Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 5 août 2019, Jean-Mathieu Michel, maire de Signes, mourait dans l’exercice de son mandat à cause d’un dépôt sauvage de gravats. Le 17 mai 2023, Yannick Morez, maire de Saint-Brevin-les-Pins, démissionnait à la suite de la tentative d’incendie de sa maison. Le 2 juillet 2023, Vincent Jeanbrun, maire de L’Haÿ-les-Roses, voyait sa maison, où dormait sa famille, attaquée par une voiture bélier incendiaire.
À ces agressions extrêmes, chacun de nous ici peut ajouter les noms et les visages des élus de nos départements qui ont été, eux aussi, meurtris dans leur chair et leur cœur, si blessés et déstabilisés qu’ils jettent l’éponge.
À tous ces élus engagés pour servir, à leurs familles solidaires de leur engagement, je dis mes pensées les plus fraternelles. Le Sénat, comme l’ont rappelé François-Noël Buffet et Catherine Di Folco, n’a cessé, depuis 2019, avec conviction, constance et détermination, de rappeler l’urgence qu’il y a à sécuriser les élus dans leur engagement. Je pense à l’initiative de Philippe Bas en 2019, aux rapports sur la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, au travail de Marc-Philippe Daubresse sur la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, à la proposition de loi de Nathalie Delattre ou à la mission conduite par Maryse Carrère et Mathieu Darnaud.
Je salue à présent la proposition de loi déposée par François-Noël Buffet et ses collègues et le travail de très grande qualité de la rapporteure Catherine Di Folco.
Mes chers collègues, les violences constituent une grave menace, qui plane sur notre démocratie comme un vautour. Elles alimentent une vague impressionnante de démissions et provoquent une érosion des vocations.
Rappelons quelques chiffres : aux élections municipales de 2014, 80 communes n’avaient pas de candidat ; en 2021, ces communes étaient 106. Depuis 2020, plus de 13 000 élus ont jeté l’éponge en démissionnant, et 63 % des élus municipaux déclarent avoir été victimes d’incivilités ou d’agressions.
Nous ne pouvons simplement continuer, madame la ministre, à encenser les élus locaux, à dire qu’ils sont les essentiels de la République et de la démocratie. L’honneur, le devoir, la survie de la République et de la démocratie nous obligent – et vous obligent, madame la ministre – à agir.
Je réjouis donc de cette proposition sénatoriale, qui s’articule autour de trois axes, de manière pragmatique et très opérationnelle.
Le premier axe consiste à renforcer l’arsenal répressif en consacrant la fonction de dépositaire de l’autorité publique ; le deuxième, à améliorer, y compris financièrement, la prise en charge des élus victimes de violences dans le cadre de leur mandat ou d’une campagne électorale ; et le troisième prend en compte la réalité des mandats électifs locaux par les acteurs judiciaires et étatiques, qui sont encore, pour certains, trop distants, éloignés et, parfois encore, disons-le, méfiants. La justice ne peut rester passive face à ce phénomène d’ampleur à haut risque pour notre démocratie et la cohésion sociale.
C’est pourquoi, madame la ministre, les initiatives nouvelles d’organisation de rencontres entre les procureurs et les élus, la formation des élus par des gendarmes du GIGN à la gestion des conflits sont d’excellentes choses. Je rappelle – à tout seigneur, tout honneur ! – que ce sont des propositions sénatoriales. Nous sommes ravis qu’elles soient mises en œuvre.
Soyons clairs : ce texte vise à traiter la fièvre de l’irrespect et de la violence. Mais n’oublions pas que la fatigue, l’épuisement, le découragement des élus trouvent aussi leurs causes dans la boulimie normative qui atrophie et paralyse l’action publique, tout comme dans leur solitude des élus face à cette complexité.
Le Sénat et le Gouvernement se sont engagés au printemps, madame la ministre, pour une meilleure fabrique de la loi, avec un peu plus de simplification. Nous serons extrêmement attentifs à la mise en œuvre de ces engagements, essentielle pour garantir le pouvoir d’agir des élus.
Nous le savons, notre démocratie s’enorgueillit – avec raison – de l’engagement de centaines de milliers de citoyens dans des mandats locaux. Nous ne sauverons cet engagement que si nous le facilitons véritablement par une évolution du statut de l’élu.
Madame la ministre, je salue l’accueil de ce texte par le Gouvernement, qui est une sorte d’hommage au Sénat – à condition qu’on aille au bout de cette affaire. Pour sauver ce qu’en biodiversité on appellerait une espèce menacée, il vous appartient, madame la ministre, de confirmer ici sans faiblesse votre détermination, en levant le gage de l’article 40 sur l’élargissement de la protection fonctionnelle à l’ensemble des élus municipaux, car, même sans délégation, ils incarnent aussi dans la plus grande des proximités, l’autorité.
Prenons garde de décourager ceux qui s’engagent pour être conseillers municipaux, car ces élus se sentent parfois à deux vitesses, et je pense que nous risquons d’aboutir à un décalage extrêmement préoccupant.
Les élus municipaux sont, chaque jour, d’une manière très discrète, les ouvriers de la première et de la dernière heure. Au quotidien, ils participent à la préservation du lien social et à la mise en œuvre de politiques publiques. Ils sont, dans l’ombre, les artisans des valeurs de la République. Nous l’avons vu tout à l’heure encore en parlant du logement.
Je forme un vœu que, je suis sûre, nous partageons tous : puisse cette proposition de loi prospérer et contribuer à ce que, demain, des hommes et des femmes continuent à avoir envie de s’engager. C’est la conviction du groupe Union Centriste qui, vous l’avez deviné, votera ce texte sans réserve.