Intervention de André Reichardt

Réunion du 11 octobre 2023 à 15h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 26 et 27 octobre 2023

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, avec l'arrivée en quelques jours de plus de 200 embarcations, transportant près de 12 000 personnes, Lampedusa a récemment été le théâtre d'un énième épisode de chaos migratoire.

Une nouvelle fois, bien malgré elle, cette petite île italienne est apparue aux Européens comme un symbole : le symbole, d'abord, de l'ampleur d'un choc migratoire dont l'accélération, périodiquement documentée par les chiffres de Frontex, engendre une situation désormais intenable ; le symbole, ensuite, de l'échec des gouvernements nationaux et des institutions européennes à faire front pour prévenir, contenir et gérer efficacement les flux qui se pressent aux frontières de notre continent.

Si le mois dernier, le dialogue entre États membres s'est révélé peut-être un peu moins acrimonieux que lors des précédents débarquements massifs, nous n'en avons pas moins assisté au même scénario qu'à l'accoutumée.

Ainsi les mêmes appels à une solution européenne ont-ils été suivis des mêmes querelles entre gouvernements. Aux mêmes déclarations martiales et fallacieuses de l'extrême droite ont répondu les mêmes injonctions irresponsables de l'extrême gauche en faveur d'un accueil inconditionnel et illimité.

La Commission, elle, a produit, comme toujours, le même plan d'urgence creux, glanant ici et là quelques millions dans les marges du budget communautaire et se contentant de recycler des axes d'action déjà énoncés maintes et maintes fois.

En réalité, ce genre de plan, élaboré pour donner l'illusion de l'action, reste condamné à la vacuité, tant que n'auront pas été posés les fondements d'une politique européenne adaptée aux réalités du XXIe siècle.

Or l'actualité récente, si désespérante par certains aspects, nous offre peut-être cette fois quelques raisons d'espérer. En effet, la semaine dernière, les ministres de l'intérieur des Vingt-Sept ont enfin mis la dernière main à leur version du pacte sur la migration et l'asile, trois ans après sa présentation par la Commission, et même sept ans après que la Commission Juncker a fait ses premières propositions de réforme… Il était plus que temps !

Pour autant, si l'Europe n'a jamais été aussi près d'aboutir à un résultat tangible, tous les obstacles ne sont pas levés, il s'en faut. La négociation avec le Parlement européen, dont la copie diverge largement de celle du Conseil, promet assurément d'être ardue.

Naturellement, la Commission se dit confiante dans le fait que le paquet puisse être bouclé rapidement, en tous cas, avant les élections européennes de l'année prochaine ; c'est le moins qu'elle puisse dire !

Madame la secrétaire d'État, en votre âme et conscience, au vu de vos discussions avec vos collègues et avec les parlementaires européens, partagez-vous réellement cet optimisme, et pouvez-vous nous dire pourquoi ?

Comme vous le savez, plusieurs États membres – Pologne et Hongrie en tête – expriment depuis 2016 de grandes réticences à l'égard des systèmes de relocalisation. Ces derniers se sont prononcés contre l'adoption du pacte et mènent depuis une campagne agressive à son encontre, en le qualifiant de « diktat », voire de « viol légal », et en assimilant à des amendes les contributions financières obligatoirement apportées aux pays de première ligne.

Cette rhétorique fait clairement planer le risque d'un défaut d'application de la législation communautaire ; or, dans pareil cas, c'est le fonctionnement de l'ensemble du système tel qu'il est conçu qui, par réaction en chaîne, risque d'être rendu inopérant.

Madame la secrétaire d'État, ces États membres ayant déjà refusé par le passé de mettre en œuvre des mesures décidées à l'échelon européen sur la question migratoire, ne pensez-vous pas que cette question puisse de nouveau se poser pour la mise en œuvre du pacte ?

Je pense d'ailleurs que ces pays, après avoir vu – comme moi, comme vous –, tout récemment, des groupes de migrants retenus dans des centres de transit en Grèce se réjouir des massacres perpétrés ces derniers jours en Israël, ne manqueront pas d'être renforcés dans leur scepticisme concernant ces obligations de relocalisation.

Par ailleurs, les récents événements de Lampedusa nous invitent naturellement à nous interroger sur la dimension extérieure des migrations, notamment sur les partenariats conclus avec les pays du pourtour méditerranéen, hier la Turquie, aujourd'hui la Tunisie, demain l'Égypte ou le Maroc.

Ces accords, s'ils sont conclus et exécutés de bonne foi et avec sérieux, pourraient, à n'en pas douter, offrir des outils efficaces et avantageux à l'Europe pour la gestion des flux migratoires. Pour autant, ils soulignent en creux à quel point notre priorité absolue doit résider dans la mise en ordre de notre propre cadre juridique et de nos politiques européennes.

À défaut d'un tel aggiornamento, nous nous mettrons inévitablement dans la main de nos partenaires, qui pourront profiter à loisir de notre état de faiblesse collective sur ce sujet.

Comment, dès lors, ne pas voir dans le départ quasi simultané de centaines d'embarcations depuis la région de Sfax ou dans l'attitude récente du président Saïed, une sévère mise en garde à cet égard ?

Cela est d'autant plus flagrant que, plus au sud, la situation économique continue de se dégrader, avec la succession de coups d'État au Sahel et le départ consécutif des troupes françaises. La région connaît un fort regain de violence, les attaques terroristes s'y multiplient depuis plusieurs mois et viennent s'ajouter aux nombreuses crises que ces peuples, parmi les pauvres au monde, subissent déjà.

Or je doute que l'alliance des juntes qui se forme entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger soit en mesure d'apporter des progrès tangibles à leurs concitoyens, qui pourront, à n'en pas douter, être amenés à prendre plus massivement encore les routes de l'exil.

Le prochain Conseil européen devrait, si l'on se réfère au projet d'ordre du jour annoté, aborder également la question du Sahel.

Ce débat devrait être l'occasion, pour nos partenaires, de prendre davantage conscience de l'aspect stratégique de cette région, eux qui ont, il faut le dire, si peu soutenu la France sur les plans politique, diplomatique et militaire tout au long de son engagement contre les groupes terroristes – bien que j'aie entendu dire l'inverse. Je souhaite que l'on s'interroge a posteriori sur ce qu'a véritablement fait l'Europe à ce sujet.

L'Europe, comme le réaffirmait récemment le haut représentant Josep Borrell, ne doit pas abandonner le Sahel, malgré les immenses difficultés qui se posent actuellement. Formons le vœu que cet appel soit entendu : il s'agit d'un impératif moral, mais il y va aussi de notre intérêt bien compris.

Enfin, j'ai une dernière interrogation, et non la moindre, sur l'agression terroriste du Hamas contre Israël.

Bien que ce sujet n'ait, bien entendu, pas été inscrit à l'ordre du jour du prochain Conseil, nul doute qu'il en sera question, au vu de l'ampleur de ce drame, dont nous avons parlé tout au long de la soirée.

Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous indiquer quelles actions précises et concrètes la France va proposer à ses collègues pour à la fois tirer les leçons des massacres perpétrés ce jour et éviter qu'ils ne se renouvellent à l'avenir ?

Comment va-t-on, par exemple, procéder au contrôle des financements européens directs attribués aux Palestiniens et aux associations qui encouragent le terrorisme ? Quand le ferons-nous ? D'autres questions se posent, comme celle de l'inscription de ces associations ou groupuscules qui encouragent le terrorisme sur la liste des organismes terroristes et des conséquences qu'il faudra en tirer.

Je vous remercie de vos réponses les plus claires et les plus complètes possible.

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