cette occasion, il prenait huit engagements, qui font depuis l'objet d'un suivi resserré par la Première ministre et les ministres concernés. Tel est d'ailleurs l'objet du Conseil national de la refondation consacré aux suites données aux violences urbaines, qui s'est tenu la semaine dernière.
L'un de ces engagements était de confier les attributions des logements sociaux aux maires, dans une logique de responsabilisation accrue.
Afin de mieux comprendre les enjeux afférents à cet engagement, il convient de rappeler que le dispositif d'attributions de logements sociaux fait l'objet d'un encadrement législatif et réglementaire particulièrement développé et détaillé. L'empilement successif des textes sur le sujet peut d'ailleurs parfois rendre leur lecture complexe, même pour les initiés !
Toutefois, il convient de garder à l'esprit que les attributions de logements sociaux doivent concilier, conformément à la vocation généraliste du parc social en France, recherche de mixité sociale, en particulier dans les quartiers relevant de la politique de la ville et dans certaines résidences confrontées à la précarité croissante de leurs occupants, et accès au logement pour les publics prioritaires, au premier rang desquels figurent les ménages bénéficiant d'une reconnaissance du droit au logement opposable, sans oublier les sortants d'hébergement et les autres ménages définis comme prioritaires par le code de la construction et de l'habitation, par les accords collectifs départementaux et par les conventions intercommunales d'attribution des logements.
L'État et les bailleurs sociaux sont responsables de l'atteinte des objectifs en matière d'accueil des plus défavorisés et peuvent être sanctionnés en cas de manquement en la matière.
Par ailleurs, pour avoir une bonne compréhension des possibilités et des limites des dispositifs d'attribution, il est nécessaire de préciser que les attributions s'organisent à trois niveaux.
Au premier niveau s'effectuent l'inscription des demandeurs de logement social et la vérification des conditions d'éligibilité des ménages au logement social.
Le deuxième niveau est celui des réservataires de logements sociaux. Il s'agit principalement des collectivités locales, de l'État et d'Action Logement. En contrepartie de leurs apports financiers ou de l'octroi de garanties de prêt, ils disposent de logements réservés et sont responsables de la désignation des candidats pour l'attribution de ces logements. En règle générale, sauf cas particulier des publics prioritaires, ils doivent présenter au moins trois candidatures pour un même logement.
Au troisième niveau est prise la décision d'attribution ou de non-attribution, voire le refus d'attribution. Ces décisions constituent les prérogatives essentielles de la commission d'attribution et d'examen de l'occupation des logements, la Caleol, qui réunit, outre des représentants du bailleur social, le maire, le préfet et le président de l'EPCI.
Dans ces conditions, vous le comprendrez aisément, toute réforme des attributions ne peut s'envisager sans réfléchir à ses conséquences sur les deux objectifs majeurs de la politique d'attribution que je viens d'évoquer ni à sa mise en œuvre concrète par les différents maillons de la chaîne d'attribution que je viens de présenter.
L'engagement du Président de la République doit donc s'apprécier à l'aune de ces objectifs et de cette organisation.
Donner plus de pouvoir aux maires en matière d'attribution, c'est d'abord leur permettre de faciliter la mixité sociale. Qui, mieux qu'un élu local, un maire, peut connaître finement, immeuble par immeuble, les enjeux de peuplement, de logement et d'habitat, pour éviter d'aggraver les difficultés éventuelles qui peuvent exister ?
Donner plus de pouvoir aux maires en matière d'attribution, c'est également les responsabiliser sur le logement des plus défavorisés, principalement en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville et dans les résidences à enjeu de mixité sociale. Il ne peut y avoir de politique d'attribution juste et solidaire sans mobilisation pour l'accès au logement des plus modestes prioritairement dans des lieux qui ne concentrent pas déjà des ménages en situation précaire.
À cet égard, nous devons le reconnaître, les dispositifs existants en la matière, notamment ceux qui ont été créés en 2017, ne fonctionnent pas.
La loi relative à l'égalité et à la citoyenneté n'a pas permis d'inverser les tendances observées. Les sanctions ne sont pas une solution et la responsabilité reste trop diluée. La responsabilisation proposée par le Président de la République, dans une logique de gagnant-gagnant, doit justement permettre, en parallèle des objectifs de mixité sociale, que les plus défavorisés soient aussi logés en dehors des quartiers déjà fragiles.
Enfin, donner plus de pouvoir aux maires en matière d'attribution doit faciliter la production de nouveaux logements sociaux. Dès lors que les élus locaux seront davantage décisionnaires, ils pourront aussi plus facilement accepter, voire encourager, le développement de programmes de logements sociaux afin de répondre aux besoins de leurs territoires.
Le Gouvernement a donc déjà commencé à travailler pour concrétiser cet engagement dans le cadre des travaux engagés sur la décentralisation, à l'issue desquels nous souhaitons présenter un projet de loi au printemps 2024.
Ces travaux doivent permettre d'adopter l'approche globale nécessaire à la mise en œuvre de politiques d'attribution répondant aux différents enjeux que je viens d'expliciter. Ils doivent contribuer à simplifier les procédures et les dispositifs existants, jugés par tous trop complexes et, finalement, peu efficaces. Ils doivent surtout conduire à mieux répartir les pouvoirs et les responsabilités. Il s'agit de donner aux collectivités les moyens d'atteindre les objectifs qui leur sont imposés en matière d'attribution de logements sociaux, et ce dans le respect du principe d'égalité des droits des citoyens.
Seule cette logique globale permettra ensuite, conformément au souhait du Président de la République, une clarification concernant les lieux de prise de décision et une juste responsabilisation des acteurs publics. C'est la raison pour laquelle la proposition de loi qu'il nous est proposé d'examiner aujourd'hui visant à renforcer le rôle des maires dans l'attribution de logements sociaux nous paraît légèrement incomplète, du fait qu'elle ne s'attaque qu'à l'un des éléments de la chaîne d'attribution et qu'elle vise essentiellement à conférer de nouveaux droits aux maires, sans les responsabilités associées.