Intervention de Cathy Apourceau-Poly

Réunion du 11 octobre 2023 à 15h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 26 et 27 octobre 2023

Photo de Cathy Apourceau-PolyCathy Apourceau-Poly :

Ce débat intervient dans un contexte particulier, après les attentats terroristes du Hamas, aux conséquences insoutenables pour la population israélienne.

Je tiens à souligner que l'Union européenne a la responsabilité d'ouvrir la voie de la paix, qui, seule, permettra aux peuples israélien et palestinien de vivre en paix, en sécurité et dans la dignité.

J'en viens à l'ordre du jour du prochain Conseil européen.

Devant la représentation nationale, le responsable de la direction du renseignement militaire a mis en garde sur le risque de prolongement de la guerre en Ukraine en 2024, voire en 2025.

La perspective d'une guerre d'usure est acceptée par les dirigeants européens, dont notre Président de la République. Le seul espoir d'enrayer cette guerre serait de livrer des armes toujours plus performantes et d'intensifier la production de munitions sur le continent européen.

Après dix-huit mois de conflit, alors que l'on dénombre 500 000 morts ou blessés et que le montant cumulé des aides versées à l'Ukraine atteint 165 milliards de dollars, quels sont les résultats ?

Il est vrai que la responsabilité de ce désastre incombe au Kremlin, mais je souligne avec gravité, comme l'ont toujours fait les membres de mon groupe, que l'escalade militaire peut entraîner la perte de contrôle du conflit.

Pour parvenir à une paix durable, on ne pourra faire l'impasse ni sur le respect de la souveraineté de l'Ukraine ni sur des garanties de sécurité pour l'ensemble des pays de la région, dont la Russie.

Accepter la perspective d'une guerre d'usure, c'est accepter de faire peser ses conséquences sur les citoyens européens, notamment la hausse du prix de l'énergie !

La diversification des partenaires énergétiques de l'Union, aussi urgente soit-elle, ne doit pas se faire au détriment de notre peuple. En négociant un contrat énergétique avec l'Azerbaïdjan et en qualifiant ce pays de « partenaire de confiance », l'Union a garanti l'impunité au régime du dictateur Aliyev.

Alors que 120 000 Arméniens ont fui le Haut-Karabagh pour rejoindre l'Arménie, il nous semble urgent que l'Union européenne dénonce cet accord énergétique et impose des sanctions diplomatiques à l'Azerbaïdjan.

Les citoyens européens, frappés par une paupérisation insoutenable, ont perdu en moyenne 4 % de leur salaire réel. L'année dernière, dans certains supermarchés, des antivols ont été apposés sur des steaks et le vol à l'étalage a augmenté de 15 % en France et de 25 % aux Pays-Bas. Les Européens ont faim et peinent à se chauffer. Près de 95 millions de personnes sont menacées de pauvreté.

Pourtant, l'Union européenne poursuit sa politique d'austérité et de réduction des dépenses, ce qui se traduit politiquement par une révision du cadre financier pluriannuel. À cet égard, les négociations mettent en concurrence le financement de la guerre en Ukraine et la bataille pour la réindustrialisation.

Fondée sur deux piliers, la stratégie de réindustrialisation a du plomb dans l'aile.

Le premier d'entre eux, la révision des aides d'État, est en vigueur et permet de tenir la Commission européenne à l'écart. Sur les 740 milliards d'euros d'aides approuvées, 50 % ont profité à l'Allemagne, 23, 5 % à la France, les autres États membres se partageant les miettes. Cette situation est d'autant plus regrettable que ce sont ces autres pays, de l'Est notamment, qui disposent des matériaux critiques, indispensables à l'industrie de l'Ouest.

Le second, le fonds de souveraineté, est abandonné. Nous devions pourtant voir ce que nous allions voir ! L'Union européenne allait répondre au fameux Inflation Reduction Act (IRA) des États-Unis, politique agressive de soutien public, financée à hauteur de 300 milliards d'euros au moins, sur fond de renforcement de l'industrie et de sa décarbonation. Le fonds de souveraineté européen devait, s'il n'avait pas été enterré avant même de voir le jour, compenser les investissements nord-américains colossaux.

Pour irriguer l'industrie française et éviter de voir le fossé avec l'Allemagne se creuser, il faudra désormais miser sur la coquille vide qu'est la plateforme des technologies stratégiques pour l'Europe (Step). Recyclage de crédits en tout genre, champs extrêmement restrictifs en matière de technologies de rupture, et 10 milliards d'euros pour toute l'Union au maximum : disons-le clairement, la montagne a accouché d'une souris !

Madame la secrétaire d'État, le constat posé par le chercheur Nicolas Leron devrait nous rassembler : « Sans budget proprement européen et d'une taille suffisante, l'Union européenne arrive au bout de ce qu'elle peut fournir en termes de biens publics, dont font partie les industries stratégiques ».

Pour l'heure, les marchés financiers minent l'ambition européenne de réindustrialisation du territoire européen, de la France et du Pas-de-Calais, qui attendaient un ruissellement. Une fois n'est pas coutume, il ne se produira pas…

Négocié à la hâte, le plan de relance européen devait être le pilier de la reprise économique, mais les fonds européens tardent à irriguer notre économie.

Madame la secrétaire d'État, j'en profite pour vous demander quelle est votre position sur la condition posée pour percevoir des fonds européens. Près de 20 milliards d'euros – tout de même ! – seraient conditionnés à l'adoption du projet de loi de programmation des finances publiques, que nous examinerons au Sénat mardi prochain.

Mon groupe y voit un chantage exercé par le Gouvernement, pour qui il s'agit de légitimer le choix, politiquement insoutenable aujourd'hui, d'imposer une cure d'austérité à nos finances publiques et de les placer sous le joug des institutions européennes.

Notre soumission au marché européen est liée aux 800 milliards d'euros que nous devons emprunter, ce qui signifie de devoir rembourser 15 milliards d'euros par an jusqu'en 2058 !

Le dilemme est clair : soit l'on adopte de nouvelles ressources propres, soit l'on vote des réductions budgétaires. L'austérité n'est jamais une fatalité !

Le Parlement européen a malheureusement repoussé quelques-unes des contributions du capital au financement des politiques européennes, mais il a adopté une résolution enjoignant les États membres et la Commission de trouver de nouvelles ressources propres.

Pour garantir notre souveraineté budgétaire et éviter les égoïsmes nationaux, qui font de notre pays la banque de l'Union, il faut choisir la voie de la taxation : taxe sur les cryptomonnaies, taxe sur les transactions financières, amendes pour les entreprises qui importent des biens dans l'Union tout en rémunérant leurs travailleurs en dessous du seuil de pauvreté.

Madame la secrétaire d'État, la double soumission aux marchés et aux États frugaux n'a que trop duré. Vous êtes politiquement responsable d'avoir enterré le fonds de souveraineté en accordant d'abord l'assouplissement des règles relatives aux aides d'État. N'acceptez pas que la France augmente sa contribution ; exigez que le capital finance les transitions ! §

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