Intervention de Dominique Dupagne

Commission d'enquête sur la grippe A — Réunion du 26 mai 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Dominique duPagne médecin généraliste

Dominique Dupagne :

a tout d'abord déclaré ses liens d'intérêt : son épouse, cardiologue, travaillait pour le laboratoire Sanofi pendant la campagne de vaccination. Lui-même est administrateur d'une société familiale fabriquant du matériel médical et travaille également comme consultant pour la société Vidal, éditrice de l'ouvrage du même nom.

Notant que nombre de ses confrères avait déjà pu apporter à la commission d'enquête des éléments d'information importants, il a indiqué qu'il centrerait son exposé liminaire sur la place d'Internet dans la campagne de vaccination.

Médecin généraliste libéral parisien, il a également des activités à l'université, dans la formation continue dans l'évaluation des pratiques professionnelles. Il a découvert Internet en 1996 et plus particulièrement les espaces d'échange avec les patients. Il a ensuite créé son propre site Internet, Atoute.org, qui bénéficie d'un trafic significatif avec 1 200 000 visiteurs par mois, soit le double de celui de la Haute autorité de santé. Ce site est géré par des bénévoles et n'a pas de vocation commerciale. Il a par ailleurs présidé pendant quelques années l'association des Médecins Maîtres-Toile, qui regroupe les médecins webmasters francophones, pionniers de l'Internet de santé.

Dès 1996, il a été confronté sur les espaces communautaires aux « antivaccinaux primaires ». Ce mouvement avait été terrassé dans les années 60 par les succès de la vaccination, qui avait par exemple fait pratiquement disparaître la poliomyélite. Malheureusement, la désastreuse campagne de vaccination contre l'hépatite B lui a permis de retrouver une relative audience au début des années 90.

On a parlé au sujet des antivaccinaux de comportement sectaire. C'est très exagéré mais il faut reconnaître qu'ils faisaient preuve d'une incapacité totale à débattre scientifiquement. Les internautes ne s'y sont d'ailleurs pas trompés et ont fait assez facilement le tri entre leur discours dogmatique et l'approche scientifique raisonnée défendue par quelques médecins présents sur ce nouveau média.

Dans le même temps, l'outil Internet permettait un phénomène nouveau : la création de communautés professionnelles connectées grâce à des listes de discussion, par des échanges d'e-mails. Il a ainsi pu échanger quotidiennement avec des centaines de confrères, y compris étrangers, depuis plusieurs années. Sur ces forums fonctionnant 24 heures sur 24, l'information disponible est partagée, analysée, disséquée, critiquée en temps réel. Il s'en dégage une forme d'intelligence collective tout à fait étonnante.

Un des premiers effets de ce dialogue a été de permettre aux médecins de s'affranchir de la mainmise de l'industrie pharmaceutique sur l'information santé, mainmise dont l'intensité est souvent sous-estimée.

La grippe, pour en revenir à elle, a été au centre de ces échanges, tout d'abord en 2005 lors de la menace de la pandémie aviaire. Disant avoir été à l'époque particulièrement inquiet des conséquences possibles d'une telle épidémie, M. Dominique Dupagne a indiqué qu'il lui avait consacré sur son site un article qui en exposait les éventuelles incidences catastrophiques tout en relativisant la probabilité de sa survenue. Ses confrères avaient d'ailleurs alors brocardé son pessimisme jugé excessif.

Lors de l'épidémie mexicaine, ces mêmes confrères se sont de nouveau tournés vers lui pour savoir s'il partageait l'inquiétude des autorités sanitaires. Mais une évidence s'est imposée très rapidement, dès le début du mois de juin : cette épidémie n'était pas une grippe aviaire. Sa bénignité dans une métropole de 20 millions d'habitants comme Mexico était incompatible avec une mortalité massive, surtout dans des pays dont les structures sanitaires sont plus évoluées que celles du Mexique.

C'est au milieu de l'été qu'est apparue une dichotomie entre un discours officiel catastrophiste et des évidences de terrain beaucoup plus rassurants. Plus les médecins de l'hémisphère Sud confirmaient, dans les espaces de discussion, que les choses étaient moins graves qu'on ne pensait, plus le gouvernement et les instances sanitaires augmentaient la pression et la peur, relayées par des médias étonnamment peu critiques.

C'est à ce moment que nos autorités, occupées à négocier d'importants contrats de vaccins, ont commencé à voir ce qu'elles croyaient au lieu de croire ce qui leur était donné de voir.

A partir de ce moment, Internet est devenu le lieu privilégié de diffusion de l'information critique et sourcée, tandis que le discours officiel et la presse diffusait des idées parfois fantaisistes. C'est alors que M. Dominique Dupagne a écrit sur son site un article de synthèse sur la vaccination antigrippale, reprenant la réflexion menée sur les listes de discussion de généralistes, et notamment Mglist, animée par un médecin réunionnais, le Dr Raybaud. Cet article, signé par 240 de ses confrères en quelques jours, est devenu une référence et a été lu 1 300 000 fois. M. Dominique Dupagne a précisé qu'il n'en était pas vraiment l'auteur : c'est un article collectif pour lequel il a joué en quelque sorte le rôle de rapporteur. Il a noté qu'une des raisons du succès de cet article était son absence de position au sujet de la vaccination : il exposait des faits et incitait les lecteurs à se faire leur propre opinion.

Dans le même temps, le pire et le meilleur foisonnaient sur Internet, auberge espagnole de l'information. Deux documents remis aux membres de la commission d'enquête en sont des exemples frappants.

Le premier est une page du site du laboratoire GSK consacrée à la grippe. On y apprend que la grippe asiatique de 1957 aurait fait 4 millions de morts aux Etats-Unis et la grippe de 1968, dite de Hong Kong, deux millions de victimes en France. Ces chiffres, mille fois supérieurs à la réalité, sont bien sûr faux. Mais ils sont restés sur le site du laboratoire pendant toute la campagne de vaccination.

Le second exemple, plus récent, éclaire bien la réflexion. Le laboratoire MSD propose aux médecins un site gratuit de formation médicale. Le mois dernier, un médecin, le Dr Fraslin, a découvert sur ce site une vidéo affirmant que la rougeole a fait 4850 morts en Europe en 2004, soit une mortalité de 16 %. La mortalité réelle - quatre morts - est plus de 1000 fois inférieure. Averti de son erreur, le site du fabricant de vaccins a maintenu ce chiffre absurde en s'appuyant sur un document ambigu de l'OMS démenti par d'autres documents émanant de la même organisation.

a conclu que ces exemples parlants démontrent que l'on est confronté à deux réalités indéniables, qu'illustre bien le cas de la grippe A (H1N1)v :

- la science est soluble dans l'industrie pharmaceutique, qui a sur elle un effet terrifiant : elle devient déliquescente à son contact ;

- en matière de vaccination, la France ne fonde pas ses stratégies sur l'information disponible mais fabrique l'information qui valide ces stratégies.

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