Intervention de Jean-François Rapin

Réunion du 11 octobre 2023 à 15h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 26 et 27 octobre 2023

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes :

Pour l'heure, je soulèverai trois questions centrales à l'approche du Conseil européen : la première a trait au budget européen, la deuxième à la sécurité économique et la troisième à la politique migratoire.

Au début de l'été, la Commission européenne a proposé une révision inédite du cadre financier pluriannuel à mi-parcours. Il est vrai que, depuis la définition de ce cadre en 2020, la pandémie de covid-19, l'agression de l'Ukraine par la Russie et la crise énergétique ont complètement rebattu les cartes. Dans l'intervalle, le budget européen a mué avec la création d'un instrument de relance, Next Generation EU, fondé sur un emprunt commun. Il est devenu un outil de gestion de crise grâce à des redéploiements et à la mobilisation de toutes les flexibilités possibles.

Sans doute n'est-il plus à même de répondre aux nouvelles priorités politiques : Ukraine, compétitivité et défis externes ? Toutefois, avant d'envisager une rallonge, que la Commission européenne imagine être de l'ordre de 80 milliards d'euros, prêtons attention à l'opinion défavorable portée par la Cour des comptes européenne sur la légalité et la régularité des dépenses budgétaires.

En 2022, les erreurs dans les dépenses financées par le budget de l'Union européenne ont fortement augmenté pour atteindre 4, 2 %, et même 6 % pour les dépenses fondées sur des remboursements. Il faut mieux contrôler l'usage des fonds européens. La France entend-elle le faire valoir en préalable à la discussion sur le cadre financier ?

Nous devons aussi en tenir compte dans la controverse sur l'avenir de l'aide européenne à la Palestine, qui divise l'Union après l'assaut criminel du Hamas contre Israël. Cette aide est principalement accordée au titre de l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale – Europe dans le monde : la Cour des comptes a examiné de près cette rubrique, dont la Palestine est le quatrième bénéficiaire avec 120 millions d'euros en 2022.

Or la moitié des opérations examinées comportaient des erreurs. La Cour cite notamment l'exemple d'une opération destinée à promouvoir l'utilisation durable des ressources naturelles en Palestine : les fonds ont été versés sans que le projet ait jamais vu le jour, faute de vérification... Si nous devons continuer de soutenir les Palestiniens, qui ne peuvent être assimilés au Hamas – j'insiste sur ce point –, nous devons aussi absolument renforcer le contrôle sur l'usage qui est fait des fonds européens dans ce territoire.

De même, nous ne pouvons ignorer le risque que représentent, pour le budget européen, les 18 milliards d'euros de prêts consentis en décembre 2022 à l'Ukraine au titre du nouvel instrument « assistance macrofinancière + ». En effet, ces prêts ne sont assortis d'aucun provisionnement pour couvrir le risque de défaut, ce qui est inédit concernant un État tiers. Les pertes éventuelles seront donc à la charge du budget de l'Union européenne, ce qui l'expose de manière inquiétante. Aussi voudrions-nous savoir, madame la secrétaire d'État, si la France soulèvera également ce risque lors des discussions budgétaires prévues lors du Conseil européen.

Mon deuxième sujet de préoccupation a trait à la sécurité économique : les chefs d'État ou de gouvernement prévoient d'évaluer les progrès européens en la matière. La récente recommandation de la Commission européenne sur les technologies critiques identifie, à cet égard, sans discussion, quatre technologies stratégiques comme particulièrement sensibles, mais laisse ouverte la question pour plusieurs autres, dont la technologie de fusion nucléaire.

Madame la secrétaire d'État, la France entend-elle rappeler au Conseil européen l'importance stratégique du nucléaire et son caractère éminemment critique pour la sécurité économique de l'Union comme pour la transition verte ? Cela vaut aussi bien pour la législation « zéro net » en négociation.

Le troisième et dernier sujet sur lequel je souhaite insister est la politique migratoire. Le Conseil européen devrait avoir une discussion stratégique sur la dimension externe des migrations, notamment sur la coopération avec les pays tiers, le sommet de Grenade n'ayant rien donné à ce sujet.

De fait, l'Union n'est toujours pas en mesure de juguler la pression migratoire à ses frontières extérieures : depuis le début de l'année, un nombre record d'étrangers en situation irrégulière est arrivé par la mer en Italie, représentant déjà le double de toute l'année 2022 et près du triple de l'année 2021.

Je me rendrai en Italie dans deux semaines avec le président de la commission des lois, François-Noël Buffet : nous devons solidairement mieux contrôler ces flux, de nombreux migrants irréguliers se pressant à la frontière franco-italienne.

C'est dans ce contexte tendu, qui justifie le rétablissement temporaire par la France de contrôles à ses frontières intérieures, que la Cour de justice de l'Union européenne a rendu un arrêt très préoccupant le mois dernier : celui-ci prive, en pratique, d'effet utile tout refus d'entrée que la France déciderait à l'égard d'un migrant.

Madame la secrétaire d'État, que reste-t-il de notre politique migratoire après cet arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne ? La France compte-t-elle mettre le sujet sur la table lors du Conseil européen ?

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