Intervention de Didier Raoult

Commission d'enquête sur la grippe A — Réunion du 26 mai 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Didier Raoult professeur de microbiologie directeur de l'unité mixte de recherche des rickettsies à la faculté de médecine de marseille

Didier Raoult :

a dit n'avoir aucun lien d'intérêt avec les firmes produisant des produits de santé ou des vaccins, mais avoir lui-même créé une entreprise de biotechnologies incubée dans son laboratoire et destinée à commercialiser des diagnostics sérologiques.

Il a indiqué que pour mettre en perspective la question de la pandémie de grippe A (H1N1)v, il articulerait son commentaire avec les conclusions du rapport sur le bioterrorisme dont il avait été chargé en 2003 par le ministre de la santé Jean-François Mattei et la ministre de la recherche Claudie Haigneré sur le bioterrorisme, et dont il avait souhaité élargir le champ à l'ensemble des crises sanitaires d'origine infectieuse, y compris les pandémies grippales. Il avait relevé à l'époque le manque d'infrastructures et la difficulté à quantifier la mortalité au jour le jour. La canicule de l'été 2003 a confirmé l'absence de connaissances exactes sur la mortalité liée à une crise sanitaire en France ; les informations données au ministre par la direction générale de la santé (DGS) avaient dû être corrigées par des statistiques obtenues auprès des maisons funéraires. Cette absence de connaissances de la réalité de la situation a été une des causes du retard de l'action gouvernementale à l'époque.

Il importe de distinguer les crises sanitaires mesurables et contrôlables, car liées à un agent non contagieux, de celles dont il est impossible de prévoir l'ampleur car on ne peut pas contrôler la contagion. Ainsi, parce qu'elles n'étaient pas liées à une infection transmissible, il était fort peu probable que l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ou la grippe H5N1 donnent lieu à des crises sanitaires majeures. A l'inverse, un virus contagieux pose un problème de nature différente car il est difficile à arrêter et susceptible d'infecter l'ensemble d'une population.

Or, les moyens dont dispose la France pour lutter contre un virus de ce type sont sous-développés. L'épopée pasteurienne du XIXe siècle et la théorie du germe, que la France a imposées au monde, ont conduit à une concentration de tous les moyens de gestion des maladies infectieuses à l'institut Pasteur, compétent à la fois pour la recherche, l'élaboration des vaccins, et les soins. Mais ce modèle mondial a disparu : l'institut Pasteur est devenu un centre de recherche fondamentale qui n'est plus lié à un hôpital ni à l'élaboration de vaccins. A ainsi été perdu un lieu de connaissances transdisciplinaires et un interlocuteur unique pour les pouvoirs publics. Aujourd'hui un organisme comme l'institut de veille sanitaire (InVS) est isolé des soins et de la recherche. Les hommes de l'art ne sont donc plus réunis en un lieu d'échange, ce qui pose un problème de compétence pour la gestion des crises. M. Didier Raoult avait donc préconisé dans son rapport la création de nouveaux centres de compétences sur l'ensemble du territoire, réunissant recherche, épidémiologie et soin. La gestion de la grippe A (H1N1) a, de nouveau, montré le caractère pénalisant de la distance entre les différentes agences spécialisées.

Dans ce contexte, quand est apparu le virus H5N1 chez les oiseaux, les compétences manquaient pour s'opposer à l'alerte excessive lancée en Hollande par le professeur Osterhaus. L'inquiétude générée par cette alerte a donc filtré jusqu'à la presse et aux gouvernements, et est devenue une véritable panique avec des prévisions de surmortalité et de contagiosité délirantes. On estime qu'un malade grippé contamine en moyenne deux personnes : il était donc délirant de penser qu'il pourrait contaminer trois cents personnes dans un aéroport ou une station de métro. Le plan blanc de lutte contre la pandémie grippale, issu de la crainte de la grippe aviaire, a été conçu par le secrétariat général de la défense nationale et le ministère de l'intérieur, puis géré les préfets. Ce n'était donc pas une réponse médicale qui était apportée à un problème pourtant médical. Ceci a amené à adopter des mesures disproportionnées. Ainsi, à Marseille, le nombre de lits spécialisés affectés au traitement des formes graves de grippe est passé de 0 à 700. Or, les études publiées par le New England Journal of Medicine et l'expérience de terrain ont montré qu'il ne fallait que vingt à quarante lits par million d'habitants. La sanctuarisation d'un hôpital marseillais de 600 lits était donc inutile. L'accumulation de craintes déraisonnables a abouti à transférer de fait la gestion du risque infectieux à la sécurité du territoire parce que, à l'inverse d'autres disciplines comme la cancérologie ou la nutrition, l'infectiologie ne dispose pas d'un maillage de compétences suffisant. On a donc pris des mesures disproportionnées pour prévenir un risque virtuel.

Le passage de la médecine à l'administration est apparu de manière exemplaire dans la transformation de la vaccination d'enjeu médical en enjeu politique. Une étude qui sera prochainement publiée étudie cette mutation dans la presse de la période. On arrive à la conclusion que la presse se déterminait sur ce sujet en fonction d'orientations politiques (droite - gauche) ou professionnelles : 95 % des sites Internet infirmiers se prononçaient contre la vaccination, chiffre qui s'est reflété dans le faible taux de vaccination de ces professionnels de santé ; à l'inverse, les sites de médecins étaient majoritairement favorables à la vaccination.

L'organisation prévue a aussi eu de nombreux effets néfastes, notamment en démultipliant le risque de contagion intrahospitalière. La transmission de la grippe dans les services d'urgence a été considérable.

Il semble bien que l'organisation mise en place était prévue pour quelque chose qui se produirait peut-être mais qui n'était pas une grippe, qui peut toucher des malades dont le nombre double chaque semaine mais qui sont guéris en trois jours.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion