Intervention de Luc Rouban

Commission d'enquête mutations Haute fonction publique — Réunion du 15 mai 2018 à 14h30
Audition de M. Luc Rouban sociologue directeur de recherche au cnrs-cevipof

Luc Rouban :

J'abonde dans votre sens. Pour avoir participé au comité d'histoire de l'Inspection générale des finances et m'être entretenu avec certains anciens inspecteurs, je me rends compte que, contrairement à ce que l'on pense, ce n'est pas nécessairement les salaires qui attirent les fonctionnaires dans le secteur privé, mais bien la liberté de décider, de se comporter en patron et de concevoir des stratégies. Ils ne peuvent, en effet, plus nécessairement le faire en servant l'État, se sentent dévalorisés et le ressentent comme une perte de pouvoir. Nous ne sommes plus dans la technocratie des années cinquante - soixante, d'ailleurs très éloignée la « technocratie macronienne » dont on entend parler en ce moment.

À cette période, les hauts fonctionnaires comme Paul Delouvrier en imposaient aux hommes politiques. Il a refusé deux fois d'être nommé ministre et de faire de la politique afin de rester haut fonctionnaire pour servir l'État. Il faisait partie des grands commis de l'État, modèle dont on a aujourd'hui cassé le moule...

Ces nouvelles perspectives posent un vrai problème de qualité de recrutement dans la haute fonction publique. Les deux tiers des étudiants de Sciences Po choisissent aujourd'hui d'aller dans le secteur privé. C'est notamment le cas de tous les jeunes de Sciences Po issus de l'immigration magrébine qui considèrent que le secteur privé reconnaitra plus rapidement leurs mérites. J'ai en tête l'exemple d'une jeune femme ayant suivi ce parcours qui a fait le choix de travailler pour un grand groupe de parfumerie. Parlant l'arabe couramment, elle a pu exercer aux Émirats et est devenue directrice d'un département au bout de trois ou quatre années.

De l'autre côté, la fonction publique ne leur offre que des concours « lourdingues », universitaires, qui nécessitent de bachoter et qui offrent désormais des carrières qui ne sont pas nécessairement à la hauteur de l'investissement demandé. À terme, ce qui est un problème de flux deviendra un problème de qualité car tous les bons éléments sont en train de s'en aller. C'est notamment le cas dans les hôpitaux publics. Le service public risque donc de s'étioler pour finalement s'éteindre progressivement.

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