Intervention de Philippe de Chazournes

Commission d'enquête sur la grippe A — Réunion du 12 mai 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Philippe de Chazournes médecin généraliste

Philippe de Chazournes :

a estimé, pour le regretter, qu'il n'y avait pas eu de retour d'expérience sur la gestion de la grippe à la Réunion, se demandant si cela était imputable à une absence de transmission par les responsables locaux, ou à la non-prise en compte de ces retours d'expériences par les responsables nationaux.

Il a indiqué que l'on avait localement, début juin, le sentiment que les autorités sanitaires locales n'avaient aucune marge de manoeuvre dans leur prise de décision et devaient s'en tenir au respect des circulaires ministérielles.

On s'est ainsi privé de l'expertise des médecins généralistes et de l'expertise réunionnaise, trois mois avant l'arrivée de l'épidémie en métropole, où sa chronologie a été un véritable « copié-collé » de ce qui s'était passé à la Réunion.

Cette situation est regrettable, car on aurait pu éviter des fermetures de classes en métropole, des mesures de prévention inadéquates comme l'annulation de rencontres sportives, et éviter aussi de créer un vent de panique dans l'esprit des patients, dans les services d'accueil des urgences, dans la réception des appels des centres d'urgence du 15 et, enfin, dans les cabinets de médecine libérale.

Le bon sens aurait été de dire aux patients grippés de rester chez eux pour ne pas contaminer des malades fragiles et pour ne pas se contaminer eux-mêmes.

s'est, par ailleurs, demandé comment on pouvait dire, à l'époque de l'achat des vaccins, que cette grippe pouvait être grave. En effet, sa létalité a été peu importante au Mexique, où elle était apparue, de même qu'à la Réunion, en Nouvelle-Zélande, en Nouvelle-Calédonie et en Australie.

Il aurait fallu extrapoler à la métropole ce qui s'était passé à la Réunion : la grippe H1N1 a très rapidement pris le pas sur la grippe saisonnière, et l'épidémie s'est ensuite très rapidement éteinte.

Fin août, lors du pic épidémique à la Réunion, on savait que cette grippe n'était pas grave :

- le premier cas de grippe A(H1N1) à la Réunion a été confirmé le 5 juillet ;

- le premier cas autochtone a été identifié le 23 juillet ;

- la durée de l'épidémie a été estimée à neuf semaines ;

- il y a eu six décès à la Réunion, dont quatre cas où des comorbidités ont été identifiées, et deux décès sans autre cause apparente que la grippe A(H1N1), celui d'un homme de trente-trois ans et d'une femme de trente-huit ans ;

- il n'y a pas eu de surmortalité : 611 décès ont été observés, alors qu'il en était attendu 669 sur la période ;

- aucune école n'a été fermée, mais l'éviction scolaire des enfants symptomatiques a été recommandée ; il n'y a pas eu d'augmentation de la tendance épidémique après la rentrée scolaire le 21 août 2009. Alors que M. Didier Houssin, directeur général de la santé, a indiqué à la commission d'enquête que la fermeture des classes en Ile-de-France avait ralenti la propagation du virus, cette affirmation ne s'est pas vérifiée à la Réunion.

En 2009, sur l'île de la Réunion, le virus pandémique a ainsi provoqué une épidémie de grippe modérée, d'intensité légèrement supérieure à celle observée dans le passé pour la grippe saisonnière, mais d'une gravité comparable, voire inférieure, selon l'InVS.

A partir de ce constat, M. Philippe de Chazournes a soulevé un certain nombre d'interrogations :

- était-il raisonnable de continuer sur une voie manifestement inappropriée ?

- disposait-on d'éléments suffisants pour commander des vaccins, et en de telles quantités ?

- pourquoi avoir semé la panique pour inciter à tout prix la population à se faire vacciner, alors qu'on connaissait l'absence de gravité de cette grippe ?

- était-il raisonnable de vouloir vacciner tout le monde, de « harceler » les professionnels de santé, notamment les élèves infirmiers, à qui l'on a dit que leurs stages et examens ne seraient pas validés s'ils refusaient de se rendre dans les « vaccinodromes » ?

- ne pouvait-on pas partager les risques avec l'industrie pharmaceutique, dont les profits auraient dû être fonction des besoins ?

- pourquoi avoir octroyé aussi vite l'immunité juridique aux producteurs de vaccins, créant un climat de suspicion dans la population ?

a estimé qu'il aurait été plus crédible de reconnaître que l'on s'était trompé et que chacun assume ses responsabilités et en tire les conséquences, plutôt que de vacciner à tout prix pour écouler les vaccins déjà achetés. Pourtant, a-t-il relevé, pour la grippe saisonnière, un congrès Cochrane à Rome en 2006 avait déjà montré que l'efficacité du vaccin n'avait jamais été prouvée, à partir d'études portant sur 260 000 enfants et 60 000 adultes depuis trente-sept ans. La vaccination réduirait le risque de grippe d'à peine 6 % pour les personnes en bonne santé ; aucune étude ne permet de constater l'efficacité du vaccin chez les personnes âgées ; il n'y a pas eu de diminution des décès dus à la grippe aux Etats-Unis entre 1980 et aujourd'hui, alors que la couverture vaccinale a augmenté de 15 % à 65 %. La meilleure protection contre la grippe est sans doute le port de masques ou le lavage des mains.

En ce qui concerne la grippe A(H1N1)v, il s'est demandé si le « délire collectif » pouvait s'expliquer autrement que par des conflits d'intérêts chez les décideurs, ou leurs conseillers, les experts de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou les experts français.

Il a rappelé qu'il avait ainsi « poussé un coup de gueule » dans un article de presse paru le jour de la visite de la ministre de la santé à la Réunion, article dont il a affirmé revendiquer l'intégralité du contenu, qui s'était révélé exact.

Cet article s'interrogeait en effet sur :

- l'efficacité de l'oseltamivir et sur celle du vaccin ;

- la surcharge des services d'urgence, au détriment des nécessités vitales ;

- la surcharge des cabinets médicaux, qui multipliait les risques d'auto-infections et d'erreurs diagnostiques, et pesait sur la qualité de la prise en charge des autres patients, notamment les malades chroniques ;

- la production de certificats attestant qu'un patient n'était pas grippé, et les arrêts de travail des parents gardant leurs enfants exclus des classes ;

- la demande d'une meilleure organisation et anticipation, en l'absence d'initiative laissée aux directeurs de la DRASS et de l'ARH.

L'Union régionale des médecins libéraux (URML) de la Réunion, dont il est secrétaire général, a écrit au préfet en septembre et organisé une conférence de presse sur le thème « Non à la vaccination de masse contre la grippe H1N1 » le 29 octobre 2009.

Un sondage a permis de recueillir l'opinion des Réunionnais.

A une première question, les deux tiers des personnes interrogées répondaient qu'elles n'étaient pas disposées à se faire vacciner dans les centres de vaccination de masse spécialement ouverts dans les gymnases ou les salles communales.

Les raisons de ce refus étaient diverses : 11 % des personnes interrogées estimaient la vaccination inutile, pensant avoir déjà eu la grippe ; 52 % n'avaient pas complètement confiance dans les vaccins ; d'autres refusaient le dispositif de vaccination de masse (7 %) ou préféraient attendre (21 %). Enfin, 47 % souhaitaient demander conseil à leur médecin traitant, entraînant un afflux d'appels téléphoniques et de rendez-vous.

La dernière question du sondage portait sur la vaccination par des équipes mobiles des enfants des écoles. La majorité des personnes interrogées n'étaient « certainement pas d'accord » (36 %) ou « plutôt pas d'accord » (27 %) pour faire vacciner leurs enfants dans ces conditions. Comme il était prévu de vacciner les enfants sauf refus explicite des parents, l'URML de la Réunion avait rédigé une lettre-type aux directeurs d'école, à l'intention des parents qui ne souhaitaient pas que leurs enfants soient vaccinés.

En conclusion de ce sondage, M. Philippe de Chazournes a déploré la médiatisation de la peur et la mise en cause des autorités sanitaires par les parents. Il a estimé impossible de vacciner une population contre son avis.

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