a souligné que le souci des conflits d'intérêt est cependant très important à l'intérieur de l'OMS.
Il a ensuite exposé que, dans le cadre de ses fonctions à la direction du bureau de l'OMS pour l'Europe, il avait pu constater l'inquiétude grandissante de l'organisation et des Etats membres suite aux épidémies de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) puis de grippe H5N1 - qui a causé quelques décès en Turquie et en Azerbaïdjan. Cette inquiétude a débouché sur une mobilisation sans précédent et la mise en place du règlement sanitaire international (RSI), dans un contexte où les virologues annonçaient depuis vingt ans la survenance d'une crise dramatique.
Les Européens se sont aussi dotés d'une structure de coordination de la surveillance et de l'alerte en matière de risques infectieux, le European Center of Disease Prevention and Control (ECDC), basé à Stockholm, dont le rôle n'a d'ailleurs pas été relevé par les médias lors de la pandémie, alors qu'il a été très actif.
L'OMS a incité chaque Etat à mettre en place un plan de lutte contre la pandémie mais n'a pas préconisé de mesures spécifiques. Le choix de la France, dans le cadre de ce plan, d'acheter et de stocker des antiviraux a surpris les experts par son ampleur. Mais il semble s'agir plus d'un choix gouvernemental que des effets du lobbying industriel.
En 2007, Margaret Chan, directeur général de l'OMS, a présenté le rapport mondial de la santé sur les maladies infectieuses en insistant sur le fait que, depuis une trentaine d'années, une nouvelle maladie de ce type apparaît chaque année. Cela n'a pu que renforcer l'inquiétude des Etats et des populations : M. Yves Charpak a noté à ce propos que les études d'épidémiologies cliniques qu'il a conduites au début de sa carrière, ont mis en évidence que plus on est capable, techniquement, de chercher des anomalies, plus on en cherche et plus on en trouve, sans qu'elles soient pour autant pertinentes. Ainsi, on prédit désormais la survenance des maladies infectieuses avant toute manifestation clinique car des laboratoires de recherche de plus en plus nombreux détectent de plus en plus facilement les nouveaux virus. Mais la découverte d'un virus n'est pas forcément significative et ne justifie pas toujours les alertes lancées. Or, face au « bruit de fond » que provoquent ces découvertes constantes, ce ne sont pas les chercheurs les plus spécialisés qui ont le recul suffisant pour apprécier la situation. Il paraît donc important d'organiser l'expertise un peu différemment, et probablement de manière un peu moins spécialisée.
En outre, il faut rappeler que le monde de la recherche est un monde de compétition féroce caractérisé par une course pour l'identification de chaque pathogène et l'élaboration de tests dont découlent la reconnaissance professionnelle et les brevets à la valorisation industrielle desquels les laboratoires sont intéressés.
Une pandémie, c'est l'occasion d'utiliser les méthodes de diagnostic mises au point par les chercheurs sur le virus de la grippe. Il peut donc y avoir un intérêt pour les laboratoires - fût-ce au niveau inconscient - à espérer qu'une maladie arrive. Les mêmes experts, très spécialisés, appartiennent aux groupes dont l'avis sera sollicité par les décideurs. Mais leurs intérêts peuvent, objectivement et sans que cela résulte d'une concertation, aller dans le même sens que ceux de l'industrie. Les « conflits d'intérêt » ne résultent pas uniquement de liens financiers entre chercheurs et industriels. C'est pourquoi il faut apprendre à gérer ces conflits, mais il ne faut pas penser que l'on pourra les supprimer.
Revenant à l'OMS, M. Yves Charpak a rappelé qu'elle est le lieu où se négocie la solidarité internationale en matière de protection de la santé, ce qui est un aspect essentiel de son activité. Il est donc logique que les industriels y soient présents et que les contacts avec eux soient quotidiens. Mais, en interne, l'Organisation fait preuve d'une très grande méfiance à l'égard de l'industrie.
En 2007, Margaret Chan a réuni tous les industriels producteurs de vaccins et d'antiviraux afin de connaître les conditions de production et le temps nécessaire pour obtenir des vaccins, ainsi que les conditions de leur mise à disposition. Mais l'OMS n'a pas fait de recommandations aux Etats membres dans ce domaine, et elle n'est pas intervenue sur les modalités contractuelles de fourniture des vaccins. M. Yves Charpak a estimé, en conclusion, que pour autant que l'on puisse en juger, les contrats négociés entre les gouvernements et les industriels l'ont été en parfaite connaissance de cause de part et d'autre. Chacun savait ce qu'il négociait.
Rappelant que, dans un entretien publié dans l'hebdomadaire Politis le 3 septembre 2009, M. Yves Charpak avait relativisé le coût des mesures de lutte contre la pandémie grippale et souligné que la protection de la santé est une priorité sans doute plus légitime que d'autres pour l'action gouvernementale, M. Alain Milon, rapporteur, a noté que ce sont effectivement des arguments éthiques qui ont fondé le choix de commander des vaccins pour permettre à tous ceux qui le souhaitaient d'être vaccinés. Cependant, certains ont contesté le caractère éthique de ces achats en affirmant que leur coût privait d'autres projets de santé de financement et que les politiques nationales avaient méconnu l'exigence de solidarité avec les pays les plus pauvres. Il a donc demandé à M. Yves Charpak quel regard il portait aujourd'hui sur les dépenses engagées par la France pour l'achat de vaccins.
a répondu que dans l'article en question, il avait d'abord insisté sur le fait que la protection de la santé est de même ordre que la protection du territoire - qui exige des investissements beaucoup plus importants sans que cela soulève de problèmes majeurs. Il faut avoir une approche générale des questions de protection et ne pas privilégier la sécurité dans un secteur plutôt que dans un autre. Il a rappelé qu'il n'avait pas été consulté sur la question de la quantité de doses de vaccins achetées et qu'il pourrait être tenté de dire que l'on aurait pu au départ dimensionner les commandes de façon moins importante. Mais il faut se défier de la facilité qu'il y a à faire des préconisations après coup et on ne doit pas oublier la grande inquiétude qui régnait à l'époque et dont témoignent les titres de la presse parue d'avril à mai 2009. La vaccination - c'était d'ailleurs son opinion personnelle - présentait dès lors un risque minime au regard du danger possible.
Les premiers avis du HCSP montrent bien une réticence à l'égard de la politique d'achat massif de vaccins même si les avis ultérieurs traduisent une adhésion de plus en plus grande à la politique choisie.