Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 11 octobre 2023 à 15h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 26 et 27 octobre 2023

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes tous encore sous le choc de l'attaque terroriste inédite dont a été victime Israël ce week-end. Nous mesurons les risques d'un nouvel embrasement du Moyen-Orient, d'une recrudescence du terrorisme en Europe, et l'impact de ces graves événements pour nos sociétés, dont on a malheureusement constaté, ces dernières années, la fragmentation et la fragilité.

Je tiens bien entendu, comme l'a fait notre président de groupe, Hervé Marseille, cet après-midi, à réaffirmer notre soutien et notre solidarité à Israël et à sa population. Je redis notre ferme condamnation des actes d'une barbarie inqualifiable perpétrés par le Hamas, qui a volontairement ciblé et pris en otage des civils, dont des enfants et des personnes âgées.

Que faire pour venir en aide à ces otages, misérables boucliers humains parmi lesquels se trouvent des Français ? Que faire pour éviter, par une escalade de la violence déjà à l'œuvre, le pire aux populations civiles palestiniennes, dont les terroristes, loin d'être les représentants, sont d'une certaine manière les bourreaux ?

Le Hamas – on le sait – est une organisation fanatique terroriste qui a toujours été hostile à la recherche d'un compromis de paix.

On l'a dit à juste titre : nous devons être intraitables envers le Hamas, envers toutes les organisations terroristes et envers tous ceux qui, en sous-main, les financent, les organisent et les soutiennent. Ces pays, comme le Qatar et l'Iran, également évoqués cet après-midi, sont bien connus. Insidieusement, ils alimentent la haine et la désolation dans le monde.

Nous devons aussi veiller à ne pas confondre cette lutte avec le droit humanitaire applicable aux populations civiles. L'Organisation des Nations unies (ONU) a d'ailleurs appelé les États influents à engager des discussions de résolution du conflit avec les parties, pour obtenir la libération des otages et éviter un siège total de Gaza, qui serait contraire au droit international. Un tel siège aurait pour conséquence le déplacement des populations palestiniennes vers l'Égypte, qui est déjà sollicitée.

Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous préciser les propositions qu'a déjà faites la France lors de la réunion des vingt-sept ministres des affaires étrangères des États membres et, en conséquence, sa position lors du prochain Conseil ? Nous sommes évidemment dans l'urgence ; mais, dans un second temps, il faudra œuvrer, avec la communauté internationale, à la résolution de ce conflit.

Cette terrible réalité ne doit pas nous faire oublier la tragédie qui se joue depuis plusieurs mois en Arménie. Toutefois, ce point n'est toujours pas inscrit à l'ordre du jour du Conseil européen ; c'est la preuve, si besoin en était, que les Arméniens, ce peuple résistant et courageux, ont bel et bien été abandonnés, malgré les appels répétés de parlementaires et de politiques de tous bords qui se sont rendus sur place.

Ce n'est pas comme si la Commission européenne ne connaissait pas la tragédie qui se profilait là-bas. Or elle a cyniquement abandonné – je pèse mes mots – les 120 000 Arméniens du Haut-Karabagh, cette petite République autonome d'Artsakh rattachée à l'Arménie. Elle a renvoyé les parties prenantes au dialogue, comme si l'on pouvait faire confiance au président de l'Azerbaïdjan, Aliyev, et à son funeste complice, le président turc Erdogan !

Mes chers collègues, qu'on se le dise : ce triste tandem ne sera pas rassasié par le seul anéantissement de la République arménienne d'Artsakh. Il s'attaquera ensuite à la « grande » Arménie toute proche, pour finir le travail du génocide de 1915.

Le Président Aliyev s'est déjà inventé un mobile pour sa guerre : au mépris de l'histoire, il affirme sans scrupule qu'Erevan est un territoire azerbaïdjanais ! Puisque la communauté internationale est silencieuse – et qui ne dit mot consent –, après l'Arménie viendra peut-être le tour de la Grèce, l'autre obsession ottomane ?

Pourquoi les puissances occidentales, qui ont su s'opposer à Poutine et immédiatement venir en aide à l'Ukraine indûment attaquée, n'ont-elles pas dénoncé la fermeture du corridor de Latchine ni empêché le terrible blocus dont les Arméniens ont souffert pendant des mois ? Ainsi, elles ont indirectement encouragé l'attaque brutale menée par les forces azerbaïdjanaises le 19 septembre dernier. Plus de 100 000 des 120 000 personnes vivant dans le Haut-Karabagh ont dû partir.

Faute d'avoir agi le 19 septembre dernier, en trois jours, on a laissé s'effacer 3 000 ans d'histoire. Car, là-bas, c'est non seulement aux populations que l'on s'en prend depuis le début, mais aussi aux traces d'une histoire multiséculaire, que l'on s'emploie à effacer.

Un patrimoine religieux d'une valeur inestimable est aujourd'hui très gravement menacé, comme nous l'a rappelé lors d'une audition la présidente de l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (Aliph), notre ancienne collègue Bariza Khiari.

Les monastères seront-ils bientôt détruits, comme l'ont été au siècle dernier à peu près tous les monuments arméniens, telle l'extraordinaire cité médiévale d'Ani, à l'est de la Turquie ?

Je me demande pourquoi, au début des années 1990, le monde s'était engagé derrière la Bosnie musulmane et pourquoi aujourd'hui les Arméniens sont, eux, à ce point abandonnés. Est-ce parce qu'ils ne forment qu'une toute petite minorité chrétienne entourée de pays musulmans ?

On dit que les Russes protègent l'Arménie. On peut sérieusement en douter, car, empêtré dans son conflit avec l'Ukraine, Poutine a besoin de la Turquie et surtout de l'Azerbaïdjan, gros exportateur d'énergies fossiles. Ce pays lui permet de contourner les sanctions occidentales, tandis que l'Union européenne double ses importations de gaz en provenance de Bakou ! Voilà la triste raison de notre silence et de notre complaisance.

Madame la secrétaire d'État, je vous en conjure : faites en sorte que l'Europe se réveille face à ce qui apparaît clairement comme une nouvelle épuration ethnique et religieuse. Apportons l'aide militaire qu'il espère au ministre arménien Nikol Pachinian, que Bruno Retailleau, Gilbert-Luc Devinaz et moi-même, avec notre groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens, les minorités du Moyen-Orient et les Kurdes, avons rencontré à Erevan le 25 avril dernier.

Mme Catherine Colonna a parlé cet après-midi des aides humanitaires récemment accordées par la France. Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) de l'ONU a, de son côté, lancé samedi dernier un appel aux dons d'un montant de 97 millions de dollars pour aider les habitants du Haut-Karabagh réfugiés en Arménie et ceux qui les hébergent. Mais cela ne suffit pas.

Il faut réexaminer les relations de l'Union européenne avec Bakou. Des sanctions sont nécessaires au regard des nombreux témoignages de violences et d'atteintes aux populations civiles. Selon la presse européenne, les États membres de l'Union européenne avaient demandé au Service européen pour l'action extérieure (SEAE) de proposer des options punitives si la situation entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan venait à se détériorer. Qu'attendons-nous donc ?

Mes chers collègues, cette actualité déjà très lourde s'est encore aggravée au cours des derniers jours. J'espère que les dirigeants de l'Union européenne vont prendre la mesure de cette inquiétante démultiplication des crises et des guerres, qui sont toujours plus nombreuses, hélas ! aux portes de l'Europe.

Ces conflits armés procèdent de la folie des hommes, des velléités expansionnistes de dictateurs qui piétinent allègrement le droit international et menacent à terme nos démocraties.

L'Ukraine, le Haut-Karabagh, Israël : voilà, à tout le moins, une combinaison dangereuse. La concomitance de ces crises qui touchent l'Euroméditerranée doit être prise au sérieux. On le sait, elles redistribuent les relations entre États. Elles peuvent, du même coup, changer la donne globale et mettre en danger l'équilibre planétaire.

Madame la secrétaire d'État, sur l'ensemble de ces dossiers, nous comptons sur vous. La France et l'Europe doivent être au rendez-vous, à la hauteur des valeurs des droits de l'homme, dont nous sommes les défenseurs. C'est ainsi que nous pourrons contribuer au retour de la paix.

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