Intervention de Clara de Bort

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 21 juillet 2020 à 14h10
Audition de mmes clara de bort directrice générale de l'ars de guyane sophie charles maire de saint-laurent-du-maroni Mm. Marc del Grande préfet de la région guyane et christophe robert directeur général du ch de cayenne

Clara de Bort, directrice générale de l'agence régionale de santé (ARS) de Guyane :

Nous sommes en situation d'alerte épidémique depuis le début du mois de mars. Dans ce contexte, nous avons travaillé sur différents scénarios d'anticipation. Dès le départ, nous avons imaginé une épidémie qui pourrait être longue et comporter éventuellement deux vagues, comme c'est le cas chaque année lors de l'épidémie de grippe, une première vague arrivant de l'hémisphère Nord, puis une deuxième par l'hémisphère Sud.

Grâce aux mesures très énergiques qui ont été prises par M. le préfet, nous avons peut-être évité la première vague, c'est-à-dire le déclenchement de chaînes de contamination trop importantes. Pendant les semaines de confinement, nous n'avons déploré que 137 nouveaux cas en Guyane. Chacun de ces cas a fait l'objet d'un contact tracing très agressif.

La situation sur le plan épidémiologique est aujourd'hui extrêmement différenciée, car la Guyane est un immense territoire, grand comme la Nouvelle-Aquitaine, qui comporte douze départements, alors que nous en avons qu'un seul. À ce jour, pour 100 000 habitants, la Guyane compte 2 356 cas confirmés biologiquement, contre 313 en métropole. Ce n'est toutefois qu'une moyenne, car, sur 100 000 habitants, l'incidence est de 10 000 cas confirmés à Saint-Georges, de 3 500 à Cayenne, et de 1 600 à Saint-Laurent-du-Maroni. L'épidémie circule donc de façon très différente sur le territoire ; elle est arrivée très fortement par l'Est, sur lequel nous avons concentré tous les efforts de l'ARS. Depuis trois semaines, nous avons reconcentré nos forces sur l'Ouest.

Les premiers cas ont pourtant été confirmés dans l'Ouest. Le 4 mars, nous avons connu les effets du cluster de Mulhouse, qui, grâce à un contact tracing très agressif, n'ont donné qu'un seul cas secondaire. Nous nous sommes rendus à Saint-Laurent-du-Maroni avec M. le préfet pour nous assurer qu'aucune chaîne de contamination ne démarrait, et grâce à l'appui de tous les acteurs locaux, cela n'a pas été le cas.

Nous disposons d'un suivi cartographique fin qui nous permet de connaître les incidences par commune, ce qui n'est pas le cas en métropole.

S'agissant des tests, nous travaillons en réseau depuis plusieurs mois. Nous avons désormais une capacité de 1 400 analyses biologiques par jour, ce qui nous place au quatrième rang mondial après Bahreïn, le Luxembourg et l'Islande. Nous déplorons depuis une quinzaine de jours une baisse de la demande en tests - nous sommes passés d'une demande de 1 000 à 1 200 tests par jour à une demande de 400 à 600 tests par jour de façon assez brutale. Nous ne disposons pas encore des explications justifiant cette baisse, mais il est un fait que nous avons besoin de la mobilisation de l'ensemble des acteurs et des associations sur le terrain.

À Saint-Laurent-du-Maroni, nous avons essayé de tester massivement très tôt. Dès le 13 juin, nous avons organisé une grande opération de tests sur le marché de Saint-Laurent qui a malheureusement rencontré peu de succès. Notre territoire est de loin celui qui teste le plus puisque nous avons testé déjà plus de 32 000 personnes, soit bien plus de 10 % de la population.

Il est toutefois tout aussi important d'isoler. M. le préfet a organisé très rapidement l'isolement des patients à l'hôtel du Fleuve à Sinnamary, mais nous avons de plus en plus de difficultés à faire accepter cet isolement aux patients. Certains professionnels de santé nous relaient la peur des patients d'être stigmatisés, la banalisation des formes bénignes de l'épidémie, les craintes liées au caractère prétendument douloureux du test ou la conviction qu'il ne servirait à rien.

Nous devons remobiliser la population à la fois sur les tests et sur l'isolement, car si nous testons mais que nous n'isolons pas ou que nous ne suivons pas sur le plan clinique les personnes les plus les vulnérables, nous n'aurons hélas pas gagné grand-chose.

Nous souhaitons relancer le dépistage en proposant une approche à la fois plus qualitative et plus discrète à domicile. La phase où les drive s'imposaient pour couvrir l'ensemble du territoire étant passée, il nous faut maintenant aller tester les populations qui ne viennent pas spontanément le faire. C'est pourquoi nous avons décidé, avec le préfet et le directeur de crise, de renforcer massivement les moyens des équipes de dépistage. Nous bénéficions de l'appui de l'équipe parisienne qui a lancé l'initiative Covisan, que nous allons décliner en Guyane au travers de la constitution d'équipes légères susceptibles de se rendre à domicile, non seulement pour repérer les personnes éventuellement malades, les personnes vulnérables et les dépister, mais aussi accompagner, comprendre les besoins sociaux, assurer le contact tracing et l'épidémiologie de terrain.

En effet, le contact tracing par téléphone, qui était nécessaire dans un premier temps compte tenu du nombre de nouveaux cas, présente des limites sur un territoire comme le nôtre, l'accès au téléphone et la maîtrise de la langue française étant parfois difficiles.

En Guyane, le plus efficace est de travailler avec les élus locaux, les coordonnateurs des CLS, notamment celui de Saint-Laurent qui est très dynamique et avec lequel nous avons plaisir à travailler, les référents des CLS des communes, avec lesquels nous sommes en contact quotidien, les grands opérateurs et les moins grands, les médiateurs de la Croix-Rouge française, de Médecins du monde... Ces professionnels quadrillent le terrain et nous transmettent énormément d'informations.

Il est important d'adapter nos politiques sanitaires aux spécificités du territoire, notamment à l'Ouest, très dynamique sur le plan démographique. J'ai d'ailleurs défendu peu de temps après mon arrivée la création exceptionnelle d'une délégation territoriale à l'ouest de la Guyane - la Guyane étant à la fois une région et un département, elle ne bénéficie de délégation territoriale ni à l'est ni à l'ouest, alors que les distances et les spécificités territoriales le justifieraient pleinement.

Nous avons obtenu la création d'un poste de direction de l'agence régionale de santé par arrêté du 27 février 2020, c'est-à-dire au moment de la crise sanitaire. Nous souhaitons ouvrir ce poste et le pourvoir rapidement afin de doter l'ouest de la Guyane d'une représentation de haut niveau de l'agence régionale de santé.

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