Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 11 octobre 2023 à 15h00
Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – ouverture modernisation et responsabilité du corps judiciaire — Adoption définitive des conclusions modifiées de commissions mixtes paritaires sur un projet de loi et un projet de loi organique

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux :

Certains n'en font pas assez, d'autres en font un peu trop, madame la sénatrice !

Venons-en au détail du texte approuvé par la commission mixte paritaire.

Parmi les mesures qui ont fait l'objet d'un accord final, je souhaite m'arrêter sur le nombre de greffiers que nous recruterons dans les cinq prochaines années.

Sous le contrôle de Mmes les rapporteures, je puis dire qu'il s'agissait d'un point important de nos discussions avec la chambre haute. Si j'ai d'abord fait montre de prudence sur ce sujet, c'est surtout parce que l'enjeu, pour moi, est de savoir non pas si le ministère de la justice va recruter, mais comment il va réussir à le faire pour l'ensemble des postes que nous programmons.

Il ne suffit pas de voter une loi, il faut l'exécuter, et ma préoccupation de tous les instants est d'exécuter cette loi de programmation au plus près de la volonté du législateur. Je vous le dois, comme à tous nos concitoyens.

C'est pourquoi il était important de nous assurer que le chiffre finalement arrêté ne soit pas destiné à rester un vœu pieux.

Nous recruterons bien dans les cinq prochaines années 1 800 greffiers, apportant ainsi la démonstration indiscutable de l'attachement que nous leur portons, car sans eux il ne saurait y avoir de justice.

Concernant le corps du greffe, j'ajoute que le dialogue social se poursuit de manière constructive et devrait aboutir très prochainement, avec la création de greffiers de catégorie A, qui représenteront une part tout à fait significative – 25 % – du corps, et la revalorisation salariale des greffiers de catégorie B. Il s'agit là d'une avancée inédite et de la définition d'un parcours de carrière attractif pour cette profession essentielle.

Concernant les moyens supplémentaires que l'accord en commission mixte paritaire est venu consacrer, je veux souligner que le budget pour 2024 qui a été présenté il y a quelques jours respecte à la lettre cette loi de programmation, avant même l'adoption définitive de celle-ci. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris, je ferai de l'exécution de cette loi de programmation un combat de tous les instants.

Nous nous engageons concrètement sur la trajectoire du plan d'embauche, puisque nous recruterons, en 2024, 327 magistrats, 340 greffiers, 400 attachés de justice. Tous ces postes, comme l'ensemble des 1 500 magistrats, des 1 800 greffiers et des 1 100 attachés de justice, feront l'objet d'un recrutement en complément des remplacements des départs en retraite. Pour être clair, créer 1 500 postes de magistrat supplémentaires nécessitera en réalité le recrutement de 2 800 magistrats.

Je vous annonce également que la revalorisation de la rémunération des magistrats à hauteur de 1 000 euros en moyenne sera, elle aussi, effective dès la fin du mois sur leur fiche de paie.

Je confirme de même la mise en place de la revalorisation inédite des métiers pénitentiaires, qui passeront à compter du 1er janvier en catégorie B, tandis que les officiers passeront en catégorie A, avec des revalorisations catégorielles en parallèle.

Vous l'avez compris, l'ensemble de ces revalorisations visent à renforcer l'attractivité des métiers de justice, attractivité sans laquelle il nous sera impossible de recruter à la hauteur de nos ambitions. C'est là toute la cohérence de cette programmation.

La hausse des moyens profitera à deux autres chantiers essentiels à mes yeux.

Le premier est l'accélération de l'indispensable transformation numérique du ministère. Je pense notamment à la procédure pénale numérique qui simplifie profondément le travail des enquêteurs, des magistrats, des greffiers et qui se déploie à vitesse grand V, puisque désormais 150 000 procédures pénales sont transmises tous les mois par voie dématérialisée du commissariat ou de la brigade vers le tribunal, soit 300 fois plus qu'en 2020, et cela va continuer.

Le second chantier est l'accroissement et la rénovation du parc immobilier du ministère de la justice.

Cela suppose tout d'abord un investissement important dans l'immobilier judiciaire, notamment pour accueillir les nouveaux recrutements. Il y a quelques jours, j'ai par exemple annoncé, lors d'un déplacement à Brest, une extension de la cité judiciaire.

Cela passe aussi, bien sûr, par la poursuite du plan immobilier pénitentiaire de 15 000 nouvelles places de prison. Vendredi dernier, je me suis rendu à Caen avec la Première ministre pour inaugurer la nouvelle prison de Caen-Ifs, qui compte près de 150 places. Durant le seul mois d'octobre, j'inaugurerai près de 1 000 nouvelles places de prison. Celles-ci sont indispensables à l'effectivité de la réponse pénale, que je veux ferme, mais sans démagogie.

Ces places de prison sont également indispensables à l'amélioration des conditions de travail et de sécurité de nos agents pénitentiaires, auxquels je veux rendre hommage, et, bien sûr, à l'amélioration des conditions de détention, qui – disons-le sans ambages – sont parfois indignes.

Ces hausses de moyens visent un objectif simple mais ambitieux : je veux diviser par deux l'ensemble des délais de justice d'ici à 2027. Il est en effet indispensable que, de manière très concrète, ces hausses budgétaires puissent directement améliorer le fonctionnement de la justice et la qualité du service public rendu au justiciable, comme nous commençons à le percevoir grâce aux moyens déployés dans les précédentes lois de finances.

Je veux être clair : il faut désormais aller plus loin et que chacun prenne toute sa part à cet effort collectif. Les Français ne comprendraient pas que l'État consacre autant d'argent à notre justice sans que ces moyens améliorent concrètement le service public de la justice qui leur est rendu. Les efforts des contribuables et, je l'espère, la confiance du Parlement nous obligent à des résultats. Ceux-ci ne pourront être atteints qu'avec la mobilisation de tous.

Les acteurs du monde judiciaire ont pu compter sur moi pour décrocher ces moyens historiques.

Les acteurs du monde judiciaire ont pu compter sur le Parlement pour les adopter.

Je sais pouvoir compter sur eux pour que ces moyens attendus et mérités au regard de leur engagement aient rapidement des effets concrets pour les justiciables. C'est un impératif, car il y va de la crédibilité de notre justice aux yeux de tous les Français.

Je veux rappeler ici les mots du président Sauvé : « Tout ne se résume pas à une question de moyens. » Telle est la raison pour laquelle, en sus des moyens, ces textes contiennent des mesures concrètes de réforme de notre justice dans tous les domaines – pénal, civil, commercial, etc.

Je souhaite à ce sujet m'arrêter un instant sur les enjeux de simplification, notamment de la procédure pénale.

Permettez-moi tout d'abord, mesdames, messieurs les sénateurs, de saluer le chantier inédit que va constituer la refonte complète du code de procédure pénale. C'est un travail attendu par tous les professionnels de la chaîne pénale, des magistrats aux forces de l'ordre, en passant par les greffiers et les avocats.

Comme je m'y étais engagé, si le Sénat confirme son vote dans quelques minutes, j'écrirai dès la promulgation de la loi de programmation aux présidents des deux assemblées pour que chaque groupe politique désigne son représentant au sein du comité de suivi parlementaire, dont seront par ailleurs membres de droit les présidents de la commission des lois de chaque chambre.

En termes de simplification des procédures, je vous annonce par ailleurs que le décret portant la réforme de l'amiable, tant attendue et inscrite dans le rapport annexé, entrera en vigueur le 1ᵉʳ novembre.

De même, la refonte de la procédure d'appel est en cours, en lien avec les avocats et les magistrats. Elle entrera prochainement en vigueur.

Je pense également aux enjeux d'organisation, avec la parution prochaine de textes qui feront, madame le rapporteur Canayer, la part belle à la déconcentration afin de donner plus d'autonomie aux chefs de cours. À titre d'exemple, je tiens à rappeler que, pour la première fois dans l'histoire du ministère, nous avons donné mandat aux chefs de cour pour répartir les 1 500 magistrats supplémentaires entre les juridictions de leur ressort, car ce sont eux qui ont la connaissance la plus fine du terrain.

Je pense enfin, madame la rapporteure Vérien, à l'organisation spécialisée des juridictions en matière de lutte contre les violences intrafamiliales, puisque le décret créant les pôles spécialisés est en cours d'examen par le Conseil d'État, comme je m'y étais engagé et conformément au rapport annexé que vous vous apprêtez à voter, mesdames, messieurs les sénateurs.

Puisqu'il m'est impossible d'évoquer l'ensemble des mesures, je veux conclure sur le défi majeur que constitue la rénovation de la gestion des ressources humaines du ministère de la justice.

Je compte employer tous les leviers à ma disposition pour assurer que le plan de recrutement sera non seulement réalisé, mais surtout, qu'il correspondra aux besoins du terrain.

C'est pourquoi, outre les recrutements massifs de contractuels dans les juridictions, la loi de programmation vous propose tout à la fois de pérenniser ces emplois en les « CDIsant » et de les institutionnaliser en instaurant la fonction d'attaché de justice, afin de créer autour du magistrat une véritable équipe composée des attachés de justice et des greffiers. Telle est la prochaine révolution qui, au sein de la justice, permettra de rendre plus rapidement des décisions de meilleure qualité.

Le chantier majeur de la modernisation des ressources humaines inclut aussi celui, figurant dans le projet de loi organique, de la réforme de la magistrature, qui est l'une des plus ambitieuses depuis 1958.

Celle-ci passe d'abord par l'ouverture du corps judiciaire. Recruter 1 500 magistrats nécessitera, de fait, d'ouvrir l'accès à la magistrature.

Il importait également de réformer la responsabilité du corps judiciaire, notamment par l'élargissement des conditions de recevabilité des plaintes des justiciables contre des magistrats devant le Conseil supérieur de la magistrature, car ces plaintes, vous le savez, ne donnent aujourd'hui jamais lieu à sanction in fine.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris, toutes les avancées contenues dans le projet de loi de programmation et le projet de loi organique rendent le vote qui interviendra dans quelques minutes absolument décisif pour l'institution judiciaire.

L'ensemble des acteurs de la justice nous regardent cet après-midi : ils attendent que le Sénat leur envoie un signal fort, un message de reconnaissance, mais surtout un message d'espérance. Il y va de notre pacte social, mais aussi de la qualité du service public de la justice rendu à tous nos compatriotes. En effet, si l'heure est à l'action – j'y mettrai toute mon énergie, comme je le fais depuis le premier jour –, elle est aussi à l'espoir pour la justice. Mesdames, messieurs les sénateurs, le meilleur est à venir !

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