Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la date du prochain Conseil européen approche. Nous n'en connaissons pas encore l'ordre du jour, mais nous pouvons aisément imaginer qu'il serait dominé par la dramatique actualité internationale.
En effet, les conflits aux portes de l'Union européenne se multiplient : guerre depuis près de vingt mois dans sa marge orientale entre l'Ukraine et la Russie, drame humanitaire dans le Haut-Karabagh, très vives tensions entre le Kosovo et la Serbie, attaque terroriste du Hamas en Israël. Je tiens d'ailleurs à renouveler la plus ferme condamnation de cette attaque au nom du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Les foyers de déstabilisation se multiplient donc à la périphérie de l'Union européenne, alors que celle-ci a trouvé la voie de la paix pour elle-même. En effet, les pays qui la composent connaissent la plus longue période de paix de leur histoire. C'est aussi là que les libertés individuelles et collectives, que l'égalité entre les hommes et les femmes, que la solidarité entre individus et entre États sont les mieux garanties.
L'Union européenne est une réussite pour elle-même, mais elle se montre, dans le même temps, incapable de conduire les pays de son voisinage sur ce même chemin. Voulons-nous peser dans la conduite du monde, quitte à perdre de notre autonomie au profit de l'Union européenne ? Ou préférons-nous rester chacun de notre côté et regarder l'histoire s'écrire sans nous au bénéfice des grands acteurs que sont les États-Unis et la Chine ?
Depuis 2022, un nouvel outil de coopération internationale a été créé sur l'initiative du Président de la République : la Communauté politique européenne, la CPE, qui regroupe quarante-sept États du continent. Sa dernière réunion, qui s'est tenue le 5 octobre à Grenade, a été l'occasion pour les dirigeants présents de réaffirmer leur engagement en faveur de la paix, de la sécurité et de la prospérité en Europe. Dans une déclaration commune, ils se sont engagés à renforcer la coopération dans les domaines de la sécurité, de la défense, de l'économie, de l'énergie et de la migration.
La CPE offrira-t-elle plus de marges de négociation, conférera-t-elle plus de poids pour résoudre les conflits ? Quelle peut être son utilité ? L'Union européenne peut-elle s'en servir pour accroître son influence ?
Pour l'heure, dans les faits, cet outil, certes encore balbutiant, n'a pas empêché l'Azerbaïdjan de rouvrir le conflit au Haut-Karabagh. Le fait marquant de la réunion du 5 octobre a été l'absence du président de l'Azerbaïdjan, qui a décidé au dernier moment de ne pas y participer, privant ainsi le sommet de l'un de ses objectifs, à savoir une rencontre avec son homologue arménien sous l'égide de l'Union européenne. Ainsi, malgré le rôle essentiel joué par cette dernière, la question de ses relations avec les pays tiers reste posée.
La question des futures adhésions à l'Union sera aussi très certainement débattue au cours du prochain Conseil européen. L'Union devrait accueillir jusqu'à neuf nouveaux membres au cours de la prochaine décennie : l'Ukraine, la Moldavie, l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie, ainsi que la Géorgie et le Kosovo. Si l'adhésion de ces nouveaux membres, en particulier celle de l'Ukraine, recueille le vif assentiment des hauts responsables de l'Union, tel n'est pas le cas dans tous les États membres. Qu'en est-il de la France, madame la secrétaire d'État ?
Une autre problématique prégnante, qui revient régulièrement depuis plusieurs années dans l'actualité, sera assurément abordée pendant le Conseil européen : la gestion des migrations. Le drame qui se joue au milieu de la Méditerranée devrait nous conduire à réfléchir à la valeur que l'on accorde à la vie et à notre humanité.
Le 4 octobre dernier, un accord a été trouvé entre les Vingt-Sept sur la répartition de la prise en charge des migrants, demandeurs d'asile et réfugiés. C'est un point de blocage en moins, qui ouvre la voie à l'adoption du futur pacte européen sur la migration et l'asile. Cela permettra non seulement de ne plus laisser l'Espagne, l'Italie et la Grèce seules face à l'afflux de migrants, mais également de mieux répartir les demandeurs d'asile, qui se trouvent aujourd'hui pour moitié en Allemagne, en France et en Espagne.
Ce plan stratégique d'urgence mis en place par l'Europe, dans lequel l'Italie joue le rôle de gestionnaire des flux, ne pourra pas durer longtemps. L'Allemagne a suspendu, depuis la fin du mois d'août, l'accueil volontaire des demandeurs d'asile et la France n'accueillera pas de migrants passés par Lampedusa, à l'exception des réfugiés politiques, ce qui représente entre 3 % et 7 % des personnes. Or, selon les organisations non gouvernementales (ONG), la pression migratoire pourrait persister dans les mois à venir, voire s'aggraver, en raison de la concurrence entre les réseaux criminels de passeurs, qui baissent les prix de la traversée.
Il est donc urgent de mettre en œuvre ce futur pacte. Il ouvre la voie à une coopération plus grande avec les pays de départ. Mais ne nous y trompons pas : si nous voulons assécher les filières de passeurs et de traite des êtres humains, il nous faudra revoir notre politique de visa ; il faudra en accorder beaucoup plus.
N'est-il pas préférable de voir arriver en Europe, de manière légale et organisée, des personnes pour lesquelles nous pourrons mettre en place une véritable politique d'accueil – cours de langue, sensibilisation aux lois et à la culture du pays d'accueil, hébergement temporaire, contrat de travail signé avant le départ pour une durée déterminée, prise en charge du trajet aller et retour – plutôt que de continuer à subir cet afflux incontrôlé, qui jette des migrants, quand ils ne se sont pas noyés en Méditerranée, dans les rues et dans les bras de réseaux mafieux qui les exploitent, voire les réduisent en un esclavage moderne ?
La guerre en Ukraine a montré que l'Europe pouvait accueillir un grand nombre de réfugiés et que les frontières ouvertes ne laissaient pas forcément passer des trafiquants d'êtres humains.
L'histoire montre que les migrants, poussés par la misère, par l'espoir d'une vie digne et par le souhait d'offrir à leurs proches restés au pays des moyens de subsistance, font preuve d'une détermination qui leur permet de surmonter tous les obstacles, qu'il s'agisse de déserts, de montagnes ou de mers. Rien, aucun mur, aucune barrière, ne les arrête.
Alors combien de temps encore allons-nous laisser croire à nos concitoyens que l'on peut réguler le flux des migrants juste en fermant les frontières ? Ce discours fait le jeu des extrêmes, favorise une rhétorique toujours plus radicale, qui sape la confiance de la population dans notre capacité à agir et à trouver les véritables solutions.
En outre, au regard de l'évolution démographique de l'Europe, l'immigration deviendra un apport indispensable à notre économie et à notre modèle social. Les États-Unis ont historiquement construit leur dynamisme économique et leur prospérité grâce à l'afflux constant de populations immigrées. Dans une moindre mesure, la France en a également bénéficié dès le milieu du XIXe siècle.
Madame la secrétaire d'État, quand pensez-vous que le pacte européen sur la migration et l'asile pourra entrer en application ?
Je terminerai mon intervention en rappelant que, proportionnellement à leur population, ce sont la Guyane et Mayotte, deux territoires français, qui accueillent le plus d'immigrés et d'étrangers. Ces deux collectivités sont dans des situations complètement différentes du reste du territoire national. Selon le dernier recensement effectué en Guyane en 2020, plus de 30 % des habitants de ce territoire sont d'origine immigrée, pour un total de 56 % d'étrangers. Plus de la moitié de la population guyanaise est étrangère !