Intervention de Pierre Delvolvé

Commission d'enquête mutations Haute fonction publique — Réunion du 15 mai 2018 à 18h00
Audition de M. Pierre delVolvé professeur émérite de l'université de paris ii membre de l'institut

Pierre Delvolvé :

On constate une transformation importante du rôle de l'État dans l'économie depuis le développement de l'Union européenne et corrélativement à la libéralisation de l'économie, marquée notamment par l'ordonnance de 1986 sur les prix et la concurrence. Après la vague de nationalisation en 1981-1982, puis les privatisations d'abord en 1986 puis en 1993, les modalités de l'action de l'État dans l'économie se sont transformées. Est-ce que le rôle de l'État dans l'économie a pour autant changé ?

Dans la première édition de mon livre, Droit public de l'économie, j'indiquais dans un développement sur la police de l'économie, que l'intervention de l'État prenait deux aspects : la prescription et la prestation. Par voie de prescription, les nouvelles modalités ont conduit à changer les modes d'intervention de l'État. D'ailleurs, on ne parle plus de police mais de régulation. La concurrence est une nouvelle préoccupation, une solution de l'activité économique et du rôle de l'État.

La loi organique de 2017 n° 2017-54 du 20 janvier 2017 tend à limiter le développement des autorités administratives indépendantes (AAI) et des autorités publiques indépendantes (API) qui sont des instruments essentiels de l'intervention publique dans l'économie. Cette dernière est remise à une autorité ayant une indépendance par rapport à l'exécutif et le législatif, mais c'est le même type d'intervention. Que ce soit l'autorité de la concurrence, qui est l'héritière du comité, puis de la commission de la concurrence, ou l'autorité des marchés financiers, elles agissent par des solutions pouvant comporter des aspects autoritaires. Elles prennent des actes unilatéraux et réglementaires. Certes, ces derniers sont soumis à une homologation par le ministère des Finances, voire pour l'AMF, sont influencés par les instances européennes. L'autorité de la concurrence a un pouvoir réglementaire, mais prend également des actes individuels. Une injonction est ainsi ce qu'il y a de plus classique en matière de droit administratif. Elles ont également un pouvoir de sanction. On assiste ainsi à un déplacement du pouvoir répressif juridictionnel vers le pouvoir administratif. D'ailleurs, la procédure ressemble à celle applicable devant le pouvoir juridictionnel, notamment en matière des droits de la défense. Plusieurs décisions et arrêts du Conseil constitutionnel, du Conseil d'État, de la cour de cassation l'ont rappelé. Ces décisions demeurent toutefois soumis à un contrôle du juge en appel - le tribunal de Paris ou le Conseil d'État.

Il y a ainsi un changement quant aux autorités prenant la mesure, mais pas dans la nature de la décision, ni dans l'instrument de l'autorité étatique.

En outre, on constate l'apparition de mesures nouvelles grâce au « droit souple ». Ces mesures n'ont pas la caractéristique des mesures exécutoires, mais elles esquissent des effets. Je pense notamment aux recommandations, avis, communiqués, voire communiqués de presse de l'AMF ou de l'autorité de la concurrence, soulignant, par exemple, le caractère discutable de certains placements et invitant par ce biais les épargnants à ne pas avoir confiance. Le Conseil d'État, dans une décision du 21 mars 2016, a ainsi indiqué que ces actes - qui classiquement n'étant pas des actes administratifs ne pouvaient faire l'objet de contestations - peuvent faire l'objet de recours car ils peuvent produire des effets sur les personnes, individus et entreprises. Ainsi, il y a des nouveautés dans les modes d'intervention, mais sans nouveauté fondamentale dans la nature même de l'action.

En effet, ce qui est sous-jacent au final est la notion d'ordre public, pas simplement celui visant à prévenir des dégâts, mais un ordre public immatériel, notamment l'ordre public économique. Ce dernier est fondamentalement déterminé par les thèmes que je viens d'évoquer : il y a un ordre public de la concurrence, de la bourse, des marchés financiers. On parle désormais de régulation, pour témoigner des modalités nouvelles de contrôle et d'encadrement. Mais au final, la régulation est du contrôle.

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