L'enquête « flash » du professeur Delfraissy annonçant 20 % de lits fermés de fait, faute de personnels, avait beaucoup fait réagir. La conférence des CME de CHU avait d'ailleurs publié un communiqué qui relativisait ces chiffres. La Direction générale de l'offre de soins (DGOS) a présenté avant Noël les résultats de son enquête menée sur les fermetures de lits et les départs de personnels. En moyenne, le nombre de lits disponibles ne serait inférieur que de 2 % à celui constaté il y a deux ans à la même époque et l'absentéisme serait un peu plus élevé (+ 1 %). Le déficit des recrutements par rapport aux départs concernerait surtout les infirmiers et les sages-femmes. Est-ce ce que vous constatez dans vos domaines respectifs ?
Dans la tension exceptionnelle provoquée par la crise sanitaire, qui a peut-être expliqué les difficultés à pourvoir les postes, on sent une désaffection durable vis-à-vis de l'hôpital. Vous nous dîtes que ces départs ne se font pas tous en direction du secteur privé, même si nous avons eu dans une audition précédente des éclairages sur les écarts de rémunération constituant parfois un « appel d'air », d'où la demande de revalorisation des métiers. Quelles sont selon vous les pistes ? Il y a les mesures du Ségur, en cours, sur les rémunérations. Cela va prendre du temps. En termes de statut, de liberté des équipes soignantes - qui s'est accrue lors de la crise sanitaire avec un esprit d'équipe et de service public - que doit-on pérenniser lorsque la crise sera terminée ? Et quelles sont les solutions immédiates pour faire rester les personnels ou faire revenir des personnels ceux qui auraient quitté la profession ?
En tant que présidents de commissions médicales, je souhaite que vous nous donniez votre sentiment sur la gouvernance de l'hôpital aujourd'hui. On entend beaucoup de critiques sur les pôles, par rapport à ce qu'étaient les services. Partagez-vous ces critiques ? Souhaitez-vous le retour de ces services, et un accroissement de leur autonomie ? Certains sont allés jusqu'à proposer une forme d'autonomie budgétaire. Que pensez-vous de cette solution ?
Enfin, en ce qui concerne la place des hôpitaux dans le système de santé, comment faire en sorte qu'ils ne soient pas le réceptacle de tous les patients ? Comment travailler l'organisation territoriale des soins, sachant que chaque territoire est différent et qu'il faut de la souplesse ? Comment faire en sorte que l'hôpital ne soit qu'un échelon strictement nécessaire du parcours de soins, dans un équilibre avec les soins en ville ou à domicile ?
Docteur Marie-Paule Chariot. - La médecine de ville est, pour moi, capitale. C'est le premier filtre. Les médecins traitants voient les patients, et orientent de manière adaptée les patients en fonction des niveaux de gravité. Bien sûr, le CHU est un recours. Les établissements que je représente sont là pour l'appendicite et le CHU est là pour la greffe de foie, ce qui est différent. Le CHU a donc une fonction de recours que je reconnais volontiers, mais aussi de formation et de recherche : nous sommes tous sortis du CHU.
Il faut donc hiérarchiser.
Nous avons des équipes de médecins généralistes, de médecins traitants, remarquables. Ils ont des connaissances très étendues - même si elles sont évidemment moins approfondies que celles des spécialistes - qui permettent des fonctions de tri et de soin. C'est une organisation à trois niveaux qu'il faut favoriser : premièrement, le médecin de ville ou le médecin traitant qui est le pilier des soins, deuxièmement, les hôpitaux et les cliniques, et enfin les CHU qui sont un recours, celui de la science.
En ce qui concerne la rémunération, les médecins libéraux assurent eux-mêmes le paiement de leurs collaborateurs dans établissements privés. Quand on regarde le chiffre d'affaires d'un cabinet médical, il faut retirer le salaire des collaborateurs : celui des infirmiers anesthésistes ou des aides opératoires pour les chirurgiens, celui des secrétaires ou des manipulateurs radio. Le rapport entre chiffre d'affaires et les bénéfices est de 1 à 6. La rémunération d'un médecin libéral est certes plus élevée que celle d'un médecin salarié mais pas plus que d'un facteur 1,5 à 2, sauf dépassement d'honoraire que, à titre personnel, je ne cautionne pas.
Docteur Thierry Godeau. - Concernant l'étude de la DGOS sur les lits fermés, dans les contacts que nous avons avec les établissements de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO), il apparaît qu'ils ont globalement tous un peu de lits fermés. Je suis à La Rochelle. Jusqu'à maintenant, l'hôpital ne rencontrait pas de problème d'attractivité - il y a très peu de postes médicaux vacants - mais pour la première fois on a des problèmes d'infirmières, de soignants, et on a quelques lits de médecine fermés, ce que nous n'avions jamais eu jusqu'alors. Il ne faut pas oublier non plus qu'en hiver, comme nous avons plus de patients, nous ouvrons des unités hivernales temporaires. Cette année, dans la plupart des établissements, nous ne pouvons pas le faire. C'est un gros point de vigilance.
Concernant les infirmiers et infirmières, il y a plusieurs sujets. On a trop fait de contrats à durée déterminée. Elles restent trop longtemps en attente de statut plus stable et stable, et si vous voulez acheter une maison c'est plus compliqué. On note aussi un problème de ratio de personnel dans les unités de soins : combien de lits sont affectés à un infirmier ou une infirmière ? Du fait du virage ambulatoire, les patients en hospitalisation ont changé.