La question du DMP a l'air bien avancée, et j'en suis ravi. Il reste maintenant à le mettre en oeuvre effectivement, car cela fait des décennies que nous en parlons. Cela pourrait permettre une amélioration considérable.
Sur la question du virage ambulatoire : il me semble qu'il n'a pas atteint les objectifs qui lui ont été globalement assignés. Qu'en pensez-vous ? Doit-il être repensé ? Doit-il rester figé sur la chirurgie ou aller plus loin sur la médecine ?
Concernant ensuite les carences démographiques, notamment en matière médicale, ne pensez-vous pas qu'il faille aller plus loin ? Sachant que même si des avancées ont été faites sur le numerus clausus, on sait très bien les médecins qui entrent aujourd'hui en formation n'exerceront pas avant 10 ou 12 ans. Ne pensez-vous pas qu'il faille aller plus loin sur le recrutement de médecins étrangers, dont certains ont fait des études dans nos hôpitaux, et du moins y ont acquis des diplômes universitaires ?
Sur la formation des infirmiers : pensez-vous qu'elle est aujourd'hui adaptée au contexte ? Moi personnellement je ne le pense pas, notamment au niveau de la sélection par Parcoursup. Est-ce que le contenu de la formation aujourd'hui est vraiment adapté à ce que ce que vous attendez aujourd'hui, et ce qu'attendent les futurs infirmiers de leur travail au quotidien dans nos établissements de santé public mais aussi privé ?
J'ai cru entendre aussi qu'il y avait des améliorations attendues au niveau la gouvernance ARS/Cnam. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Merci.
Professeur François-René Pruvot. - Je vais m'en tirer par une pirouette pour la question des médecins qui s'en vont. J'ai été le président de dizaines de thèses, et depuis environ 20 ans je terminais toujours, quand je remettais le diplôme, par cette phrase : « à partir de cette seconde, tu es et tu resteras un médecin jusqu'à ta mort ». Je pense que si on a fait son parcours complet, si on a exercé un peu, on restera dans son âme médecin jusqu'à sa mort. Donc ces collègues-là sont récupérables.
Concernant l'ambulatoire, c'est difficile de vous répondre. Oui, on peut sûrement faire un plus grand effort en médecine. Oui, la chirurgie a bien progressé. Cela continue, et il y a encore des marges de progression. On a presque fait 10 % en une année à cause de la crise, donc on peut le faire.
Sur la formation des infirmiers, je ne suis pas compétent. Toutefois, je me pose la question des infirmiers en pratique avancée (IPA) et des surcompétences. Il y a le problème des infirmières en réanimation et celles de bloc opératoire. Je trouve qu'on est allé trop loin dans la volonté d'universitarisation. Il y a des infirmières aujourd'hui qui sont obligées de faire deux ans de « surformation ». Déjà les infirmières françaises ont l'une des plus belles formations qui soit. Donc on veut leur imposer, parce que l'on veut l'étiquette « diplôme universitaire », deux ans d'une formation qui traîne. Je pense qu'on peut contracter.
Pour les ARS, c'est extrêmement variable : c'est presque un mal nécessaire.
Docteur Laurence Luquel. - En ce qui concerne le DMP, nous attendons. La problématique n'est pas tant le DMP lui-même, qui sera mis en place à partir du 16 janvier avec l'espace numérique en santé, que de savoir comment on va embarquer les professionnels, qui sont un peu réticents à utiliser ce DMP. Il va falloir beaucoup compter sur les usagers. Le virage numérique ne pourra pas se faire sans les usagers.
En matière de virage ambulatoire, on peut faire mieux. Avec la T2A, fermer des lits, les transformer en « virage ambulatoire » ce n'est pas toujours, en termes d'activité et de financement, tout à fait bénéfique pour les établissements à ce jour.
Concernant les infirmières, outre la question de l'intérêt d'un diplôme universitaire se pose celle des effets de la loi de 1991, qui les a placées sous la responsabilité des directeurs de soins, et non plus des médecins. Cela a créé un travail en silo. Par ailleurs, l'empathie, l'humanité, sont nécessaires à des soins de qualité et avec les contraintes actuelles, les infirmières, et les soignants en général, se plaignent de manquer de temps pour les soins relationnels. La formation n'est peut-être pas très adaptée.
Les infirmières de pratique avancée ont des prérogatives que nous, les médecins, ne comprenons pas toujours pas très bien. Il nous faut vraiment des assistants, peut-être infirmiers, pas forcément des IPA, mais qui nous aident dans toutes les procédures administratives, dans les outils numériques. Pourquoi va-t-on passer du temps à relire des comptes rendus médicaux ? C'est du temps gâché par rapport au temps avec le patient. Donc plus que d'infirmières de pratique avancée, c'est ce besoin d'assistance que nous ressentons. Le métier de secrétaire médicale pourrait évoluer.
Les ARS sont compétentes pour l'organisation, l'assurance maladie pour la tarification et les remboursements. Chacun est à sa place.
Docteur Thierry Godeau. - Vous avez raison sur les attentes des jeunes professionnels. Ont-ils tort ? Je ne sais pas. J'ai deux filles qui ont fait médecine, qui sont actuellement à l'hôpital, et qui vont probablement quitter l'hôpital, en me disant « on ne veut pas vivre la vie que tu as eue ». Si les médecins se sentent un peu dépossédés de la gestion de la santé, qu'ils ne peuvent pas porter les projets et la politique de santé elle-même, je ne sais pas si on pourra faire revenir ceux qui sont partis. Il y a un problème de charge de travail et le fait que l'on ne gère que des « urgences », que du quotidien, etc.
Le DMP est un peu le serpent de mer. Attention à la façon dont il va être construit. Il ne faut pas qu'il soit une compilation de documents. Avec les outils actuels, il faudra que ce soit vraiment adapté, car les patients sont de plus en plus polypathologiques et pris en charge par de plus en plus de médecins. Il faut vraiment le penser de manière ergonomique.
Pour le virage ambulatoire, on a fait beaucoup de progrès en médecine pendant la crise ; par nécessité aussi. La garantie de financement dont ont bénéficié les établissements a joué un rôle également. C'est vrai que le financement T2A de l'ambulatoire, même si on a fait des progrès, n'est pas peut-être pas encore optimal, car il faut de la coordination, et il faut des liens avec les soins de ville. Il faut faire le bilan, et ce serait dommage de ne pas poursuivre ce virage ambulatoire. Il faudra le consolider.
Je ne suis pas défavorable au recours aux médecins étrangers. Il faudra du temps pour poursuivre la formation médicale. On peut encore former plus de médecins, trouver des terrains de stage dans les centres hospitaliers, chez les médecins libéraux.
Diabétologue, j'ai au deux IPA dans mon service depuis de nombreuses années. Je suis d'accord avec le professeur Pruvot : on a mis en place, pour la formation, une « usine à gaz » qui n'est pas adaptée à nos besoins. Ces infirmières, en tout cas dans nos établissements de santé, sont déjà bien formées. Il suffirait d'une formation complémentaire. Ce sont en outre souvent des femmes avec des enfants jeunes, et lorsque l'on ne réside pas dans une ville universitaire, partir est un problème. C'est un frein à la formation, alors que la formule est une vraie réponse aux difficultés actuelles. Il faut revoir la validation des acquis.
Je partage aussi l'idée des assistants. Une étude est parue dans une revue médicale sur le burn out des médecins face à l'informatique. Le recours à des assistants pour remplir les dossiers a permis une très nette amélioration du ressenti des praticiens.
Malgré une augmentation du nombre d'entrées dans les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI), les sorties ne sont pas supérieures. Est-ce lié au changement du mode de sélection avec Parcoursup ? Je ne sais pas.
Dans les centres hospitaliers se pose également une question de formation médicale. Nous avons des médecins peut-être un peu trop spécialisés, alors que nous avons besoin de médecine interne, de médecine polyvalente. Il y a formations spécialisées transversales complémentaires, mais la médecine polyvalente n'est pas concernée.
Si on veut préserver les hôpitaux de proximité, il faudra dé-généraliser la médecine de ville, mais aussi disposer, dans des établissements importants, de médecine polyvalente, avec des spécialistes soit de ville soit à l'hôpital.
Concernant les rôles respectifs des ARS et de l'assurance maladie, il me paraît de moins en moins pertinent, avec le parcours de soin, d'avoir des ONDAM complètement dissociés entre ville et hôpital. L'important est que dans les territoires, on soit soigné au juste coût, et s'il manque de la médecine générale ou des spécialiste en ville, peu importe si c'est l'hôpital qui « dépense ».
Pour en revenir à l'adaptabilité des établissements, elle se joue sur les moyens humains. Un médecin ne se trouve pas d'un coup de baguette magique pour venir trois mois à l'hôpital.
Un dernier mot sur la gouvernance : oui il y a des changements de gouvernance. Le président de CME maintenant est dans un rôle de co-décision avec le directeur. C'est un rôle de stratégie qui n'est pas le plus important à l'hôpital. Le plus important est la gouvernance de proximité. Il faut redonner la possibilité de porter des projets, d'avoir des initiatives, de la souplesse. Au niveau du « top management », il faut définir une ligne de conduite, une stratégie, savoir où l'on va ensemble, et après que l'on donne des objectifs assez simples, avec de la souplesse pour la réalisation de ces objectifs.
Docteur Marie-Paule Chariot. - 60 % des médecins qui ont fini leurs études soignent. Donc ne faisons pas de statistiques sur les médecins, faisons des statistiques sur les médecins qui soignent ; c'est leur rôle.
Le DMP est un truisme.
Sur le virage ambulatoire, je porte un grand coup de chapeau au chirurgien. En 20 ans, ou 15 ans, la chirurgie a fait des progrès colossaux.
La différence entre les médecins européens et les médecins non européens est que les premiers ont une formation commune. Ce serait trop long d'expliquer pourquoi par lettre recommandée on peut être qualifié quand on vient d'Espagne.
Sur les IPA, c'est une délégation de tâche. Ce ne sont pas des pratiques autonomes. Cela assure la sécurité. La sinistralité est de un sur dix puissance moins 6. Elle est quasiment celle du nucléaire ; pas tout à fait car la sinistralité du nucléaire est de un sur dix puissance moins 7 ; mais c'est une grande sécurité. Une délégation de tâches, mais pas une pratique autonome.