Saint-Laurent-du-Maroni est une ville frontière, de 43 000 habitants, qui en comprend en réalité 70 000 compte tenu de ceux qui se trouvent sur son territoire de manière illégale. Nous sommes en effet à la frontière du Suriname où les passages et les activités informelles sont nombreux.
Nous avons été les premiers touchés au départ par la crise de la covid-19. Les cinq premiers cas recensés en Guyane se trouvaient en effet à Saint-Laurent-du-Maroni. Il s'agissait de personnes qui revenaient de Mulhouse. Nous avons pu tout de suite intervenir. Ces personnes sont restées en confinement, et nous n'avons pas eu de nouvelle poussée de cas à Saint-Laurent.
J'ai vu arriver la crise. Lorsque nous avons vu la situation en métropole, j'ai envoyé un courrier au préfet, au nom de la communauté de communes, le 6 février, pour demander l'organisation d'une séance de concertation afin de voir quelles positions nous allions prendre, de manière coordonnée et en transparence. Je n'ai pas eu de retour. En revanche, nous avons bien vu la crise arriver.
La situation sanitaire à Saint-Laurent-du-Maroni et dans l'ouest, que je connais bien, est déjà très fragile, bien que nous ayons le dernier hôpital créé en outre-mer, qui a été inauguré il y a deux ans. C'est un bel hôpital. Malgré tout, le manque de personnel et de moyens est important sur le territoire, surtout le long du fleuve. Nous avons des centres de santé dans toutes les villes le long du fleuve, mais manquons de moyens de communication et d'accessibilité. Dans cette zone de l'ouest de Guyane, qui compte 43 000 kilomètres carrés pour 93 000 habitants, nous avons beaucoup de mal à nous déplacer. Au moment de la crise, nous avons aussi connu une baisse des eaux du fleuve. Nous avions donc des difficultés à accéder aux différentes communes du fleuve.
Lorsque nous avons vu la crise arriver, il nous paraissait important - à nous, politiques - que nous puissions avoir des informations et nous positionner. Malheureusement, cela n'a pas été le cas. Je regrette que l'échelon politique local n'ait pas été pris en compte dans cette crise. On ne nous a pas tenus informés. Nous n'avons pas eu de concertation au départ. En revanche, quand on a eu besoin des politiques pour agir sur le terrain, au niveau local, à ce moment-là on nous a informés. Cela est préjudiciable pour l'action qui a été menée dans le cadre de la crise de la covid-19.
J'ai demandé la création d'une cellule de crise pour l'Ouest. Mme Girardin a accepté de la mettre en place lors de sa venue. Cette cellule se réunit tous les mercredis après-midi à 14 heures 30 en sous-préfecture avec, en audio, les élus ainsi que les représentants de l'ARS et des médecins.
Il y a un grand déficit de personnel pour l'ARS dans l'Ouest. Un responsable n'y a été nommé qu'il y a dix jours, alors que la crise sanitaire dure depuis des mois ! À un moment donné, les élus et les populations se sont sentis abandonnés. Certains maires m'ont appelée pour me demander si je pouvais faire quelque chose pour eux, car ils avaient l'impression de n'être ni entendus ni écoutés, et ne savaient pas ce qui se passait. Cela a vraiment été une crise difficile pour les populations et les élus.
La crise sanitaire semble à présent baisser de régime, mais je tiens à dire que très peu de tests ont été réalisés dans l'ouest du pays. On dit que cela baisse, mais si l'on ne teste pas on ne peut pas savoir si le virus circule encore.
Je souhaiterais faire passer un message. Le souhait des élus n'était pas d'empêcher les choses de fonctionner, mais plutôt d'avoir de la transparence et une co-construction dans les actions à mener sur leurs territoires. C'est ensemble seulement que l'on peut vaincre ce genre de pandémie.
Je crois que la place des élus locaux n'a pas été respectée. J'ai écrit un courrier en ce sens à M. le ministre de la santé, en demandant plus de respect. À partir du moment où j'ai fait ce courrier, Mme la directrice de l'ARS est enfin venue à Saint-Laurent. C'était une semaine avant la venue de Mme la ministre des outre-mer. Les élus ont intégré les cellules de crise. Je participe moi-même désormais à la cellule avec M. le préfet ainsi qu'aux cellules relatives à l'ouest de la Guyane. Néanmoins, je pense qu'il y a eu un retard trop important pour que nous puissions être satisfaits de la situation.
En tant qu'élue, je suis allée sur le terrain pour essayer d'avoir les informations que nous n'avions ni par le biais de l'ARS ni par celui de la préfecture. Nous ne savions pas où étaient placés les clusters au moment où nous pouvions pourtant encore agir. Lorsque le virus circule partout, on nous dit en effet que ce n'est plus la peine de faire des actions ciblées dans certains quartiers. Or la ville de Saint-Laurent comprend des quartiers informels, insalubres, de plus de 4 000 personnes. Il y en a plusieurs : un de 2 500 habitants, un autre de 2 000 personnes, un autre de 700 personnes, un autre de 4 000 personnes, etc. Il était donc extrêmement important pour moi d'agir dès que nous savions que le virus était à Saint-Laurent.
Nous avons essayé, avec les référents des quartiers et les médiateurs, de cibler les distributions de masques. Même si les collectivités ont acheté des masques pour leurs services, l'État a vraiment aidé à la distribution de masques chez nous. Il y a eu un petit temps de décalage, mais j'ai pu obtenir plus de 30 000 masques qui ont été distribués à la population. Il en existait deux variétés : lavables soit vingt fois, soit dix fois. Les collectivités ont dû acheter beaucoup de gel hydroalcoolique et installer des hygiaphones devant les bureaux. À toutes ces mesures s'ajoutaient les mesures d'astreinte que nous avons dû déployer. Même aujourd'hui, la mairie est encore en service minimum, car beaucoup d'agents de la collectivité sont atteints par la covid-19.
Tout cela représente un surcoût important pour les collectivités, surtout pour les petites communes de l'Ouest dont le budget est très faible. La crise aura certainement un impact important sur les dépenses pour l'année 2020.
Les moyens sont comptés pour les collectivités, il faut donc que nous soyons efficaces. Cela doit être une priorité pour nous. Dans toute crise, il faut vraiment une participation active des élus locaux. Ce sont eux qui sont au plus près des populations, qui connaissent leurs territoires, et permettent de prendre des mesures adéquates et adaptées.
Nous sommes sur un territoire frontalier qui connaît une activité informelle importante. La plateforme alimentaire mise en place à Saint-Laurent et dans l'Ouest s'est arrêtée, la frontière étant fermée. Nous avons dû faire face à environ 15 000 personnes nécessitant une aide alimentaire. Cette aide alimentaire a fonctionné. Nous avons travaillé avec la Croix-Rouge française, l'État, le centre communal d'action sociale (CCAS), mais aussi les médiateurs de la politique de la ville. Je rappelle que, sur notre territoire, tout le monde ne parle pas forcément le français, et tout le monde n'est pas lecteur. Il est donc plus important d'avoir des contacts oraux permettant à tout un chacun d'être informé des gestes barrières. Nous avons fait passer une voiture sono s'exprimant dans toutes les langues afin d'informer tout le monde, dans tous les quartiers, des règles à suivre et des gestes barrières à respecter - importance du port du masque, distanciation.
Ce travail de proximité, c'est vraiment le travail des élus. C'est avec les élus qu'on peut le mener.