Intervention de Cyril Pellevat

Réunion du 11 octobre 2023 à 15h00
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 26 et 27 octobre 2023

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, l'ordre du jour du prochain Conseil européen indique que, face à des défis de plus en plus complexes, l'Union européenne façonne « une économie solide et à l'épreuve du temps », susceptible de « garantir une prospérité à long terme ».

Permettez-moi cependant d'en douter.

Face aux géants que sont Pékin et Washington, l'Union européenne lance une enquête afin de déterminer si la Chine subventionne ses véhicules électriques, d'un côté, et tente, de l'autre, d'évaluer l'impact de l'Inflation Reduction Act (IRA).

Outre le fait que ces études arrivent bien tardivement, nous pouvons déjà préjuger de leurs résultats : oui, les subventions chinoises sont massives ; oui l'impact de l'IRA est significatif et le restera.

Ainsi, face aux menaces pesant sur l'économie européenne, l'Union, écartelée entre les intérêts propres de chaque État, multiplie études, enquêtes et évaluations, qui sont les seuls éléments sur lesquels les Vingt-Sept parviennent à se mettre d'accord. Une véritable politique de rupture stratégique devrait pourtant s'imposer pour éviter le naufrage et redonner de la compétitivité à notre économie.

Certains mettront en avant les quelques avancées obtenues. Certes, l'Union européenne n'est pas totalement immobile ; comme toujours, cependant, la politique des petits pas prévaut et les quelques efforts interventionnistes ne sont pas à la hauteur des défis auxquels nous sommes confrontés. Les investissements massifs nécessaires à une souveraineté économique européenne n'adviendront pas si nous n'y consacrons que les moyens que nous mobilisons actuellement.

À ce rythme, nous sommes voués à demeurer une Union de la régulation plutôt qu'une véritable union économique, ce qui, rappelons-le, était pourtant l'un des objectifs premiers de la création des communautés européennes.

Alors que l'Union européenne rattrapait les États-Unis en termes de PIB par habitant jusqu'au début des années 2000, nous avons depuis décroché ; notre productivité est moindre, de même que notre croissance. Alors que nous étions le continent le plus riche, avec le PIB le plus élevé, nous avons été dépassés par les États-Unis. Cela traduit l'échec de la politique économique européenne, laquelle n'a pas évolué avec le temps et reste enfermée dans une doctrine datant du siècle dernier.

Les vantardises de la Commission, dans son dernier discours sur l'état de l'Union, soulignant que le marché européen aime la concurrence, ne changeront rien à ce constat : elle doit rompre avec sa vision très largement libre-échangiste, ultra-concurrentielle et libérale, qui la rend peu encline à construire une véritable politique industrielle soutenant vigoureusement l'innovation.

Les aides aux entreprises sont extrêmement régulées, alors que nous devrions, au contraire, nous inspirer de la flexibilité de l'IRA pour accélérer leur distribution : elles mettent environ deux ans à voir le jour, quand le dispositif américain a été opérationnel en six mois.

De même, l'Union doit se donner les moyens de son ambition. La plateforme des technologies stratégiques – le Net- Zero Industry Act (NZIA), affublé par certains du sobriquet Zero Industry Net Act – en est le parfait exemple.

L'Union se fixe des objectifs, lance de nouvelles politiques, sans pour autant prévoir de véritables budgets dédiés pour les mener à bien. Elle se contente ainsi de recycler les fonds d'anciennes enveloppes, qui, bien que non décaissés, sont déjà bel et bien engagés. En outre, elle se concentre excessivement sur l'investissement et laisse de côté le soutien à la production ainsi qu'à la recherche et au développement, comme c'est le cas pour le NZIA.

L'IRA, quant à lui, subventionne jusqu'à 15 dollars par mégawattheure pour le nucléaire et 3 dollars par mégawattheure pour l'hydrogène. De surcroît, la hausse du coût de l'énergie en Europe mine encore davantage notre compétitivité.

Au-delà de l'IRA lui-même, l'attractivité des prix de l'énergie aux États-Unis provoque des délocalisations de l'Europe vers l'Amérique. Or la réforme du marché de l'électricité prévue par la Commission est trop peu ambitieuse et ne permettra pas de corriger ce différentiel de prix. Cela m'apparaît comme une grave erreur, que la France devra corriger en pesant pour cela de tout son poids.

Par ailleurs, l'Union européenne fait le choix de discriminer les activités qu'elle juge incompatibles avec la poursuite de l'objectif zéro carbone en s'appuyant sur des interdictions plutôt que sur des incitations.

Ainsi, d'interminables listes d'activités pouvant bénéficier de telle ou telle politique sont édictées, favorisant le plus souvent des technologies non matures d'un point de vue industriel et pénalisant injustement, par la même occasion, certains secteurs, oubliés ou mis de côté de manière discutable.

C'est régulièrement le cas du nucléaire, notamment, pour lequel la France doit batailler à chaque nouveau texte relatif aux énergies. Ce secteur n'est ainsi pas inclus à l'heure actuelle parmi les technologies stratégiques dans le cadre du Net- Zero Industry Act et ne pourra donc pas bénéficier des procédures accélérées d'octroi de permis.

De même, la Commission a fait le choix de ne rendre éligible au NZIA que le nucléaire de quatrième génération et les petits réacteurs modulaires, soit des technologies qui ne sont actuellement pas disponibles pour une production à court terme, tout en exigeant dans le même temps un niveau de maturité supérieur ou égal à 8 selon l'échelle TRL, pour Technology Readiness Level.

Ainsi, tout en faisant mine de l'inclure, le texte prévoit en réalité d'exclure la première source d'énergie bas-carbone de l'Union européenne, alors même qu'il est supposé soutenir les technologies qui permettront d'atteindre la neutralité carbone. C'est tout bonnement insensé !

Il faut rompre avec cette logique absurde et bureaucratique et l'Union européenne doit s'engager davantage dans la voie de l'incitation.

En outre, si je peux comprendre la décision de Bruxelles de ne pas porter plainte devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) contre les États-Unis au sujet de l'IRA, au regard des faibles chances de succès de cette procédure, je ne comprends pas ce qui empêche l'Union européenne d'étudier une préférence européenne. J'avais déjà évoqué ce point lors du précédent débat préalable à la réunion du Conseil européen.

Le Conseil européen est supposé fixer les orientations générales de l'Union européenne et donner les grandes impulsions. La construction d'une véritable politique industrielle, incitative plutôt que punitive, permettant de soutenir massivement et de façon souple l'investissement comme la production en Europe, centrée sur des activités pour lesquelles nous disposons déjà d'avantages comparatifs, devrait être l'une de ses priorités.

Nous devons cesser de nous congratuler et d'évaluer les quelques progrès obtenus, au risque de ne jamais avancer.

Aussi, madame la secrétaire d'État, je souhaite savoir si la France défendra une telle position devant le Conseil européen. Quels efforts sont faits pour convaincre les États membres les plus frileux, en particulier les pays du nord de l'Europe, de s'engager dans la construction d'une véritable politique industrielle ?

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