Intervention de Martin Hirsch

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 15 juillet 2020 à 16h30
Audition commune de M. Martin Hirsch directeur général de l'assistance publique-hôpitaux de paris ap-hp Mme Valérie Pécresse présidente de la région île-de-france et M. Aurélien Rousseau directeur de l'agence régionale de santé ars d'île-de-france

Martin Hirsch, directeur général de l'AP-HP :

L'une des particularités de la crise a été le temps particulièrement long qu'il a fallu aux experts pour converger vers une analyse commune de la crise. Ce n'est que le 12 ou 13 mars qu'ils considèrent que l'on risque d'avoir 100 000 patients en réanimation si l'on ne fait rien. Au début, les experts considéraient qu'il fallait plutôt cerner le virus, isoler les clusters, mais ils n'envisageaient pas à quel point la crise allait mettre notre système de soins sous tension. La prise de conscience a été très lente. Le 29 février, Aurélien Rousseau, moi-même et d'autres responsables avons réuni les experts pour leur demander, s'il ne fallait pas changer de doctrine et se préparer à un autre scénario.

Le 1er mars, nous avons décidé de mettre en place un système commun entre l'hôpital et la ville pour pouvoir suivre des patients n'ayant pas besoin d'être hospitalisés à domicile avec leur médecin traitant en lien avec des médecins hospitaliers - c'est l'application Covidom qui bénéficiera à 70 000 patients. Pour mémoire, à l'AP-HP, nous avons accueilli 15 000 patients en réanimation et, dans l'ensemble des hôpitaux d'Île-de-France, le chiffre doit avoisiner les 30 000 patients. Un médecin généraliste sur deux a participé à ce dispositif qui constitue une innovation majeure, susceptible de changer considérablement les modalités de suivi des patients entre la médecine de ville et l'hôpital. En tout cas, elle a tout changé dans la crise. Une enquête a été faite sur 10 000 patients suivis sur Covidom : 40 % d'entre eux répondent que, sans l'application, ils seraient allés aux urgences.

On peut parler des masques, des blouses, des surblouses, des gants, des respirateurs, mais le problème majeur a été celui du personnel. Je reconnais que l'AP-HP est entrée dans cette crise dans les pires conditions, avec un manque d'infirmières, de personnels paramédicaux, de manipulateurs radio, etc. Ces difficultés s'aggravaient depuis dix-huit mois, si bien que des lits de soins critiques étaient fermés faute de personnel. La question avait été soulevée depuis un certain temps, mais elle était sans réponse à ce stade.

Nous avons donc dû bousculer toutes les organisations de travail : moins de congés, moins de repos, des journées plus longues, des journées qui s'enchaînaient, etc. Permettez-moi à cet égard de rendre hommage aux personnels et à leurs représentants.

Nous avons aussi fait appel à des renforts grâce à une infrastructure considérable : des milliers de professionnels sont venus dans les hôpitaux. Il faudra réfléchir à la manière de faire encore mieux appel à de telles réserves - internes, externes, régionales, extra-régionales - dans les situations de crise.

Dans les années qui viennent, les hôpitaux auront besoin de s'adapter pour faire face à des épidémies ou à d'autres catastrophes, qu'elles soient prévisibles ou imprévisibles. Le fonctionnement ne sera pas toujours le même toute l'année.

Pendant cette crise, de nombreux professionnels n'ont pas joué leur rôle habituel : des élèves infirmiers ou des élèves médecins sont devenus infirmiers ou préleveurs, quand des médecins devenaient infirmiers, etc. Cela peut être vu comme un dysfonctionnement ou comme une capacité d'adaptation que l'on peut désormais prévoir, organiser, reconnaître et mieux prendre en compte.

Les difficultés rencontrées en matière d'approvisionnement ont déjà été évoquées. Nous avons réalisé que notre pays ou notre continent ne pouvait pas, en deux ou trois semaines, se mettre à fabriquer massivement des masques. Notre dépendance à l'égard de l'extérieur est l'un des facteurs sur lequel nous pourrions agir. Nous devrions être capables de monter un système, dans lequel l'industrie européenne peut basculer vers une production européenne.

Les données ont été fondamentales pour gérer cette crise : la question de notre souveraineté européenne en matière de données est donc majeure. Si un conflit diplomatique ou commercial devait bloquer nos données dans un cloud, nous serions dans une bien mauvaise posture !

Permettez-moi de revenir sur le programme Covisan évoqué par la présidente de la région. Dès le lendemain du premier pic - le 9 avril -, notre préoccupation a été d'éviter le pic suivant. Il a fallu renouer avec une tactique assez claire : casser les chaînes de contamination, repérer les personnes contaminantes et les isoler. Ce travail s'est mis en place dès le 9 avril et s'est concrétisé dès la semaine suivante avec la médecine de ville et la médecine hospitalière, sous l'égide de l'ARS et de la préfecture et en associant les différentes collectivités. Madame la présidente de région, l'État ne vous a pas sortie de Covisan, mais a basculé vers un autre dispositif piloté par l'assurance maladie : Covisan persiste avec ses différents partenaires et permet de mettre en place, là où l'ARS le demande, des équipes de préleveurs. Il s'agit d'une force de frappe d'un millier de personnes prêtes à aller prélever et à donner un coup de main aux autres acteurs, lorsque cela est nécessaire. C'est une initiative très importante et c'est la démonstration qu'en période de crise, l'hôpital n'est pas une institution qui attend que les patients viennent à elle, mais qu'il est un opérateur qui va au-devant des questions de santé publique.

Nous avons vécu une coopération exemplaire avec les autres établissements de santé, publics comme privés. Cela s'est traduit très concrètement par l'ouverture de lits de soins critiques et leur régulation 24 heures sur 24, y compris lorsqu'il a été choisi de laisser quelques lits disponibles dans les établissements de référence. Les évacuations sanitaires n'ont pas été faites à la place des opérateurs de la région ; elles n'ont pas été décidées au moment où nous étions saturés, mais au moment où nous prévoyions la possibilité d'une saturation. Cela nous a permis d'accueillir tous les patients et de passer ce pic.

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