Intervention de Marc Del Grande

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 21 juillet 2020 à 14h10
Audition de mmes clara de bort directrice générale de l'ars de guyane sophie charles maire de saint-laurent-du-maroni Mm. Marc del Grande préfet de la région guyane et christophe robert directeur général du ch de cayenne

Marc Del Grande, préfet de la région Guyane :

Je tiens au préalable à indiquer que 200 personnes manifestaient ce matin devant la préfecture de Cayenne et je dois bientôt recevoir une délégation.

En complément des propos de Mme Charles, je tiens à souligner que Saint-Laurent-du-Maroni a été la première commune sinon d'outre-mer, du moins de Guyane à compter des malades de la covid. Les cinq cas décelés le 3 mars puis testés positifs le 4 mars revenaient de Mulhouse.

Nous nous trouvions dans une situation complexe puisque nous étions alors en période de réserve municipale. Nous nous sommes rendus, avec la directrice générale de l'ARS et le recteur, à Saint-Laurent-du-Maroni les 6 et 7 mars. Étant en période de réserve électorale et Mme Charles ainsi que le député étant tous deux candidats, j'avais demandé aux élus de ne pas être présents. Je ne souhaitais pas que la crise sanitaire puisse être instrumentalisée d'une quelconque façon durant cette période.

Nous avons visité le centre hospitalier ; deux des cinq personnes infectées étaient enseignantes et nous avons fermé leur classe. Grâce au travail remarquable de tracing effectué par l'ARS et de la cellule épidémiologique de Santé publique France, ces cinq cas n'ont donné qu'un seul cas secondaire.

Très vite, la Guyane s'est mise dans les pas de la métropole. Toutes les mesures prises au niveau national y ont été transposées le 24 mars. Cela a été le cas pour la fermeture des frontières : celle avec le Suriname dès le 14 mars, et celle avec le Brésil le 18 mars. Dès que nous avons perçu que la pression se faisait sentir en matière d'épidémie, à la fois au Brésil et au Suriname, j'ai demandé le renfort des forces armées. Il m'a été accordé tant à Saint-Laurent-du-Maroni face au Suriname qu'à Saint-Georges-de-l'Oyapock face au Brésil. Ainsi, jusqu'à début août, les forces armées en Guyane appuient l'action de la PAF et de la gendarmerie dans la surveillance efficace de nos frontières. On peut affirmer - il y a d'ailleurs consensus à ce sujet - que nos frontières n'ont jamais été aussi bien tenues que pendant la période covid.

Nous avons 700 kilomètres de frontière avec le Brésil et plus de 500 avec le Suriname : nous ne pouvons donc assurer une étanchéité à 100 %. Toutefois, à Saint-Georges-de-l'Oyapock et à Saint-Laurent-du-Maroni, entre 85 et 90 % du trafic est interrompu. J'ajoute que, début avril, pour protéger les villages amérindiens du Haut-Maroni, nous avons été amenés à mettre en place un poste tenu à la fois par les forces armées en Guyane et la gendarmerie. Établie sur le village amérindien de Taluen, la surveillance des allées et venues sur le Haut-Maroni nous permet à la fois de lutter contre les pirogues de Brésiliens effectuant de l'orpaillage illégal et d'empêcher la propagation du virus.

J'ai également été amené assez tôt - à partir du 24 mars - à prendre une mesure de couvre-feu sur l'ensemble du département de la Guyane en complément du confinement, car la Guyane est un département dans lequel on vit dehors et le soir. J'ai interdit la vente d'alcool à emporter à compter de 18 heures, et plus récemment, toute consommation d'alcool sur la voie publique, les regroupements qu'elle induit étant un facteur très favorable à la transmission du virus.

Dès que nous avons constaté que l'épidémie gagnait l'île de Cayenne et pouvait toucher l'Ouest, le poste de contrôle routier d'Iracoubo a été médicalisé grâce à une mission d'appui de la sécurité civile.

À partir du 11 mai, nous n'avons pas vraiment déconfiné en Guyane, puisque les communes de Saint-Georges-de-l'Oyapock et de Camopi, qui se trouvent face à la frontière brésilienne et sont donc exposées au virus, sont restées confinées. De plus, le poste de contrôle entre Saint-Georges-de-l'Oyapock et Cayenne a été médicalisé dès la fin du mois de mai, quand la réserve sanitaire est intervenue pour lutter contre le cluster de Saint-Georges-de-l'Oyapock.

À compter du 2 mars, j'ai mis en place une cellule de crise quotidienne regroupant tous les acteurs, notamment la collectivité territoriale de Guyane et l'Association des maires de Guyane. Le sous-préfet de Saint-Laurent-du-Maroni nous a rejoints dès le 15 mars pour relayer la parole de l'Ouest à Cayenne, échanger les informations et porter les difficultés de l'Ouest guyanais.

Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse : les difficultés de l'Ouest guyanais ne me sont pas complètement étrangères, car, il y a vingt ans, j'ai commandé la compagnie de Saint-Laurent-du-Maroni. Je crois que je n'aurais jamais eu l'idée de postuler dans le corps préfectoral si je n'avais pas commandé cette compagnie.

Nous tenions aussi un point d'information hebdomadaire avec les grands élus du territoire depuis la fin du mois de mars - les deux députés, les deux sénateurs Georges Patient et Antoine Karam, le président de la collectivité territoriale de Guyane et le président de l'Association des maires. Par ailleurs, un point épidémiologique hebdomadaire se réunissait à la préfecture pour tenter d'anticiper les tendances.

Des cellules de crise locales ont été organisées à Saint-Laurent-du-Maroni, tout d'abord de manière informelle, puis de manière formalisée après la venue de Mme Girardin. Des réunions avec les CCAS et les associations nous ont permis d'organiser la mise en place de points d'eau supplémentaires dans les quartiers d'habitat informel et pour assurer la distribution de l'aide alimentaire.

Par ailleurs, plus de 1 million de masques ont été mis à la disposition de la population par l'intermédiaire des maires, des associations, mais aussi des forces de l'ordre. Saint-Laurent-du-Maroni a reçu plus de 80 000 masques grand public pour adultes, près de 8 000 masques grand public pour adolescents et 40 000 masques chirurgicaux, soit un tout petit peu moins de 130 000 masques pour une commune de 45 000 habitants, voire un peu plus.

J'en viens aux mesures de freinage. Le confinement a été appliqué du 17 mars au 11 mai. La Guyane n'est toutefois pas vraiment déconfinée puisque deux communes sont toujours confinées, que nous avons médicalisé progressivement les deux postes de contrôle routier et que nous avons maintenu le couvre-feu. Ce dernier a été progressivement durci, si bien que, depuis le 24 juin, un couvre-feu s'applique quotidiennement à compter de 17 heures et jusqu'à 5 heures du matin et du samedi 13 heures jusqu'à 5 heures du matin le lundi. Ces mesures très dures ont porté leurs fruits, puisque l'épidémie marque le pas.

Nous avons également imposé le port du masque dans l'espace public clos et ouvert à compter du 24 juin, et nous avons confiné de façon ciblée 26 quartiers ainsi que les personnes vulnérables. Dès qu'un cluster a surgi, dans le village amérindien de Cécilia, à Grand Santi, à Tonka campou ou au village Arc-en-ciel de Rémire-Montjoly, nous avons réussi à évacuer la plupart des patients, notamment vers notre centre dédié aux patients covid ouvert depuis le 6 avril.

La légalité de ces mesures de freinage a été confirmée par le tribunal administratif de Cayenne au travers des ordonnances du 27 mai et du 3 juillet.

L'aspect économique a été pris en compte par les services de l'État au travers des cellules quotidiennes de continuité économique puis des cellules hebdomadaires de veille sur les entreprises en difficulté. Quelque 40 millions d'euros ont été versés directement aux entreprises, dont 26 millions d'euros par le biais du dédommagement de l'activité partielle et 13 millions d'euros issus du fonds de solidarité. De plus, 133 millions d'euros de prêts garantis par l'État ont été consentis à 699 entreprises, et 10 millions d'euros de cotisations sociales et fiscales ont été reportés.

Le volet social en Guyane est déterminant. Grâce au travail en réseau avec les CCAS, la collectivité territoriale, la Croix-Rouge et le réseau associatif, nous avons pu livrer partout sur le territoire de la Guyane 84 000 colis pour un montant de plus de 3,3 millions d'euros de financement exceptionnel de l'État, auxquels s'ajoutent 1,8 million d'euros, qui viennent de nous être délégués pour tenir jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire, soit jusqu'au 30 octobre. Ainsi, 370 tonnes de denrées ont pu être livrées, et 600 000 chèques-services ont été distribués ou convertis en achat.

Enfin, en début de crise, nous avons été amenés à mettre à l'abri 304 personnes venant principalement de Syrie via le Brésil.

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