Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà un an, dans le cadre de la préparation du budget pour l'année 2023, les élus locaux ont interrogé le Gouvernement pour obtenir des réponses aux questions très concrètes qu'ils se posaient quant au coût des fluides. Pour la première fois, ils se demandaient : « Va-t-on devoir mettre la clef sous la porte ? Le maire doit-il fermer la piscine cet hiver ? Baisser le chauffage dans les écoles maternelles ? Augmenter la taxe foncière ? » Il y a là une réalité nouvelle qui doit nous interpeller.
C'est pourquoi nous avons voulu un débat sincère, constructif et utile aux élus locaux, en nous fixant trois objectifs : clarté, vérité et perspectives.
Commençons donc dans la clarté : la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales s'est traduite par une perte de ressources pour les communes. Cette perte a été compensée depuis 2021 par le transfert aux communes de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB).
Toutefois, le montant du transfert n'est pas automatiquement égal au montant de la ressource de taxe d'habitation perdue par la commune.
Si la commune touche plus de taxe foncière sur les propriétés bâties « départementale » qu'elle ne « perd » de taxe d'habitation, elle est dite « commune surcompensée », et un coefficient correcteur lui est appliqué. Mais cela n'apparaît pas dans la feuille d'imposition des habitants.
Dans le cas contraire, on parlera de « commune sous-compensée ». Plus la taxe d'habitation était faible avant sa suppression, moins on est compensé.
Voilà qui n'est pas juste, car des habitants propriétaires pauvres se retrouvent imposés pour compenser la perte subie par les communes dont la taxe d'habitation était élevée.
À aucun moment une information claire n'est donnée sur ce que touche réellement la commune. D'où ma première question, monsieur le ministre : comment pouvons-nous gagner en clarté sur le sujet ? Combien de nos concitoyennes et de nos concitoyens ignorent les modalités de calcul de la taxe foncière ? Combien des 32 millions de propriétaires de notre pays tiennent leur maire pour responsable de l'augmentation de leur taxe foncière, alors même que 84 % des communes n'ont pas augmenté leur taux ?
Ajoutons à cela la confusion découlant de l'augmentation de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, celle-ci étant additionnelle à la taxe foncière sur les propriétés bâties et, pour beaucoup de contribuables, difficile à distinguer de cette dernière. Une telle augmentation est justifiée par des besoins croissants en matière de gestion des déchets, mais elle n'est jamais compensée.
Pourtant, l'histoire fiscale suffit à s'en convaincre : c'est bien une augmentation de 7, 1 % dont tous les propriétaires du pays, à quelques exceptions près, ont dû s'acquitter par l'effet d'une simple décision du Gouvernement, et non des collectivités.
Une telle augmentation creuse une nouvelle fois les inégalités, car elle pèse plus lourd sur les propriétaires de petites surfaces, de type T2.
En effet – tout le monde ici le sait –, les vingt premiers mètres carrés d'un bien sont toujours les plus chers, et la surface supplémentaire bénéficie d'une taxation allégée. Déjà, en 2021, quelle que soit la ville, la taxe foncière rapportée au mètre carré est 36 % plus élevée en moyenne pour les petits logements que pour les T4 et au-delà.
Nul doute que cette augmentation va placer les bailleurs sociaux, qu'ils soient publics ou privés, dans une situation financière très délicate. Pis, si aucune action n'est entreprise, ces difficultés se traduiront inévitablement par des répercussions sur les locataires.
Monsieur le ministre, vous et, à travers vous, le Gouvernement portez seuls la responsabilité de cette envolée record de la taxe foncière des communes, hausse inédite depuis 1986.
Ce débat est donc bel et bien un moment de vérité.
Mes chers collègues, partagez ma stupeur à entendre la Première ministre affirmer que l'envolée de la taxe foncière serait due à « une décision des collectivités territoriales ».
Les relations entre l'État et les collectivités, qui sont le ciment de la République, souffrent de ce type de communication, qui méprise la réalité, les faits et les responsabilités. Ce que nous vous demandons, c'est de la sincérité ! Cessez de nous dire que vous allez refonder un pacte entre les échelons politiques du territoire quand vous vous évertuez à vous défausser sur les élus locaux, qui sont en première ligne face à leur population.
Vous vous réfugiez derrière la règle de l'indexation des bases locatives cadastrales, qui font office d'assiettes, auxquelles on applique ensuite un taux décidé par les communes. Prévoyant une envolée des bases, les députés avaient voté en faveur du plafonnement de la revalorisation des bases locatives à 3, 5 %, soit moitié moins que l'augmentation appliquée par votre gouvernement, monsieur le ministre. Mais la démocratie parlementaire a été une nouvelle fois bafouée par un énième 49.3…
Quelle est l'exception française qui implique que 72 % des impôts fonciers, en France, soient acquittés par les ménages, contre 40 % en Allemagne ou 61 % au Royaume-Uni ? L'anomalie est telle que l'Insee recense la taxe foncière sur les locaux d'habitation dans la catégorie des « impôts de production ». Il y a là au minimum un début d'incohérence !
Monsieur le ministre, politiquement, il aurait été plus responsable de ne pas présenter, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023 devant la représentation nationale, un article repoussant encore la révision des bases locatives de 2026 à 2028. Il eût fallu assumer politiquement qu'il est inacceptable que les bases de calcul de la taxe foncière soient déterminées dans les conditions du marché locatif qui avait cours – écoutez-moi bien ! – au 1er janvier 1970.
Des collectivités ont été contraintes d'ajouter à la majoration de 7, 1 % des bases locatives une augmentation supplémentaire de leur taux de taxe foncière ; c'est vrai.
Néanmoins, ces décisions sont prises avec responsabilité : quand un maire croise l'un de ses administrés, il n'y a pas de 49.3 possible !
Tout cela intervient dans un contexte où les collectivités ont été réduites à une impuissance fiscale qui se traduit par un dessaisissement du pouvoir de taux : en 1986, 90 % des recettes fiscales s'accompagnaient d'un pouvoir de taux ; cette proportion dégringole à 65 % en 2018 et à 42 % trois années plus tard, en 2021.
La taxe d'habitation a été supprimée, soit 17, 6 milliards d'euros de baisses d'impôt et un gain de 7, 8 milliards d'euros pour les 20 % les plus aisés !
La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a été engagée, à la hache, pour 14 milliards d'euros, auxquels s'ajouteront, à coups de 49.3, les 4 milliards d'euros restants !
France urbaine et l'Association des maires de France fustigent cette politique, évoquant des « erreurs politiques majeures ».
Vient maintenant le temps des perspectives.
Nous y insistons – et nous en ferons à nouveau la proposition lors des prochains débats budgétaires –, la dotation globale de fonctionnement doit être enfin indexée sur l'inflation.
Nos questions sont donc cruciales pour l'avenir des collectivités : comment comptez-vous restaurer leur autonomie fiscale et financière ? Comment aller vers une nouvelle décentralisation fondant un redéploiement des services publics de proximité, là où les territoires dits « délaissés » de la République exigent réparation et là où la dématérialisation issue des politiques d'austérité a creusé les inégalités d'accès aux services publics, comme l'écrit la Défenseure des droits dans un de ses rapports ?
Les élus locaux attendent des réponses concrètes et des solutions viables pour que les collectivités continuent d'innover et d'être utiles.
Je n'oublie pas les départements, premiers partenaires des municipalités, qui ont perdu tout pouvoir fiscal autonome et assistent à l'effondrement des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).
En considération de ces faits, le groupe CRCE – Kanaky a lancé ce débat ouvert et pluraliste, cherchant ainsi à représenter les intérêts des collectivités, qui sont tant malmenées.