Intervention de Luc Rouban

Commission d'enquête mutations Haute fonction publique — Réunion du 15 mai 2018 à 14h30
Audition de M. Luc Rouban sociologue directeur de recherche au cnrs-cevipof

Luc Rouban :

J'abonde dans ce sens car le droit ne permet pas de tout contrôler. Il existera donc toujours un risque de conflit d'intérêt et de « privatisation » de l'intérêt public.

Malgré le fait que les décisions sont prises par un certain nombre de personnes, il reste néanmoins très difficile pour les sociologues de déterminer le cercle de la décision. C'est d'ailleurs la cause du grand débat qu'ils ont avec les historiens. Les historiens arrivent, eux, à reconstruire ou à rationaliser a posteriori le processus des prises de décision à l'occasion d'études de mémoires ou d'archives orales. Un témoin, par exemple un haut fonctionnaire, peut alors leur expliquer que, pour une décision donnée, un certain nombre d'acteurs avait des points de vue distincts et que la décision a été prise en petit comité.

Or, les choses ne se passent pas toujours comme cela dans la réalité. Il existe en effet une part d'aléa, un imprévu, un phénomène que l'on n'attendait pas ou l'intervention d'une personne extérieure au cercle de décision qui va la conditionner. Il n'est donc pas possible de délimiter un cercle réduit autour d'une décision, même lorsqu'elle est prise par le Président de la République, par exemple. Il ne contrôle pas tout et dépend d'un certain nombre d'acteurs. Le personnel politique tente, certes, de présenter ses prises de décisions comme cohérentes, mais il n'est pas dit qu'elles le soient toujours. Il ne faut pas trop « anthropologiser » la décision, les choses sont trop compliquées pour cela.

Il ne faut pas non plus analyser les rapports actuels entre la sphère publique et la sphère privée avec les outils que la sociologie avait développés dans les années soixante-dix ou quatre-vingt. Il existait, à l'époque, des classes dirigeantes nationales. Or le vrai problème d'aujourd'hui réside dans l'internationalisation d'un certain nombre de circuits élitaires. C'est d'ailleurs ce qui nourrît le populisme ! Il ne vient pas de l'existence d'élites dirigeantes et de l'idée que l'on se fait des connivences au sommet. Il vient surtout, pour l'extrême gauche et l'extrême droite, de l'idée de dépossession de la souveraineté nationale. Il ne suffit plus d'étudier le Who's who pour identifier les gens qui comptent. Il existe aujourd'hui des gens qui comptent et que l'on ne voit nulle part. Contrairement à ce que l'on essaie de nous faire croire, nous ne sommes pas, aujourd'hui, dans un monde de plus en plus transparent, mais bien de plus en plus opaque. Il est, par exemple, très difficile de retrouver la biographie d'un certain nombre de conseillers régionaux ou de fonctionnaires. Au-delà des « babioles » disponibles sur les réseaux sociaux, on ne trouve plus l'essentiel. En outre, je signale que les données du ministère de l'intérieur relatives aux catégories sociaux-professionnelles des candidats élus aux élections législatives et sénatoriales sont fausses. Elles sont établies sur la base d'auto-déclarations et, pour avoir dépouillé l'ensemble des biographies correspondant, je peux affirmer qu'il existe un décalage.

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